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2. Champs d’observation

2.1 Le jeu à des fins éducatives

2.1.1 Pérégrinations historiques et disciplinaires

On ne peut dater précisément l’origine du jeu. Celle-ci d’ailleurs, remonte certainement bien avant que l’homme ne puisse poser des mots sur les activités qui l’occupaient.

Cité par Goossens (1952, p.151), Hérodote rapporte au Ve siècle avant notre ère dans un mélange d’histoire et de mythologie, que ce seraient les lydiens (peuple d’Asie mineure) qui inventèrent le jeu. Il dit: « les jeux pratiqués maintenant chez eux et chez les Grecs

seraient également de leur invention ». C’est pour ainsi dire le premier écrit où il est

véritablement fait mention du jeu. Bien plus tard, dans les années 1980, Cotta « souligne que

les jeux, qu’ils soient de corps, d’intelligence ou d’argent envahissent la sphère économique et sociale » (Craipeau, 2011, p.15). C’est dire l’importance que leur confère aujourd’hui notre

société. L’auteur va plus loin et donne des informations tout à fait factuelles, attestant de cette importance : elle devient en effet « considérable puisqu’elle oscille, selon les nations, entre 5

et 6 du produit national » (op.cit.).

Il est pour la première fois fait mention de jeux à des fins pédagogiques à peine cent ans après les propos rapportés par Hérodote. Aristote et Platon apparaissent alors comme les

29 premiers défenseurs du jeu « comme moyen d’apprentissage » (Sauvé, 1995, p.44). Pour étayer ses dires, Sauvé précise que « c’est d’ailleurs à ce dernier [Platon] que nous devons ce

conseil adressé aux pédagogues : ‘n’usez pas de violence envers les enfants, faites plutôt qu’ils s’instruisent en jouant’ ». Bien que Barthélémy-Ruiz (1993, p.15) dise qu’à toute

époque, « des jeux ont été inventé directement aux fins de pédagogie », il semblerait que les premières évocations de « jeu sérieux » à proprement parler n’apparaissent qu’aux XVe et XVIe siècles dans la péninsule italienne : on parlait de « ‘serio ludere’ » (Alvarez, Djaouti, 2010, p.95). Cet oxymore « renvoie notamment à l’idée d’utiliser l’humour pour faire passer

des notions sérieuses » (op.cit.). Le puzzle par exemple apparait comme un bon moyen

d’apprentissage et « servit d’abord pour enseigner la géographie » (Barthélémy-Ruiz (1993, p.15). Béville (1986, p.45) rapporte à ce sujet (tout en faisant référence au puzzle inventé par John Spilsbury en 1760) qu’« à quatre ans, le fils de Lord Spencer connaissait la position

géographique de tous les royaumes, pays, comtés, villes et fleuves du monde ».

C’est à partir seulement de la seconde moitié du XXe

siècle, que l’on parle pour la première fois de « serious game ». Selon, Alvarez et Djaouti (2010, p.13), c’est à Abt que nous le devons, lors de la parution d’un « ouvrage éponyme (…) publié en 1970 ». Inutile de préciser qu’aujourd’hui, lorsque l’on parle de « serious game », l’assimilation à l’outil informatique devient quais-naturelle. Pourtant, « bien qu’inspirés par les premières

simulations informatiques » (op.cit.) les auteurs publiant à cette période ne se limitent pas

uniquement à l’utilisation de l’informatique, si bien que comme le rappellent Alvarez et Djaouti, « dans les années 1970, un Serious Game peut donc être un jeu sur ordinateur, un

jeu de société, un jeu de rôle ou même un jeu de plein air » (op.cit.). Aujourd’hui, il est clair

que ce n’est plus le cas, et des distinctions peuvent être faites entre les caractéristiques et les apports d’un jeu dématérialisé d’une part, et ceux d’un jeu de plateau d’une autre (cf. infra. partie 3.1.1, p. 50). Quoi qu’il en soit, de nos jours, la formation par le jeu « semble prendre

une place croissante » (Séminaire sur les Jeux en Entreprise et la Formation Professionnelle,

Grenoble, 2008, p.3), et spécifiquement en entreprise. Le seul fait de produire cette modeste étude, accote cette affirmation : le jeu en entreprise devient un élément de réflexion qui pose question.

