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4. RÉSULTATS ET DISCUSSIONS

4.2. PEUPLEMENTS DE BACTÉRIES, MICROPHYTES, MACROPHYTES ET

4.2.1. Microphytes

Les connaissances concernant les microphytes sont extrapolées à partir des seules teneurs en chlorophylle a et phaeopigments, développées dans la section précédente. Cette partie est donc plus particulièrement destinée à la discussion de ces résultats sommaires.

Les valeurs de Chl-a enregistrées dans les stations de l’île de Tahiti sont très proches de celles mesurées par Villiers et al. (1987), à Moruroa, atoll des Tuamotu-Gambiers, soit 1.41 ± 0.41 µg/g de sédiment sec comme taux moyen. De même, elles entrent dans la gamme de valeurs relevées par Alongi (1989) dans une revue de la littérature sur les communautés benthiques tropicales, soit généralement moins de 5 µg/g de sédiment sec en récif corallien ou mangrove.

Pourtant cette variable est apparue non corrélée avec la granulométrie et la profondeur des stations : Villiers et al. (1987) identifient en revanche une corrélation significative pour l’atoll de Moruroa, à l’instar de Plante-Cuny (in Alongi, 1989) pour une lagune de Côte-d’Ivoire. Sun (1994) établit la corrélation avec la profondeur. En pratique, l’absence de corrélation n’a aucune interprétation certaine et, selon Legendre et Legendre (1984), l’écologiste ne doit s’intéresser qu’aux corrélations significativement non nulles. Même s’il est probable que, d’une part la faible variabilité bathymétrique des stations (0.5 à 21 m) par rapport aux études citées et, d‘autre part, l’effet de facteurs complexes non perçus et limitant cependant l’évolution du microphytobenthos de façon homogène dans les quatre types de stations d’une même zone — ces facteurs homogénéisants pouvant être d’ordre physique (turbidité dans la zone, hydrodynamisme conséquent, etc.), chimique (inhibiteurs divers) ou biologique (broutage, bioturbation, etc.) — ont un effet sur le manque de corrélation significative, il n’est pas possible dans le cadre de cette étude de dégager de conclusions sur le rôle relatif du microphytobenthos.

Il serait judicieux de développer une étude du fonctionnement du microphytobenthos (production primaire) pour détailler le rôle de ce compartiment dans l’écosystème benthique.

Les stations 31 et 51 (frangeants Outumaoro et Mahaena), la plus riche et la moins riche en microphytobenthos, montrent l’importance des conditions physiques sur ce compartiment biologique ; l’hydrodynamisme marqué (lagon ouvert) de la station de Mahaena inhibe le développement des éléments microphytobenthiques au travers de l’instabilité des sédiments, alors que la station d’Outumaoro avec une position abritée en fond de baie, dans une aire large et peu profonde, est propice à l’effet opposé. En zone de platier interne (type 4), la profondeur plus importante et la proximité de la barrière récifale régulent les actions hydrodynamiques peu violentes.

4.2.2. Bactéries

4.2.2.1. Abondance

Les abondances bactériennes (en 109 cellules/g sédiment sec) sont marquées par une forte variabilité spatiale, atteignant jusqu’à un facteur 10 environ entre les stations 13 (chenal Arue) et 34 (platier interne Outumaoro) : Figure 26.

0,0 0,5 1,0 1,5

11 15 13 14 20 31 32 33 34 51 52 53 54

Stations

densi (10^9 cellules / g sédiment sec) Zone 1 Zone 3 Zone 5Zone 2

FIGURE 26 —. Densités de bactéries relevées dans les treize stations étudiées.

Un groupe de trois stations possède des valeurs fortes allant de 0.67 à 1.25 × 109 cellules/g : ce sont les stations 13 (chenal Arue), 15 (transition Arue) et 20 (Port). Les dix autres stations montrent des densités largement inférieures, de 0.12 à 0.35 × 109 cellules/g.

Aucune ségrégation nette ne caractérise les quatre types de stations groupés dans la Figure 26. Cependant, les valeurs d’abondance les plus élevées concernent les stations de type 2 (transition) et 3 (chenaux) de la zone d’Arue (zone 1) et la station du port (20). Les stations 53 et surtout 33 ont de faibles densités bactériennes. En revanche, les stations de type 1 (frangeant) et 4 (barrière) sont celles qui révèlent les plus faibles abondances.

