• Aucun résultat trouvé

Pétrole-apocalypse et tourisme de proximité

Dans le document en fr (Page 48-52)

Carte 1. La région métropolitaine de Barcelone et sa situation en Europe

2. Le développement des moyens de transport, une histoire de proximité et distance

2.4. Pétrole-apocalypse et tourisme de proximité

Dans un contexte de transition écologique où la limitation des impacts liés à une utilisation abusive de l’avion s’avère nécessaire, ce tourisme de proximité s’inscrit dans une stratégie visant à la réduction de l’empreinte environnementale du tourisme. Cette stratégie intègre concrètement des préconisations concernant la consommation de produits locaux et l’encouragement, d’un côté, pour les destinations, de promouvoir les marchés de proximité et, de l’autre, pour les visiteurs, de les choisir (ATOUT-France 2015). Quand un long déplacement est nécessaire, les stratégies associées à la transition écologique préconisent l’utilisation de moyens de transport générant peu d’émissions de gaz à effet de serre, comme le train, et la prolongation de la durée des séjours (Verlomme 2008). Dans ce contexte, de nouveaux enjeux émergent pour les formes récréatives de proximité, notamment en lien avec un éventuel scénario de l’après-pétrole (Callot 2013; Dubois et al. 2011), où la pénurie d’énergies fossiles provoquerait une hausse exorbitante du prix des carburants (Houssin 2005), ce qui rendrait le voyage, tel qu’on le connaît aujourd’hui en termes d’accessibilité et de prix, impossible. Ce phénomène n’est qu’un des aspects de la vulnérabilité de cette pratique qui, par sa transversalité, doit affronter de nombreux facteurs d’incertitude. Face à la perspective d’une impossibilité de voyager loin dans des conditions identiques à celles que nous connaissons actuellement, il existe des discours encourageant le voyage aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop

46

tard : « Voyagez tant que vous pouvez maintenant, car le coût des voyages en avion va devenir exorbitant ! » (Bourdeau 2013, 22).

Callot (2013) analyse deux situations qui pourraient advenir dans ce contexte de l’après-pétrole, pour lesquelles il y aurait des scénarios alternatifs (voir Tableau 3), qui nous permettront de saisir les enjeux associés au développement des formes récréatives de proximité.

Tableau 3. Présentation des propositions touristiques dans un cadre après-pétrole. P1 – Substituts trouvés et disponibles pour les

voyages

P2 – Substituts trouvés mais non disponibles (voyages)

p1a Prix inaccessible p1b – p1c Prix accessible p2a Immobilité p2b Mobilité douce Qualification Tourisme de la distinction nostalgique massification vertueuse p1b massification non-vertueuse p1c Staycation & tourisme virtuel Slow tourism & tourisme de proximité Source : Callot (2013, 137).

La première situation se base sur l’hypothèse d’une absence de pétrole, mais de l’existence d’autres énergies pouvant le remplacer et qui pourraient être disponibles pour le tourisme. La deuxième situation est celle d’une absence de pétrole avec des énergies qui pourraient le remplacer, mais qui ne seraient pas disponibles pour voyager.

Dans l’hypothèse où des énergies alternatives seraient assez développées pour prendre en charge le volume des besoins touristiques, Callot envisage deux possibilités, selon que le tarif reste accessible ou non. Si le tarif est inaccessible, l’usage des moyens de transport les plus consommateurs, comme l’avion ou la voiture, serait à nouveau réservé aux élites. Le tourisme, dans un scénario où il continuerait sur les mêmes bases (fortes mobilités, longs déplacements et courts séjours), deviendrait extrêmement cher et ne serait plus prioritaire, car les coûts liés à la production de l’énergie nécessaire pour l’activité deviendraient des coûts prohibitifs. Pour décrire cette situation, Callot utilise la notion de « tourisme de la distinction nostalgique ». Autrement dit, le tourisme serait une affaire de luxe pour lequel le commun des mortels ne pourrait qu’être nostalgique d’un passé où le voyage était accessible à tous.

47

Si le tarif est accessible, alors Callot décrit deux possibilités : la « massification vertueuse » et la « massification non-vertueuse ». La première correspondrait à un tourisme accessible à tous (du moins aux mêmes qu’aujourd’hui) dans lequel les visiteurs mettraient en place des stratégies respectueuses de l’environnement, car ils auraient appris des erreurs du passé et agiraient en conséquence :

« des gestes pour l’environnement, moins de rejets, une eau économisée, des déplacements optimisés -covoiturages, développement des modes de transport alternatifs, […] en bref une optimisation de "l’énergie nécessaire aux loisirs" » (2013, 135).

Ils utiliseraient moins l’avion et voyageraient moins loin, ce qui valoriserait les loisirs et le tourisme de proximité.