Cette courte chronologie cite plusieurs auteurs venant d’horizons de recherche tout à fait différents. A travers l’histoire, le jeu est en effet devenu un sujet d’étude pour certaines disciplines scientifiques, en Sciences Humaines notamment. Comme le dit Caillois (1967,

30 p.311), « le monde des jeux est si varié et si complexe qu’il existe de nombreuses façons d’en

aborder l’étude ». L’auteur regrette que l’unité du jeu « finit par ne plus être perceptible »

(Caillois, 1967, p.311), et énumère : « la psychologie, la sociologie, la petite histoire, la

pédagogie et les mathématiques » (op.cit.), auxquelles Greve rajoute les dimensions

« philosophique, biologique (…), médicale, historique, sociale ou culturelle » (Brougère, Rayna, 2010, p.118). Paradoxalement, malgré cette abondance de domaines de recherches, Brougère (2005, p.12) précise qu’en France, et plus largement dans les pays francophones, « la recherche est rare pour ne pas dire absente » concernant le jeu. Ce constat est d’autant plus vrai en ce qui se rapporte à l’association du jeu et de l’apprentissage, d’où cette certaine difficulté à rassembler des écrits.

Il n’y aurait bien sûr pas de sens à faire l’état des lieux de tous les paradigmes de pensée qui existent autour du jeu. Mais il semble bon, et surtout il peut y avoir un intérêt à reprendre brièvement des idées transverses à plusieurs disciplines. Idées qui paraissent par conséquent assez unanimement concédées au jeu.

A travers un angle plutôt philosophique par exemple, Greve (Brougère, Rayna, 2010, p.118) rapporte que « le jeu peut être considéré comme une disposition, une certaine

manière d’être et de communiquer ». Nous verrons, c’est vrai, que le jeu peut apparaitre

comme un facteur sociabilisant (cf. infra. partie 2.3.1, p. 45). D’un point de vue psychanalytique maintenant, Brougère (2005, p.21) nous apprend que « l’interprétation (…)

proposée par Freud » et ses disciples fait apparaitre le jeu comme « une sortie du réel au profit du principe du plaisir, mais pouvant avoir des effets sur le réel » (op.cit.). Nous verrons

que cet élément est constitutif du jeu, et apparait plutôt favorable à l’association jeu/apprentissage (cf. infra. partie 2.1.2, p.31). Selon des considérations psychologiques enfin, Brougère, cité par Roucous et Haberbush (Brougère, Rayna, 2010, p.202) introduit la notion d’affordance. Elle montre notamment que le jeu ou « le jouet par sa forme même et les images

qu’il porte, met à disposition (afford en anglais) de l’enfant des actions possibles que la simple perception permettra d’activer » (op.cit.). Cette dernière notion démontre à quel point

le jeu apparait comme un vecteur psychologique formidable ; il doit stimuler la perception de l’individu.

Assez logiquement, les études psychologiques menées s’attachent non pas aux relations entretenues par l’adulte au jeu, mais plutôt à celles entretenues par l’enfant : « les

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théories les plus présentes sur le marché tentent d’expliquer le jeu en le réduisant à l’enfance » (Brougère, 2005, p.9). Cette logique qui prévaut ici, n’est autre qu’une contrainte

sociétale, car jusqu’à présent dans nos sociétés occidentales, il était commun de penser que l’adulte ne jouait pas (ou peu). Brougère clarifie cependant la situation, et précise que « les

enfants ne sont pas les seuls à jouer » (op.cit.). Barthélémy-Ruiz (1993, p.103) constate même

que « la pratique du jeu est quasiment aussi répandue dans la population adulte que chez les

plus jeunes ». Et l’auteure de compléter pour nuancer son propos : « elle reste acceptée pour les premiers seulement dans le champ du loisir » (op.cit.).

Voilà qui est donc avéré : l’adulte joue. Et c’est justement parce que l’adulte joue que le jeu existe : Sans joueur, pas de jeu.