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Notions liées à l’expérience géographique de l’être humain dans le monde

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expérience de l’espace « La phénoménologie ouvre un horizon de

3. Notions liées à l’expérience géographique de l’être humain dans le monde

Les idées d’Heidegger ont eu une grande influence, notamment en géographie. L’intérêt principal du courant phénoménologique est la compréhension de l’expérience humaine dans le contexte du monde : quel est le sens de l’immersion inéluctable de l’être humain dans un monde géographique ? Quelle est la nature essentielle de la manière dont l’être humain habite la Terre ? (Seamon 2015). Autrement dit, la géographie phénoménologique se penche sur les comportements et les attitudes des êtres et des groupes humains à l’égard du milieu qu’ils habitent en fonction des représentations, perceptions et modalités d’action et de décision de chacun (Chante 2016).

Quel est le sens du lieu, de l’espace et du milieu dans cette approche ? Berque (2010) réfléchit autour de ces trois notions et définit le milieu comme ce qui est en même temps au centre et autour, comme ce qui est nécessaire à la concrétisation de l’être (être-là), ce sans quoi il n’y aurait pas d’existence. L’espace géographique est souvent défini comme un « ensemble de lieux et de lignes […] mettant en relation [ces lieux]. Il est une condition nécessaire à l’existence et à l’expérience des lieux » (Ciattoni et Veyret 2013, 18). Ces mêmes auteurs le définissent également comme « l’ensemble de lieux et de relations qui s’établissent entre ces lieux » (2013, 20). Ces interactions spatiales sont les responsables des caractéristiques locales (Overend 2012), car ces « mouvements créent selon les lieux de l’accumulation ou des prélèvements, des appartenances à des champs de forces différents, des lignes de partage, de barrières, de la différenciation spatiale » (Ciattoni et Veyret 2013, 20).

Pour certains auteurs au-delà de l’approche phénoménologique, l’espace se transforme en lieu lorsqu’il est investi de sens (Talbot 2009; Tuan 2011) tandis que pour d’autres il s’agit d’une entité culturellement construite : formée, acceptée et rejetée, qui n’est jamais vide de sens (Soja 1996). Pour Berque (2010), l’espace est homogène, isotrope, infini. Il relève de l’abstraction, c’est l’espace de la géométrie euclidienne, newtonien, séparable des choses et préexistant aux corps. C’est la feuille blanche sur laquelle reposent les coordonnées cartésiennes.

L’espace est intrinsèquement lié au temps (Santos 2000). Un mouvement dans l’espace est également un mouvement dans le temps (Talbot 2009). Santos (2000) souligne l’importance de traiter l’espace et le temps de manière systématique dans le cadre d’un milieu géographique. Pour cela, le temps doit être concret, empirique, et il considère que l’évènement permet cette

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concrétisation. Ainsi, l’expérience de la visite que nous analyserons constitue un évènement, ce qui nous permet de la situer non seulement dans l’espace et le temps, mais surtout comme un évènement dans l’expérience vécue de l’individu, suivant l’approche phénoménologique.

Le lieu est défini par Berque (2010) comme là où il y a quelque chose. Le lieu est limité et fixe tandis que l’objet qu’il situe est mobile. En géographie, les définitions de lieu et d’espace sont souvent énoncées ensemble et mises en relation avec la dichotomie mouvement-fixation : « l’espace permet le mouvement, le lieu est une pause » (Tuan 2011, 12). Cette pause est également conceptualisée sous le terme de l’ancrage (Retaillé 2012). Le lieu, par rapport à l’espace, est une entité spécifique qui détermine la position du croisement de diverses variables (Allen et Leriche 2005). Ce croisement est unique dans sa localisation et ses composantes, ce qui rend le lieu également unique.

La notion de territoire est proche de celle du lieu, car le territoire s’inscrit dans un « jeu de représentations sociales et culturelles qui lui confèrent une part majeure de son sens » (Ciattoni et Veyret 2013, 104). Cette notion ne se limite donc pas à décrire une étendue spatiale. Un territoire est objectivement organisé et culturellement inventé (Tizon 1996). Il est aménagé et fait l’objet de représentations. Il est souvent associé au sentiment d’appartenance et à l’identité. Le sentiment d’appropriation d’un territoire peut se développer dans deux sens (m’appartient ou j’appartiens) avec des implications très différentes (Brunet, Ferras, et Théry 1992). Dans cet esprit, la

territorialité « cumule les différents rapports territoriaux de chaque individu » (Ciattoni et Veyret

2013, 104), notamment des rapports émotionnels tandis que la territorialisation décrit aussi les rapports entre l’individu et l’espace géographique, mais l’accent ici est placé sur la question des représentations individuelles et collectives de l’espace et leurs impacts sur ces rapports. Pour Ciattoni et Veyret, « derrière les matérialités de l’espace géographique se devine la force de ces espaces cognitifs dont la construction s’alimente autant de construits d’ordre psychologique ou culturel que de pratiques concrètes » (2013, 27). De ce point de vue, les représentations impactent les pratiques et les pratiques développent les représentations. La territorialisation s’inscrit dans ces deux processus.

Finalement, outre les notions de milieu, lieu, espace-temps et territoire comme scènes de l’expérience géographique à travers laquelle l’être humain habite le monde et outre les notions décrivant les processus d’attribution de sens telles que la territorialité ou la territorialisation, Berque

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(2010) propose le concept d’écoumène pour définir la relation humaine à l’étendue terrestre. Suivant les idées de cet auteur, cette relation débute au sein de l’individu lui-même où la médiance détermine une division de l’individu entre son corps animal physiologique individuel (topos) et son corps médial (Dasein), diffusé dans le milieu (chôra) (2000) et commun à d’autres êtres humains. Autrement dit, d’après Berque, l’individu est composé d’un corps physique limité et situé et d’un corps abstrait composé de sens et de significations pouvant être partagés avec d’autres individus. Cette dualité s’opère par la médiance.

Le partage des perceptions entre différents individus pris dans une même situation peut être fictif dans la mesure où les habitants vivent dans des mondes parallèles constitués à chaque instant en fonction du contexte et de leurs consciences dans un jeu de cospatialité et de coexistence (Merleau- Ponty 1945; Hoyaux 2016). Le contexte est ici compris comme une projection située où l’habitant est toujours déjà ailleurs que là où il est physiquement, ce qui provoque un choc de situations entre la réalité qu’il a anticipée et les stratégies de détournement de ses coexistants (Hoyaux 2016). La phénoménologie et plus précisément la géographie phénoménologique se sont intéressées à la place du corps dans les rapports entre l’individu et le cadre spatio-temporel où il se situe (cadre auquel il confère des sens émotionnels, identitaires, où il réalise ses pratiques quotidiennes et extraordinaires, qu’il investit de représentations, etc.). La phénoménologie de Merleau-Ponty conçoit le corps comme le moyen de communication de chaque être humain avec le monde, la nature incarnée de notre rapport au monde (Jonathan A. Smith, Flowers, et Larkin 2009), une structure structurée et qui structure (Angelino 2008) ayant une intentionnalité propre, ce qui explique tous ces gestes et mouvements appris et inconsciemment reproduits (Seamon 2015) que l’on a précédemment évoqués en tant que composantes du monde de la vie. Dans le cadre de l’analyse interprétative phénoménologique, la théorie du corps-sujet de Merleau-Ponty est notamment mobilisée lorsqu’il s’agit d’analyser l’expérience de chaque individu comme une expérience incarnée dans sa position dans le monde, une position ne pouvant pas être partagée (Jonathan A. Smith, Flowers, et Larkin 2009).

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4. Approches autour de la construction de

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