• Aucun résultat trouvé

2. Champs d’observation

2.1 Le jeu à des fins éducatives

2.1.3 Le lude ; l’essence même du jeu

On ne peut faire l’expérience du lude simplement, comme ça. Béville (1986, p.96) indique qu’ « on ne joue pas pour rien. On joue pour quelque chose, ne serait-ce que pour le

plaisir ». Partoune (2013, online) ajoute que « l’attitude ludiquecorrespond à un désir naturel et à une nécessité vitale » de l’homme. Nous avons vu que le jeu (cf. supra. partie 2.1.2, p. 31)

favorise l’estime de soi. A travers les propos tenus par Partoune, et maintenant que nous avons fait la découverte du lude, on peut se demander si ce n’est pas plutôt grâce aux « activités ludiques libres et spontanées » (op.cit.) comprises dans le jeu, que se développe l’autonomie chez le joueur. Celui-ci est en effet « délibérément à la manœuvre et assume les

conséquences que ses actes entraînent » (op.cit.).

Qu’est-ce que le lude ? Barthélémy-Ruiz (1993, p.84) expose efficacement la classification des activités ludiques proposée par Caillois qui « distingue derrière elles quatre

ressorts essentiels ». Tentons d’y voir un peu plus clair. Le premier ressort est la compétition,

ou agôn en grec ancien. Elle « implique une rivalité combinée avec une égalité des chances » (op.cit.). Caillois (1967, p.57) précise à ce sujet que « l’agôn est une revendication de la

responsabilité personnelle ». C’est-à-dire, que le niveau d’implication du joueur dans la

compétition orchestrée par le jeu, ne dépend que de lui seul. Le deuxième ressort est le hasard, ou aléa. Il s’agit ici d’une « démission de la volonté, un abandon au destin » (op.cit.). L’aléa est donc diamétralement opposé à l’âgon, mais ces deux ressorts obéissent néanmoins tous deux à une même loi : « des conditions d’égalité pure [créées artificiellement] que la réalité

34

refuse aux hommes ». Le second degré et la frivolité semblent ainsi surgir de ces deux

premiers ressorts. Le troisième ressort est appelé simulacre ou mimicry en anglais. Il implique une illusion. Le quatrième ressort enfin, est le vertige, qui permet de trouver du plaisir tout en s’étourdissant.

Afin de saisir au mieux le fonctionnement d’une activité ludique, Caillois propose trois types de combinaisons, faisant travailler et évoluer ces ressorts entre eux. Selon Barthélémy- Ruiz (1993, p.85), « certaines peuvent faire naître des jeux, d’autres non ». Caillois classe ces combinaisons de la façon suivante. Les combinaisons fondamentales mettent en exergue l’aléa et l’agôn d’un côté, et le simulacre et le vertige de l’autre. La première association correspond aux jeux (celle qui nous intéresse), la seconde, à toute activité semblable à un carnaval par exemple. Les deux autres combinaisons ne concordent fondamentalement pas avec le sujet de cet écrit. Par soucis de clarté, nous ne ferons que les énoncer sans entrer dans leurs caractéristiques propres : il s’agit des combinaisons contingentes et interdites.

Le lude repose pour Caillois (1967, p.25) « sans doute sur le plaisir de vaincre

l’obstacle », arbitraire et fictif « fait à mesure du joueur et accepté par lui » (op.cit.). Cette

idée converge avec celle d’Elias qui, cité par Craipeau (2011, p.23) dit que « ce que nous

recherchons dans les activités de loisir n’est pas le relâchement de la tension, mais au contraire un type spécifique de tension, une forme d’excitation ». Cette théorie s’inscrit en

opposition à l’effet cathartique du loisir, du lude, défendu par Aristote. Il pensait en effet que l’activité ludique « permettait de purger les passions » (op.cit.)…

Elias et Caillois, en avançant ces idées de plaisir, de tension et d’excitation se rapprochent d’un concept développé par Csíkszentmihályi : le flow. C’est en observant les adultes dans leurs activités qu’il a pu définir ce concept qui « réfère à l’état subjectif de se

sentir bien » (Heutte, 2010, p1). Le flow, « ou expérience optimale » (Brougère, 2005, p.100)

est déterminé par huit caractéristiques qui nous semblent essentielles à retenir lors de conceptions éventuelles de jeux pédagogiques. Pour permettre au joueur d’atteindre le flow, un équilibre le plus efficient possible doit être trouvé entre ces caractéristiques : Pour commencer, la tâche entreprise doit être « réalisable mais constitue un défi et exige une

aptitude particulière » (op.cit.). Le joueur sera ainsi contraint à se mettre en recherche de

solutions. Il devra se concentrer « sur ce qu’il fait » (op.cit.) si tant est que « la cible visée est