Il faut noter le cas de la station 33 (chenal Mahaena) qui possède une densité de 0.17 × 109 cellules/g, représentant la plus faible valeur pour les stations de type 3 (chenal) et une des plus faibles valeurs relevées dans les treize stations (elle possède le dixième rang).

L’illustration par les histogrammes de la Figure 26 et de la Figure 27 permet de mettre en évidence un double gradient affectant les densités bactériennes :

⇒ un gradient intra-zone de densité croissant du frangeant (type 1) vers la transition (type 2), puis décroissant à partir du chenal (type 3) vers le récif barrière (type 4), à l’exception de la zone d’Arue (zone 1) qui montre un pic de densité extrêmement fort au niveau du chenal (13) ; voir Figure 26 ;

⇒ un gradient inter-zone est traduit par une abondance décroissante de la zone d’Arue (zone 1) vers celle de Mahaena (zone 5) — tendance visualisée par les flèches de la Figure 27 — ; pour

les chenaux et platiers internes, la zone 3 (Outumaoro) possède les plus faibles valeurs parmi les zones étudiées, induisant un gradient moins marqué.

0.0 0.4 0.8 1.2 1.6

11 31 51 15 32 52 13 20 33 53 14 34 54

Stations

densi (10^9 cellules/g sédiment sec)

Type 1 Frangeants

Type 2 Transitions

Type 3 Chenaux

Type 4 Barrières

FIGURE 27 —.Densités bactériennes : tri par type de structure récifale et par zone. Les quatre motifs remplissant les bâtons correspondent aux quatre types de zones étudiés. Les flèches schématisent l’évolution le long du gradient zone 1( zone 2) zone 3 zone 5. Barrières = platier interne du récif barrière.

4.2.2.2. Production de biomasse

Un facteur multiplicateur supérieur à 200 sépare les valeurs extrêmes (stations 15 et 34 de la Figure 28). Avec une valeur maximale de 768.69 gC/m²/an la station 15 (Arue transition) se distingue du lot des treize stations. Il en est de même pour la station 13 (Arue chenal), avec cependant une production deux fois inférieure. Enfin, toujours en considérant le rang de chaque station (valeurs de l’Annexe 3) pour la valeur de la production, un groupe de trois stations est caractérisé par des valeurs inférieures à 10 gC/m²/an : les stations 14, 34, 54, qui représentent les platiers internes. Entre ces bornes se situe le reste des stations, plus ou moins différencié en termes de rang (Figure 28).

L’analyse à l’échelle des types géomorphologiques amène donc aux conclusions suivantes pour la production de biomasse bactérienne :

⇒ les stations de type 4 (platier interne) abritent les plus faibles productions ;

⇒ les stations de type 3 (chenal) ont des valeurs intermédiaires dans l’échelle présentée (70-90 gC/m²/an environ), à l’exception de la station 13 (chenal Arue) qui possède une des valeurs les plus fortes.

Enfin les stations de la zone témoin 5 (Mahaena) ont globalement des valeurs de production inférieures à celles des zones 3 (Outumaoro) et zone 1 (Arue) : la somme des rangs de ces stations pour la production étant respectivement de 38, 29 et 18. La station du port (20), qui possède une abondance relative importante (troisième rang des valeurs), ne montre qu’une production de biomasse moyenne (87.6 gC/m²/an).

0 correspondent aux quatre types de zones étudiés. Barrières = platier interne du récif barrière.

