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5. SYNTHÈSE GÉNÉRALE

5.2. OUTIL DE DIAGNOSTIC DES ÉCOSYSTÈMES LAGONAIRES

L’un des objectifs de l’étude est de définir un outil méthodologique pour diagnostiquer l’état de perturbation de l’écosystème lagonaire. Cette démarche vise à répondre aux besoins de gestion de l’environnement dans un contexte de développement économique. Le protocole expérimental d’une étude est conditionnée par les objectifs poursuivis. Aussi la synthèse exposée ci-dessous doit être interprétée en fonction des objectifs de chacun : les méthodes présentées doivent être adaptées à chaque contexte économique et écologique. Les résultats acquis comparés à ceux de cette étude permettent de positionner la zone étudiée sur le gradient qualitatif défini précédemment.

⇒ Les variables environnementales sont nécessaires au diagnostic : la granulométrie et la teneur en matière organique des sédiments restent deux facteurs essentiels.

⇒ Les variables relatives à la faune permettent de définir précisément l’état de perturbation du système : le groupe des polychètes de taille supérieure à 2 mm constitue un bon indicateur des conditions écologiques du milieu étudié. Dans l‘écosystème tahitien la présence de certains taxons révèle des conditions d’enrichissement fort : c’est le cas des Chaetopteridae captant le flux particulaire sur les frangeants, et des Capitellidae (Figure 52) exploitant la charge organique des sédiments des chenaux perturbés, dont l’espèce Dasybranchus sp.1 est indicatrice de conditions d’enrichissement anthropique.

Ainsi, pour définir l’état d’autres sous-systèmes benthiques de l’île de Tahiti, il suffirait de prélever, suivant le protocole de cette étude, des sédiments sur la partie frangeante et dans le chenal de la zone définie. L’analyse en laboratoire porterait sur l’estimation des taux de particules fines (< 63 µm) et de matière organique, ainsi que sur l’estimation de la biomasse totale de la faune supérieure à 2 mm et le ratio déposivores sur carnivores (en termes de biomasse) révélé précédemment ; ainsi que sur la biomasse des Chaetopteridae et des Capitellidae notamment celle de l’espèce Dasybranchus sp.1 et sur le ratio. Pour ces deux familles, les variables richesse et densité permettent de vérifier le rôle des flux particulaires dans l’écosystème et leur effets réels sur le compartiment benthique (Figure 49 et Figure 52). La seule présence des Dasybranchus sp.1 dans le chenal et une dominance de déposivores, révèlent des effets anthropiques plus ou moins marqués. Une forte proportion de Chaetopteridae en frangeant (Figure 49) confirme l’origine terrigène de la perturbation.

La Figure 52 prend en compte la proportion des individus de la famille des Capitellidae dans la macrofaune (> 2 mm). Il s’agit d’utiliser les variables classiques relatives à la faune (richesse, abondance et biomasse) caractérisant cette famille et rapportées à celles de la macrofaune totale. En l’absence de perturbations anthropiques, les Capitellidae ont des densités et biomasses faibles et la courbe des densités au-dessus de celle des biomasses traduit la présence d’individus de petite taille et peu nombreux. Soumis à des perturbations anthropiques croissantes, les densités relatives évoluent moins rapidement que les biomasses, traduisant de cette façon l’accroissement de la biomasse individuelle moyenne. Parallèlement, le nombre d’espèces de Capitellidae chute, pour former des groupes monospécifiques (Dasybranchus sp.1) dans les conditions extrêmes (Port) : le pic de richesse observé à la station 33 est vraisemblablement un artefact dû à la présence du champ de macrophytes. Cette représentation graphique basée sur quelques informations quantitatives et qualitatives sert de schéma de référence pour évaluer la position d’une nouvelle station le long de ce gradient de perturbation.

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FIGURE 52 —. Conséquences de l’enrichissement particulaire sur les variables richesse, abondance et biomasse de la famille des Capitellidae (cas des chenaux). BC/BT = biomasse des Capitellidae/ biomasse totale de la macrofaune de la station ; DC/DT = densité des Capitellidae/ densité totale de la macrofaune de la station.

