• Aucun résultat trouvé

Pôle emploi : un partenaire du recrutement ?

Chapitre 6. Les canaux de recrutement

3. Pôle emploi : un partenaire du recrutement ?

Pôle emploi est un intermédiaire particulier parce que, organisme public, il doit participer à la mise en œuvre de la politique de l’emploi et fournir un service à tous les publics (et ainsi appliquer, plus que tout autre, le principe de non-discrimination). Bien qu’ayant perdu le monopole du placement sur le marché du travail français suite à la loi de cohésion sociale de janvier 2005, on le trouve pré- sent dans tous les secteurs de notre enquête (à l’exception des services en ingénierie informatique qui s’adressent plutôt à l’Apec) et notre grille d’analyse nous a amenées à le placer dans différentes zones du schéma 1. De manière générale, les grands groupes de notre étude ont signé des accords nationaux avec Pôle emploi (par exemple, les offres d’emploi sont automatiquement diffusées sur Pôle-emploi.fr) et se sont pour la plupart engagés à atteindre des objectifs en termes de diversité en s’appuyant sur l’opérateur public (par exemple, un nombre de recrutements à réaliser sur des terri- toires donnés). Nos entretiens n’ont pas porté en revanche sur l’usage par les entreprises des con- trats aidés (et nos interlocuteurs n’ont jamais évoqué ces contrats comme raison de recours à l’opérateur public).

L’objectif est ici de comprendre comment les différentes interventions de Pôle emploi (diffusion d’annonces, mise en relation, méthode de recrutement par simulation (MRS)) sont ajustées ou non aux besoins des recruteurs. On souhaite expliquer les raisons pour lesquelles certains partenariats sont réussis et pérennes, tandis que d’autres sont plutôt décrits comme des échecs par les recruteurs dans les entreprises et/ou par les agents de Pôle emploi eux-mêmes.

Langage commun ou séparé ?

Un premier élément explicatif du succès ou de l’échec d’un partenariat entre une entreprise qui cherche à recruter et Pôle emploi est le degré de compatibilité de langage, au-delà de l’image néga- tive que certains employeurs, en particulier des indépendants du secteur HCR ou de la grande dis- tribution, ont de la qualité des services publics. Les agents de Pôle emploi produisent une informa-

tion standardisée, induite par la gestion rarement personnalisée81 des fichiers de demandeurs d’emploi et des demandes des entreprises, dont le premier interlocuteur peut être le salarié d’une plateforme téléphonique. Très souvent, ce ne sont pas les mêmes personnes qui reçoivent les offres et les demandes d’emploi, d’où la nécessité d’établir un langage commun, qui, pour mettre en cor- respondance les attentes des uns et des autres, a de bonnes chances d’être uniformisé. Ainsi, les compétences des demandeurs d’emploi sont traduites en un certain nombre de variables prédéfi- nies : diplômes, années d’expérience dans des emplois (eux-mêmes traduits en un code ROME- Répertoire opérationnel des métiers et des emplois), recherche à temps plein/partiel d’emplois, là encore traduits dans des codes ROME, etc. Or, ce langage peut être très éloigné de certains em- ployeurs qui traduisent les compétences qu’ils recherchent dans un langage beaucoup plus « empi- rique », renvoyant souvent à des aptitudes comportementales. D’où une incompréhension telle que Pôle emploi peut être accusé de rendre les annonces incompréhensibles et d’être inefficace, même en tant que simple diffuseur d’annonces. « Dans leurs annonces, il y a des filtres (BTS, etc.) et c’est

risqué avec ce filtre... et puis il y a des numéros que seuls eux comprennent, nous ça ne nous dit rien. Leur site est trop compliqué, c’est trop rigide, tout est nomenclaturé. » [directeur de magasin

spécialisé non alimentaire] Ce qui doit également expliquer l’impossibilité de Pôle emploi à inter- venir en urgence comme le souhaiteraient les indépendants de l’hôtellerie-restauration.

Dans les chaînes de l’hôtellerie-restauration, le recours à Pôle emploi n’est en revanche pas remis en question lorsqu’il s’agit de diffuser une annonce formulée de manière standard, avec l’intitulé d’« équipier polyvalent », la nature du contrat de travail et les contraintes horaires. Ces offres sont destinées à toucher un public étudiant qui ne souffre pas de la stigmatisation du « profil ANPE ». Il est usuel pour les chaînes de puiser dans une telle offre, Pôle emploi n’intervient donc pas ici pour élargir un sourcing.