La deuxième possibilité concernerait les visiteurs qui garderaient les mêmes habitudes et les mêmes pratiques, même dans un contexte où le pétrole n’existerait plus et où d’autres formes énergétiques le remplaceraient. Callot indique que ces individus resteraient toujours dépendants des progrès et des alternatives énergétiques pour pouvoir consolider leurs attitudes face au voyage.

Dans l’hypothèse où des énergies substitutives du pétrole existeraient, mais ne seraient pas encore disponibles pour les voyages, deux propositions sont envisagées. D’un côté, la configuration de l’immobilité se rapprocherait le plus de la fin du tourisme par un « renoncement au voyage (physique) » (2013, 136). Dans ce scénario, le voyage aurait lieu dans l’espace virtuel, comme De Maistre voyageait déjà autour de sa chambre en 1794 (2004) ou comme nous voyageons à travers les pages d’un livre sans avoir besoin de nous déplacer physiquement. Aujourd’hui, il existe la possibilité de visiter virtuellement des musées parmi les plus importants, comme le Louvre, ou bien de parcourir les rues de n’importe quelle ville du monde où Google aurait eu accès. Le développement d’une offre de tourisme virtuel dans un contexte d’impossibilité de pratiquer un tourisme physique fait le constat que l’on ne fait pas ici face à la fin du tourisme, mais plutôt à une transformation des pratiques touristiques. Nous pouvons, par conséquent, interpréter cela comme la preuve que le tourisme fait irrémédiablement partie des pratiques et des représentations des individus et que l’on n’envisage plus une vie sans voyager.

De l’autre côté, les propositions basées sur une mobilité douce ou réduite constitueraient une réponse face à l’inégalité de l’accès au voyage. En effet, si demain les moyens de transport tels que l’avion ou la voiture ne sont accessibles qu’aux élites, le reste des individus, pour pouvoir continuer

48

à voyager pour le plaisir, sera dans l’obligation de trouver des formes alternatives de voyage. C’est dans ce cadre-là que l’on trouve l’offre de proximité, investie de valeurs de respect de l’environnement. L’utilisation de transports lents peut également constituer une alternative pour les longs voyages :

« Quitte à partir loin nous devrions voir un nombre croissant de propositions de voyages en bateau, à bord de trains lents […], valorisant à part égale l’expérience vécue aux escales et celle vécue pendant le trajet » (Callot 2013, 136).

Dans ce scénario, la distance redeviendrait une épreuve :

« [La distance] donnerait à l’aventure un rôle à nouveau intéressant. Vive la pétrole- apocalypse que certains nous promettent et que nous n’avons pas su anticiper, à force de suffisance et de vision courte ! Elle au moins nous poussera à agir » (Christin 2008, 103).

Le besoin d’adapter l’activité touristique aux défis environnementaux contemporains et futurs a contribué à un développement de l’intérêt touristique vers les destinations de proximité. Ce tourisme de proximité est souvent associé au mouvement slow (Babou et Callot 2007), qui place la lenteur au cœur de toutes les pratiques. Ce mouvement ne concerne pas seulement des questions environnementales, mais aussi sociales, économiques, identitaires, etc. (Honoré 2005). Ainsi, le tourisme et les loisirs de proximité se voient attribuer des valeurs perçues comme positives dans un contexte mondialisé : la faible distance, la fidélité, la mobilisation d’acteurs, la mise des habitants au centre du projet et l’utilisation d’outils collaboratifs plus congruents pour transmettre les émotions (Condamines 2006; Gold 2010).

Le tourisme et les loisirs de proximité sont souvent associés à la valorisation du patrimoine et de l’identité locale. Ce phénomène se comprend comme une réaction au contexte mondialisé que nous avons évoqué (Arrieta Urtizberea, Hernández León, et Andreu Tomàs 2016). Le tourisme à une échelle locale « peut [donc] être étudié comme produit d’une société globale ou analysant la culture locale réinventée de par sa confrontation au tourisme qu’elle subit/génère » (Amirou et Bachimon 2000, 13). Suivant cette idée, la volonté d’investir les lieux de proximité par des pratiques récréatives est parfois conçue comme une réaction anti-touristique.

Le tourisme de proximité est valorisé en tant que forme de tourisme responsable, mais quel est l’intérêt de cette pratique pour le visiteur ? Comment les destinations de proximité deviennent-elles attirantes pour la visite ? Comment l’expérience du dépaysement peut-elle être vécue dans un cadre

49

intensément associé au quotidien ? Comment le visiteur peut-il devenir touriste chez lui ? Les prochaines pages se pencheront sur la notion du dépaysement et sur la manière dont elle s’articule dans un contexte de proximité.

3. Tourisme, dépaysement et la question de

Dans le document en fr (Page 48-52)