L’application à d’autres écosystèmes tropicaux est envisageable. En vue d’une telle démarche, il convient cependant de préciser les limites de l’outil.

Pour l’île de Tahiti, la présente étude constitue une référence (liste d’espèces et fonctionnement de l’écosystème) pour divers types d’études environnementales sur les lagons. En revanche, nous avons vu dans la partie consacrée à la biodiversité que la géographie conditionne la diversité. D’autre part, l’aspect géomorphologique de l’île est apparu comme un facteur clé du fonctionnement de l’écosystème. Dans ces conditions est-il possible d’appliquer les résultats obtenus dans ce travail à d’autres écosystèmes ? Sans validation expérimentale il faut se contenter d’hypothèses (cette validation pouvant être réalisée par l’analyse de nouveaux échantillons tirés des stations déjà étudiées, ou par l’étude de sites dont l’état de perturbation est connu a priori ; les résultats étant ensuite confrontés à ceux déjà acquis).

Pour les îles de l’archipel de la Société, géographiquement proches de Tahiti, il est probable que le nombre d’espèces communes à celles présentées dans cette étude est important : la remarque est sûrement encore plus vraie pour les taxons supérieurs à l’espèce (genre et famille notamment). Sous réserve que les mêmes taxons clés soient représentés, le fonctionnement de l’écosystème est comparable, par conséquent les résultats sont transposables à ces autres systèmes.

Dans le cas d’îles plus éloignées, comme celles des Marquises ou des Australes, l’exportation des résultats semble moins réaliste puisque les conditions climatiques et géomorphologiques diffèrent grandement, l’endémisme y est élevé (Salvat et al. ; 1993). Pour ce qui concerne les structures de type atoll, la différence marquée avec l’île de Tahiti réside, entre autres, dans l’absence de flux terrigène, base de la perturbation. Dans ce cas, une étude plus complète basée sur la démarche adoptée ici doit établir le schéma de fonctionnement de ce type de système, au niveau benthique. Cependant, dans ce type de milieu à faible population humaine et peu développé économiquement (pas d’industrie et peu de rejets divers), il peut être difficile distinguer les effets des perturbations naturelles de ceux des perturbations anthropiques, l’intensité de ces dernières étant a priori faible et proche du « bruit de fond » naturel. A ce propos, nous avons

Gradient de perturbation anthropique croissant

établi que la zone de Paea, malgré son urbanisation relative, est perçue au travers de l’analyse comme peu perturbée.

Pour d’autres îles du Pacifique sud, il semble possible d’adapter de la même façon la méthode et ses résultats, afin de diagnostiquer l’état de santé du milieu lagonaire : les taxons peuvent différer — notamment au niveau de l’espèce indicatrice représentée à Tahiti par Dasybranchus sp.1 — mais les mécanismes d’organisation des communautés face aux perturbations restent les mêmes (voir chapitre introductif sur les perturbations). Les résultats précédents montrent que si l’espèce indicatrice n’est plus Dasybranchus sp.1, il est possible de conserver le schéma de fonctionnement établi suite à l’étude de l’écosystème tahitien : en effet, l’évolution des variables relatives à la faune (richesse, abondance et biomasse) pour la famille des Capitellidae permet de déceler les perturbations anthropiques, plus particulièrement sous la forme d’enrichissement particulaire (Figure 52). Cette caractérisation réalisée au moyen de l’étude de la famille des Capitellidae confirme qu’en milieu tropical les Capitellidae sont favorisées (en termes de biomasse ou densité) dans les aires perturbées par les apports anthropiques, comme en milieu tempéré (revue de Pearson et Rosenberg, 1978).

L’application des résultats à d’autres écosystèmes doit permettre de vérifier la sensibilité du schéma de fonctionnement établi et, notamment, de vérifier plus précisément les effets d’autres formes de perturbations anthropiques peu abordées dans ce cadre (polluants chimiques, extractions coralliennes, etc.).

5.3. COMPARAISONS AVEC LES RÉSULTATS OBTENUS