Remarque : mélanger les cinq échantillons prélevés dans une station intègre la variabilité spatiale mais ne permet pas de l’estimer. Les figures de cette section sur les bactéries ne mentionnent donc pas les erreurs standards. Cependant, pour appréhender la variabilité globale (variabilité spatiale mise en évidence par l’échantillonnage et variabilité liée à la mesure), des expérimentations parallèles ont été réalisées dans la zone d’Arue à propos de la production bactérienne (incorporation de thymidine radioactive TdR). Les résultats indiquent une précision de 9 % dans le chenal et 11 % sur le platier interne (Fouquet, 1995). Cette précision inclut la variabilité de la mesure de TdR (de l’ordre de 5% pour 5 mesures; Fouquet, 1995) et la variabilité spatiale. D’autre part ces stations constituent pratiquement les extrêmes pour la plupart de mesures (abondance, biomasse et production). Vu la faible variabilité entre ces extrêmes, l’hypothèse de travail établit que la précision au niveau des onze autres stations possède des valeurs voisines. En ne tenant pas compte de la variabilité due à la mesure de TdR, il apparaît la variabilité due à l’échantillonnage est inférieure à ces valeurs (9 et 11 %). Enfin il faut noter que le calcul de la variabilité spatiale à partir de l’abondance ne produit pas de résultats fiables puisque l’imprécision de la détermination de l’abondance (de l’ordre de 30 %, J.P. Torréton comm. pers.) masque la variabilité spatiale faible.

4.2.2.3. Corrélations avec des facteurs environnementaux

Une analyse de corrélation est réalisée sur les treize stations étudiées pour leur caractéristiques bactériennes : le facteur bactérien utilisé pour les corrélations est la densité. Pour les facteurs environnementaux, la moyenne totale de chaque facteur (moyenne de huit campagnes) est prise en compte au niveau de chaque station. Le coefficient de corrélation r est de 0.85 (p < 0.001) pour la relation avec la matière organique, 0.70 (p = 0.008) pour celle avec les particules fines et 0.55 (p = 0.05) pour celle avec les phaeopigments. Cela équivaut respectivement à l’explication de 72, 49 et 30 % de la variation d’un facteur par l’autre. Pour les facteurs Chl-a et C-phyto les corrélations ne sont toujours pas significatives : r = - 0.07 (p > 0.05).

Les résultats de Fouquet (1995) mènent à un coefficient analogue corrélant matière organique à abondance bactérienne ; dans ce cas, les mesures de teneur organique sont réalisées sur une partie aliquote des sédiments utilisés pour les analyses bactériennes. Le coefficient de corrélation est r = 0.83 (p < 0.001, n = 23). Ceci permet de mettre en évidence la fiabilité des moyennes annuelles pour les taux de matière organique calculés à partir des échantillons des huit campagnes de prélèvement.

1.4 1.6 1.8 2.0 2.2

FIGURE 29 —. Régressions linéaires liant le facteur production bactérienne au taux de matière organique (perte au feu) — in Fouquet (1995).

De la même façon, Fouquet a démontré une corrélation entre les valeurs de production bactérienne et celles de teneur en matière organique par l’intermédiaire d’une régression linéaire simple (figure 29).

L’abondance bactérienne apparaît donc liée à la teneur en particules fines et en matière organique des sédiments. Les stations riches en matière organique ont les abondances bactériennes les plus fortes. Il en est de même pour le facteur production

Le rôle du microbenthos est connu maintenant pour son importance dans le fonctionnement des écosystèmes benthiques. Par exemple, Ducklow (1990) estime que le premier centimètre de sédiment corallien contient une biomasse bactérienne équivalant à celle d’une colonne d’eau de dix mètres. Ou encore, Hansen et al. (1992) établissent l’hypothèse que les bactéries sont les principaux consommateurs de carbone dans les sédiments lagonaires. Pourtant, vu la difficulté technique, l’analyse microbiologique au niveau des sédiments est encore peu développée et non standardisée sur le plan méthodologique (Torréton et al., sous presse). En milieu corallien les connaissances sont encore moins étendues. Aussi, il est difficile de comparer les données obtenues dans ce cadre avec celles d’autres auteurs ou de milieux non tropicaux. Un ensemble de données sur les mangroves et lagons de la Grande barrière australienne a été obtenu à partir de méthodes similaires à celle utilisée dans ce travail (Hansen et al., 1992 ; Alongi 1992). Les comparaisons d’abondance et production avec ces données sont donc fiables.