35 d’un jeu sérieux au contrôle de l’acquisition des connaissances, ou à de l’évaluation. « L’engagement de l’individu [doit être profond] et faire disparaitre toute distraction » (op.cit.), ce qui fait écho à sa concentration. Il doit exercer au maximum « le contrôle de ses

actions » (op.cit.), et faire disparaitre « la préoccupation de soi » (op.cit.). Enfin, si « la perception de la durée est altérée », le joueur pourra atteindre le flow. Ne dit-on pas

d’ailleurs : le temps passe plus vite quand on s’amuse ?

Le concept de flow mis en avant par Csíkszentmihályi introduit une dimension d’équilibre qu’il faut impérativement avoir à l’esprit au moment de la conception d’un jeu.

D’après lui en effet, « une activité qui ne stimule pas (…) ne peut produire cette expérience

optimale. A l’opposé quand le défi est trop important, le risque de l’échec est trop fort »

(Brougère, 2005, p.101). Il doit y avoir en réalité un savant dosage entre prise de risque pour le joueur, et mise en confiance. Car comme le précise Heutte (2010, p.2), cette expérience « renforce [d’autant plus] l’estime de soi ».

Il s’avère plus facile de donner une définition acceptée de tous concernant le lude que concernant le jeu. Or, nous nous devons néanmoins de proposer ici un éclairage, pour faciliter la compréhension de la suite du déroulement, et s’entendre tout de même sur ce qu’est le jeu. Très simplement, Barthélémy-Ruiz (1993, p.92) caractérise le jeu en quelques mots. Pour elle, le jeu est un ensemble « comprenant au moins des règles, des joueurs, une compétition ou un

problème à résoudre, et un but à atteindre à la fin de la partie, mais dont on ne sait pas à l’avance si on le touchera ». Il s’agit certes d’une des propositions les plus consensuelles

concernant le jeu, mais elle a au moins le mérite de satisfaire, et d’accorder le plus grand nombre. Brougère (2005, p.102) nous dit aussi que le jeu serait « le moyen de maximiser la

possibilité d’atteindre l’expérience subjective (…) à travers des moyens objectifs ». Cette

seule phrase entérine les dimensions susmentionnées que sont la frivolité et le second degré (liés à la subjectivité). Partoune (2013, online) enfin, précise que « l’hypothèse que le jeu n’a

d’autre finalité apparente que le plaisir de jouer n’est pas satisfaisante au regard des observations réalisées par les chercheurs ». On peut rapprocher cette affirmation du côté de

l’accomplissement de la tâche et de l’engagement mis en avant par Sauvé (cf. supra. partie 2.1.2, p. 31).

A l’aide des travaux rapportés de ces auteurs, le jeu sera donc pour nous : une activité à base ludique dans laquelle des joueurs évolueront dans un espace frivole et de second

36

degré, cet espace leur permettant un certain engagement équilibré (à tout de point de vue)

dans lequel ils feront la connaissance du flow.

Après avoir vu les attributs qualificatifs du jeu, et avoir fait la lumière sur ce qu’il est fondamentalement, attachons nous désormais à notre réel sujet d’étude qu’est le jeu en tant que méthode d’apprentissage. Comme le précise Barthélémy-Ruiz (1993, p.15) « spécialistes

du jeu et spécialistes de formation sont en général d’accord : ils ne tiennent pas aux mélanges ». Cette vérité n’a pas, nous le verrons, facilité cette étude. La plupart des

ludologues en effet s’insurgent contre le jeu « utilisé à des fins éducatives » (op.cit.), en

argumentant un évanouissement de celui-ci « dès qu’il est récupéré » (op.cit.). A l’inverse, selon l’auteur toujours « pour un nombre non négligeable de spécialistes de pédagogie, la

formation perdrait son sérieux dans l’utilisation du ressort ludique » (op.cit.). Tentons de voir

s’il convient d’infirmer ou non les craintes exprimées par ces ludologues et pédagogues.