Le langage codifié de Pôle emploi peut également être jugé efficace pour filtrer les candidatures de « conseillers » qui seront traitées en continue par les services RH d’une grande banque de détail. L’agent de Pôle emploi est appréciée par les recruteurs de G2BDD, parce que les CV qu’elle envoie sont ajustés aux attentes de la banque pour trouver des commerciaux en dehors des filières habi- tuelles. Sa bibliothèque de requêtes informatiques pour rechercher des candidats dans les fichiers régionaux et national est le résultat d’une vingtaine d’années de mise en relation pour les différentes banques franciliennes. Elle se permet même de reprendre les CV et lettres de motivation des candi- dats pour les rapprocher des attentes des recruteurs, et par exemple changer un titre général de CV « gestionnaire polyvalent » (le titre que se donne donc la candidate) par « chargé d’accueil » (le libellé du poste)82. Elle endosse le rôle de traductrice entre une offre de travail non totalement ajus-

tée (une femme de 37 ans qui valorise surtout son expérience gestionnaire) et la demande de la banque (un niveau bac+2 et des expériences commerciales). En cela, elle permet d’ouvrir le marché à des profils qui, selon elle, n’auraient peut-être pas la chance d’être évalués en passant par les pages « recrutement » du site corporate de G2BDD. La qualité de l’intermédiation tient ici au fait que c’est la même personne qui reçoit les offres d’emploi et sélectionne les demandeurs d’emploi à mettre en relation.

81 Nous voulons dire par là que les agents de Pôle emploi ne connaissent pas forcément les demandeurs d’emploi dont ils

sélectionnent les fiches lorsqu’ils cherchent des candidats pour une entreprise. Cela est dû à l’organisation du travail des agents qui ne sont pas spécialisés sur les mêmes secteurs d’activité lorsqu’ils travaillent avec les employeurs et les demandeurs d’emploi et aussi aux volumes des fichiers. Il y a là peut-être une différence entre agences de la région parisienne et agences en province où les relations semblent plus personnalisées (du moins, selon certains de nos interlocuteurs de la grande distribution).

82 « Un autre… gestionnaire polyvalent… c’est du téléconseiller, Axa Banque, Cétélem, c’est pas mal, ça peut intéresser la banque

de réseau pure et dure. BTS Action Co. Voila, c’est un CV aussi, alors “gestionnaire polyvalent”, j’ai enlevé, parce que monsieur XXX va me dire : “je ne cherche pas un gestionnaire”… […] je vais simplement mettre ici “chargé d’accueil”. […] Oui, la petite A elle est mignonne comme tout, enfin, elle a quand même 37 ans, mais il faut aussi réfléchir plus loin, elle candidate pour des postes commerciaux, dans une banque, elle va me marquer “gestionnaire polyvalent”. Je ne cherche pas un gestionnaire polyvalent. Enfin, la banque ne cherche pas ça, et moi des fois, je pense comme la banque. Mais j’ai quand même envoyé, parce que déjà ça c’était intéressant, et elle a son BTS qui est intéressant, et voilà. » [conseillère Pôle emploi, Paris]

Les profils des candidats de Pôle emploi

Les recruteurs de la grande distribution et de l’hôtellerie-restauration, voire parfois ceux de la banque, partagent des a priori assez négatifs sur les « profils ANPE » : les candidats envoyés ou étant passés par Pôle emploi seraient ceux qui ont de la peine à trouver du travail, des cas sociale- ment difficiles, ils feraient moins d’effort de présentation vestimentaire pour leur entretien, ils au- raient des difficultés de compréhension ou des comportements inadaptés. « Mais c’est vrai que Pôle

emploi, par rapport à ça, n’est pas fautif non plus, mais c’est vrai qu’eux sont obligés d’accueillir des gens et eux, pareil, ils sont obligés de nous les envoyer. » [employeur HCR, chaîne] Cela se

traduit en un jugement global : le « profil ANPE » manque de motivation. Ce jugement négatif peut porter sur la qualité des intermédiations réalisées par Pôle emploi, à qui il est reproché de ne pas envoyer les bons profils, voire aux qualités supposées des demandeurs d’emploi : « Aujourd’hui,

j’ai encore des gens qui viennent de Pôle emploi déposer un CV qui me demandent à ce qu’on leur mette un tampon comme quoi ils ont déposé le CV. Ils ne cherchent pas d’emploi ces gens-là ! »

[directeur de supermarché]

Cette dernière critique fait écho aux discours tenus par des employeurs de main-d’œuvre peu qualifiée dans six pays européens83 analysés par Bonoli et Hinrichs (2010) : la politique d’activation des re- cherches d’emploi, qui s’est généralisée en Europe, aurait un effet pervers sur le jugement des em- ployeurs quant au sérieux des démarches des chômeurs. Ces derniers agiraient par peur de la sanction administrative. De manière absolument inverse aux objectifs des politiques d’activation, les deman- deurs d’emploi ne seraient pas jugés plus motivés parce que plus actifs dans leur recherche, mais au contraire encore plus suspectés de se présenter sans réelle motivation, par obligation.

