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5. SYNTHÈSE GÉNÉRALE

5.1. ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES COMMUNAUTÉS MACROBENTHIQUES

5.1.3. Définition finale du gradient des perturbations anthropiques et outils de perception

Nous avons démontré précédemment que les cinq zones définies correspondent à diverses intensités de perturbation, essentiellement anthropique. Un gradient de perturbation a été établi lors de l’analyse des variables environnementales ; les cinq zones y occupent une place spécifique (zone 2 → zone 1 → zone 3 → zone 5 → zone 4). Cette mosaïque spatiale correspond donc à divers stades consécutifs de l’écosystème. Cette succession est un processus d’accumulation d’information (Pearson et Rosenberg, 1978) : l’étude d’écosystèmes comparables mais présentant des stades d’évolution différents permet d’identifier le processus évolutif qui a affecté le système type. Les connaissances sont limitées à l’intervalle écologique défini par l’état des sous-systèmes positionnés à chaque extrémité de l’échelle d’évolution considérée. Dans cet écosystème benthique polynésien, chaque zone correspond à un degré de perturbation.

Les conditions environnementales et biologiques coïncident pour définir les bornes du gradient de perturbation : la perturbation maximale est notée dans la zone du Port, la perturbation la moins marquée concerne les stations de platier interne et des zones de Paea et Mahaena. La zone de Paea pourrait, par ses diverses caractéristiques être assimilée à un grand platier interne (outre les différents résultats exposés précédemment, elle est pratiquement la seule zone fermée exclusivement remplie de sédiments carbonatés, de la barrière récifale à l’aire supra-tidale) : elle constitue un type géomorphologique rare sur l’île de Tahiti. Elle est placée avant la zone de Mahaena sur une échelle de perturbations anthropiques décroissantes à cause de ses caractéristiques d’anthropisation (résidences) exposées au début du chapitre traitant des matériels et méthodes. Son cas est à considérer en tenant compte de sa spécificité géomorphologique. La zone de Mahaena est donc placée à l’extrême du gradient de perturbation anthropique. Il faut rappeler à ce stade de la discussion que cette zone de Mahaena n’est pas exempte de perturbations puisqu’elle est soumise,

comme nous l’avons vu, à un flux terrigène naturel non négligeable. Elle conserve cependant son rôle de référence en tant que milieu non anthropisé. En effet, dans cette étude le caractère anthropique des perturbations est privilégié et c’est selon celui-ci qu’est réalisé le positionnement des zones le long du gradient de perturbation. Il s’agit donc d’un gradient de perturbations anthropiques, appelé gradient d’enrichissement (particulaire). Sa définition, esquissée par l’étude des variables environnementales, est définitivement établie par l’étude des variables relatives à la faune mais aussi par l’étude des peuplements bactériens. Les zones sont ordonnées de la façon suivante le long du gradient d’enrichissement, de la plus perturbée à la moins perturbée :

zone 2 → zone 1 → zone 3 → (zone 4 → ) zone 5.

Ce résultat est donc une intégration de l’ensemble des données écologiques et des connaissances socio-économiques (type et importance de l’habitat, activité industrielle, etc.). Cette analyse globale met en évidence la complexité de la notion de perturbation abordée dans la première partie de ce document : dans le cas de cet écosystème, sans qu’une étude à large spectre temporel ait été menée, il est possible de discerner les deux types de perturbations : naturelle et anthropique. La part de chacune n’est pas quantifiable par cette étude, cependant, dans le cas d’impacts marqués comme ils se présentent dans la zone du Port (anthropiques) et dans la zone de Mahaena (naturels), la distinction qualitative est réalisable. Les perturbations anthropiques se traduisent par des apports particulaires organiques et inorganiques plus intenses. Pourtant, le facteur organique seul ne suffit pas à définir un gradient de perturbation précis. L’information complémentaire apportée par le facteur granulométrique ne permet pas de positionner convenablement toutes les stations le long du gradient réel de perturbation.

