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3. Expérience de la mise en place d’un jeu pédagogique

4.3 Les points de vigilance

4.3.2 Un équilibre à adopter

D’après les personnes interrogées, le second point de vigilance à avoir à l’esprit par rapport au jeu en formation, s’attache à une certaine notion d’ « équilibre », envisagée à trois niveaux : premièrement, d’un point de vue plutôt macro, il s’agit de la place du jeu pédagogique à adopter dans un parcours de formation global : tous sont assez unanimes sur le manque d’intérêt de construire et de suivre une formation complète par le jeu. Le second niveau mis en avant s’attache quant à lui à l’équilibre qu’il est nécessaire d’avoir dans un jeu de formation entre le lude d’un côté, et l’apprentissage de l’autre. Le troisième niveau enfin reprend la logique de compétition, l’agôn développé par Caillois. Nous verrons à ce sujet que les avis divergent en fonction des intervenants.

Comme nous l’avons vu (cf. supra. partie 4.1.4, p.75) certains apprenants (se revendiquant eux-mêmes comme étant plutôt scolaires dans leur apprentissage) ne sont pas de prime abord séduits par le jeu en formation. Elodie, déclare par exemple que pour certains points (plutôt techniques) « c’est quand-même nécessaire d’avoir une partie bien structurée » (l.92/93) : la formation classique relevant de plus de structure selon elle. Elle tempère tout de même son propos en disant que le jeu « reste intéressant en complément de la formation

théorique, mais pas en formation de base » (l.134/135). Chaïma précise au sujet des parcours

de formation, « qu’au début c’est fort technique, et rentrer de suite par le jeu ça ferait

beaucoup » (l.78/79). Du point de vue d’un formateur maintenant, Lionel affirme qu’on ne « peut pas faire toute une formation de plusieurs journées en jeu pédagogique » (l.48/49), « ça fait de trop » (l.74). Il ajoute qu’ « avec un jeu pédagogique on ne peut pas aller assez

loin dans une formation » (l.80). Il est aisé de constater que ni l’apprenant, ni le formateur ne pensent le jeu comme étant capable de supporter une « lourde » formation d’ordre technique. Acceptation partagée par Inès qui considère que le jeu de plateau est « bien » (l.125), « mais

84 Se pose maintenant la question de savoir à quel moment utiliser le jeu puisqu’il semble tout de même apprécié en « complément » (Chaïma, l.134) d’une formation classique. Inès trouverait sont utilisation appropriée « dans l’idée (...) du brise-glace » (l.129), tandis que Lionel la rejoignant, la plutôt verrait comme une « super introduction » (l.140). Inès perçoit un autre usage plausible et accepté du jeu en formation : en guise de clôture de « séquences,

pour alterner aussi les méthodes pédagogiques » (l.132/133). L’intérêt étant alors « d’être toujours dans le mixe » (l.541). Cela permettrait pour Lionel, qui une fois de plus partage

l’avis d’Inès, de voir d’abord « telle ou telle thématique, et après, pour une certaine

thématique (…) de faire un jeu » (l.193/194). Consciente de cet aspect, la responsable de

l’ICR indique que « plus on va être varié, plus on va pouvoir tirer le bon truc et avoir un bon

équilibre global » (l.108/109), et l’idéal serait même de disposer d’une ludothèque

conséquente qui permettrait « de valider les connaissances (...) à chaque étape » (l.132).

Ce dernier niveau s’attache donc à l’équilibre d’un parcours de formation. En complément de celui-ci, il est nécessaire selon Brougère (2005, p.148) d’atteindre un équilibre au sein même d’une session de formation dispensée à l’aide d’un jeu pédagogique parce « le

jeu devient à l’évidence éducatif s’il résulte d’une construction qui associe les contraintes de la mise en forme ludique, à celles de la mise en forme éducative ». Il rappelle cependant que

« le résultat est rarement équilibré et l’on peut analyser en chaque jeu la domination d’une

forme sur une autre » (op.cit.). Comme l’atteste la responsable de l’ICR, « la réussite (…) tient à un équilibre dans les choses » (l.257), et deux éléments sont à ne pas oublier : « il ne faut pas le [le jeu] sortir de son objectif, de son caractère ludique » (l.431), et « il ne faut pas oublier ce qu’on est en train de faire : c’est de la formation, c’est de l’évaluation »

(l.443/444). C’est au concepteur pédagogique de prendre note de ces recommandations tant bibliographiques (Brougère) que professionnelles (responsable de l’ICR), le tout étant pour le moment d’arriver à conjuguer ces deux niveaux : (1) « Il faut vraiment que ça soit cohérent

avec ce qui se passe dans les appels à ce moment-là » (Chaïma, l.32) et donc qu’il soit utilisé

au bon moment dans le parcours de formation, et (2) qu’il alterne convenablement ludique et apprentissage.

Troisième niveau enfin : comment organiser le jeu autour de l’agôn (cf. supra. partie 2.1.3, p.33) ? Que choisir entre compétition, coopétition et coopération ? Pour commencer, Chaïma n’est « pas particulièrement pour la compétition entre collègues » (l.44), et ajoute d’elle-même que « ce qui pourrait être sympa, ce serait de faire un truc par équipe »

85 (l.44). Adepte donc de la coopétition (cf. supra. partie 3.2.1, p.59) elle précise que l’avantage d’être en équipe, c’est qu’avec « ton binôme, tu cherches (…) et même s’il n’y a aucune des

deux personnes qui sait, en en parlant peut-être que t’arrives à (...) trouver » (l.49/50/51).

« C’est intéressant » (l.517) d’après la responsable de l’ICR, car cela « donne d’autres points

d’entrée » (l.517) à la conception de jeux pédagogiques. Avis que ne partage pas tout à fait

Romain pour qui « mettre deux équipes dans une entreprise en compétition (...) ; tout le

monde sait le faire » (l.291/292). Plutôt partisan de la coopération, il indique que celle-ci

permet (à travers des jeux pédagogiques coopératifs) « de mettre en évidence des

fonctionnements, des dysfonctionnements ou des améliorations de ces dysfonctionnements »

(l.314/315). Les jeux coopératifs apparaissent selon lui comme étant « structurés de façon à

ce qu’il n’y est pas de gagnant, pas de perdant mais à faire une mission ensemble »

(l.259/260). Ils favorisent, grâce à « de vrais leviers » (l.262), une justification « de l’impact

sur le groupe, ou sur l’individu dans le groupe en terme d’efficience au travail » (l.263/264).

Lionel ne partage pas cet avis, car en tant que formateur il lui semble plus judicieux de laisser le joueur/apprenant seul « pour bien cerner (…) où il en est » (l.278). Il se rapproche ainsi plus d’une logique relevant de la compétition. Par rapport à celle-ci, le problème pour Romain est qu’elle « forge plus ou moins consciemment d’ailleurs (...) une relation à l’autre, au

travail qui est toujours tintée d’une opposition » (l.285/286), et qui peut s’avérer peut-être

positive pour le rendement au travail, mais qui humainement peut laisser pour certains, à désirer.

Il n’existe donc pas « une » notion d’équilibre, mais plusieurs. La place du jeu dans le parcours de formation global, et l’alternance équilibrée à trouver entre le lude et l’apprentissage sont des données dont nous avons déjà parlé dans cet écrit. Sont-ce peut-être signes de leur importance. En revanche, en ce qui concerne l’équivoque liée à la structure sociale du jeu (compétition, coopétition, coopération), il semble qu’il soit impossible d’en tirer une conclusion figée. Tour à tour ces trois types de relations ludiques ont tantôt été décriés, tantôt applaudis.

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