Une telle défiance vis-à-vis de l’intermédiaire Pôle emploi ne semble pas de mise dès lors qu’il s’agit de toucher un public d’étudiants ou de jeunes diplômés, c’est-à-dire ceux qui ne risquent pas de fréquenter les missions locales et d’être des chômeurs indemnisés peu motivés. Les candidats envoyés par Pôle emploi peuvent également être valorisés aux yeux du recruteur, s’il existe une relation de confiance avec l’agent qui a présélectionné les candidatures. « Ça dépend des personnes

avec lesquelles on travaille, mais on a eu la chance de travailler avec une conseillère qui était vraiment super, qui avait vraiment compris nos problématiques, maintenant elle est partie… » [res-

ponsable du recrutement - banque de détail] Ainsi, si l’agent de Pôle emploi est connu et apprécié, si par exemple il appartient au sens large au réseau professionnel, alors le recruteur ne remet pas en cause la pertinence des candidatures reçues par ce canal84.

La méthode de recrutement par simulation (MRS)

Pôle emploi n’est pas seulement un diffuseur d’annonces ou un canal qui permet d’accéder au vivier « diversité » (en reprenant l’expression imagée de la monographie hôtellerie-restauration). Il est également pourvoyeur de méthodes, susceptibles de faire évoluer les recruteurs sur leurs pratiques et leurs a priori sur les candidats. En particulier, la MRS a été évoquée par différents de nos interlo- cuteurs. Tous les projets de MRS intégraient à l’origine un objectif de diversification de la main- d’œuvre, même s’il était parfois couplé à un besoin organisationnel (ouverture de magasins…). Il s’agit du canal le plus outillé pour élargir le sourcing. De fait, des recruteurs reconnaissent avoir embauché des personnes qu’ils n’auraient pas retenues sur CV, ou des agents de Pôle emploi sont fiers d’avoir placé des personnes ayant un patronyme qui a priori fait tiquer les employeurs.

83 Allemagne, Danemark, Hongrie, Italie, Slovénie et Suisse.

84 À partir des données Ofer, Bessy et Larquier (2010) montrent bien que la qualité de l’appariement ne dépend pas de la capacité de

l’intermédiaire à diffuser une offre, mais bien plutôt des conseils que celui-ci peut apporter au recruteur. En outre, vis-à-vis de l’intermédiaire public, c’est plus qu’ailleurs une attente de présélection qui est souhaitée par les recruteurs. On interprétait déjà cela comme résultat d’une suspicion vis-à-vis du public touché par ce canal.

Pourtant, dans la majorité des cas, les entreprises ont abandonné par la suite le recours à cette mé- thode. Les tests d’habiletés, le cœur de la MRS, ne sont pas remis en cause ; au contraire, ils peu- vent même inspirer un directeur de magasin l’idée d’intégrer des tests sur caisse au lieu de juger les compétences seulement par le biais d’un entretien. À quoi tiennent dès lors ces abandons ?

Les critiques que nous avons entendues peuvent être rassemblées en trois catégories. Pour les pe- tites structures, la MRS implique une masse d’entretiens à assurer en très peu de temps, ce qui donne l’impression de consommer beaucoup de temps et d’énergie pour quelques recrutés. Les ca- pacités RH de ces entreprises sont plus adaptées à un recrutement au « fil de l’eau », incompatible avec l’échelle plus conséquente des opérations MRS. Pour les grosses structures, recevoir tous les candidats ayant réussi les exercices préalables ne pose pas de problème logistique. Mais l’interdiction de prendre en main la suite de l’évaluation avec leurs propres outils détourne les banques de la méthode. Enfin, certains recruteurs ont voulu utiliser la MRS pour mener une poli- tique active de diversification de leur main-d’œuvre en recrutant des seniors. Or, Pôle emploi refuse de discriminer les candidats à la MRS selon leur âge. Sachant que les jeunes réussissent mieux les exercices de la MRS (Capelier et alii, 2010), l’objectif initial du recruteur entre en contradiction avec la logique de l’opérateur public.