D’autre part, le gradient ainsi défini est peu décelable dans les stations de platier interne : au mieux, il a été démontré que la station de la zone d’Arue (14) subit des apports particulaires plus marqués (résultats à propos des éléments solubles à l’HCl) qui semblent affecter sa diversité mais non sa production, et que la station 34 possède une structure taxotrophique différente des autres stations de platier interne (Figure 46). Si les stations du frangeant (type 1) sont apparues nécessaires à la compréhension du fonctionnement de l’écosystème, ce sont bien les stations de chenal (type 3) qui montrent le meilleur caractère intégrateur, notamment à cause de leur rôle de bassin de décantation (vu précédemment). C’est donc au niveau des chenaux que l’essentiel de l’information sur la qualité et l’intensité des perturbations peut être acquis.

De plus, les polychètes omniprésentes semblent incarner de bons indicateurs écologiques pour estimer les effets des perturbations sur les systèmes : l’exemple des remplacements des groupes trophiques (Figure 48) le démontre. La Figure 50 montre l’évolution des biomasses des trois principaux taxons benthiques de l’écosystème tahitien suivant un gradient de perturbations anthropiques. Comme l’indique aussi l’ACP sur les variables relatives à la faune (Figure 46), les polychètes et mollusques suivent des tendances opposées : les polychètes sont favorisées par l’enrichissement particulaire fort d’origine anthropique. Les mollusques seraient plutôt inhibés.

Parmi les polychètes, la famille des Capitellidae par sa variation d‘abondance, de biomasse et de diversité liée au gradient de perturbation, constitue un groupe indicateur d’enrichissement. Cette constatation permet de choisir définitivement les polychètes, et plus particulièrement la famille des Capitellidae, comme éco-indicateurs de l’écosystème perturbé. Dans le cas des chenaux leur rôle est particulièrement révélateur (Figure 51).

Mieux que les variations pondérales des groupes taxonomiques, les variations pondérales des groupes trophiques apportent une information plus fonctionnelle. Le schéma de synthèse des successions des groupes trophiques (Figure 48) a montré que les groupes importants, pour renseigner sur l’état de perturbation des chenaux, sont les carnivores et les déposivores, dont l’effet est encore plus marqué au niveau des chenaux. Les carnivores tendent à être dominés par les déposivores lors des phases d’enrichissement du milieu.

0 40 80

Zone 2 Zone 1 Zone 3 Zone 4 Zone 5

Biomasse (% moyen par zone)

B/g

G/b Polychètes

Sipunculiens

Mollusques

FIGURE 50 —. Evolution pondérale globale des trois principaux groupes benthiques le long du gradient de perturbation croissant de la droite vers la gauche. G/b = gastéropodes dominant parmi les mollusques ; B/g = bivalves dominant parmi les mollusques. Les stations 12, 41 et 51 ne sont pas prises en compte.

La Figure 51 est basée sur l’évolution d’un indice (DF/CAR) représentant le rapport des biomasses déposivores/carnivores, pour les polychètes des chenaux.

De la zone de Mahaena (53) à celle du Port (20) l’indice croît, les stations étant ordonnées suivant le gradient d’enrichissement défini au début de cette section. Il est intéressant de noter qu’en utilisant cet indice, le chenal de Paea (43) apparaît plus perturbé que celui de Mahaena (53) puisque l’indice révèle une plus forte proportion de polychètes. Ce résultat a deux conséquences : d’une part, il apporte des informations écologiques plus fines que celles acquises jusqu’à présent et d’autre part, il permet de justifier écologiquement la quatrième position de la zone de Paea sur notre échelle des perturbations anthropiques décroissantes, qui n’était fondée jusqu’ici que sur des arguments d’occupation anthropique du littoral.

20 13 33 43 53

0 5 10 15 20 25

Station (chenaux)

DF/CAR

FIGURE 51 —. Evolution du régime trophique des polychètes en fonction du degré de perturbation du milieu (cas des chenaux).L’indice DF/CAR représente le rapport de la biomasse des déposivores sur celle des carnivores.

5.2. OUTIL DE DIAGNOSTIC DES ÉCOSYSTÈMES