Hypothèses sur le fonctionnement du compartiment bactérien

Des lagons de la Grande barrière australienne peuvent montrer des abondances variant de 4 × 108 à 38.1 × 109 cellules/g de sédiment sec (Hansen et al., 1992 ; Alongi 1992), la densité moyenne se situant le plus souvent aux environs de 1.5 × 109 cellules/g. Les abondances bactériennes les plus fortes des sédiments du lagon de Tahiti (station 15 avec 1.25 × 109 cellules/g) apparaissent donc très faibles même pour un environnement lagonaire. Dans les sables vaseux ou les aires d’apports terrestres importants telles les mangroves les densités sont encore plus élevées et peuvent s’écarter de celles déterminées ici d’un facteur 100 (voir revue dans Alongi, 1989, tableau 1).

Pour les productions annuelles, l’échelle de valeurs australienne (dans revue par Alongi, 1990, tableau XVI) s’étend de 8 à plus de 1 600 gC/m²/an (données converties). Les platiers internes des zones du lagon de Tahiti apparaissent donc avec de très faibles abondances et activités bactériennes. En revanche, même si leur abondance bactérienne reste faible les stations vaseuses de

la zone d’Arue (13 et 15) offrent des valeurs de production analogues à celles que peut fournir une mangrove australienne ; le reste des stations, y compris celle du Port, correspondant globalement à des teneurs de sédiments coralliens non perturbés de la Grande Barrière. Dans les zones à forte production le taux de renouvellement de la biomasse variant de 1.4 à 69 heures (Fouquet, 1995) est extrêmement faible : en milieu corallien ces taux vont généralement de 1 jour (Pollard et Kogure, 1993) à 20 jours (Hansen et al., 1987).

La discontinuité observée pour les valeurs de certaines variables environnementales entre les stations de platier interne et le reste du complexe récifal lié au littoral se confirme par l’étude bactériologique : les stations du platier interne sont des espaces de type milieu corallien non enrichi organiquement. Les influx de matière particulaire, notamment organique, dans l’écosystème lagonaire semblent contrôler les peuplements bactériens : les aires soumises à ces apports ont une activité bactérienne favorisée, à l’inverse des stations de barrière peu concernées par les apports terrigènes. Cependant, les similitudes mises en évidence lors de l’étude des variables environnementales entre la station du Port et la station 15 d’Arue laissent penser que les peuplements microbiens du Port peuvent être contrôlés principalement par des facteurs chimiques inhibiteurs comme les métaux lourds présents dans ce lieu. Excepté ce cas, l’hypothèse qui prévaut est donc une limitation des communautés bactériennes par le manque de disponibilité nutritive, comme cela se présente dans d’autres communautés benthiques tropicales (Alongi, 1992 et 1994).

Alongi (1991) cite le rôle du phosphore dans ce type de limitation. Des analyses d’activité bactérienne (abondance et production) en saison sèche, où les apports sont limités, pourraient compléter cette hypothèse. A ce stade de l’interprétation les effets biologiques comme la bioturbation, la prédation, etc., par la macrofaune, ne sont pas pris en compte.

Action bactérienne sur la matière organique des sédiments disponibles pour les populations de détritivores benthiques (Alongi, 1994). Malgré ceci une partie de la boucle microbienne (reminéralisation) reste non accessible aux macro-organismes assurant ainsi le renouvellement du matériel dissous. Ce même auteur établit l’hypothèse d’un « puits de carbone » au niveau du compartiment microbien. La présence de forts taux de matière organique dans certaines stations pourrait s’expliquer par une dégradation incomplète de la matière organique réfractaire entrant plus tard dans les cycles biogéochimiques : cependant, le devenir des bactéries dans les sédiment marins est encore mal connu (Alongi, 1994). Mieux comprendre le fonctionnement de la boucle microbienne au niveau de chaque station appelle une étude plus approfondie, notamment au niveau de la distribution verticale des bactéries et aussi de la qualité de la matière organique des sédiments.

Une étude récente (Buat, 1996) met en évidence le rôle complémentaire de la méiofaune dans la transformation de la matière organique totale des sédiments. Cette méiofaune mettrait ainsi la matière organique transformée à disposition (sous forme de fèces) du compartiment bactérien qui pourrait l’assimiler plus facilement et assurer une reminéralisation accrue. Ceci permet de comprendre que, bien que non traité dans cette étude, le rôle de la méiofaune est important pour le fonctionnement global de l’écosystème benthique, notamment dans son couplage avec le bactériobenthos.