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Chapitre 1. Etat de l’art : Le polonium et son comportement dans le milieu terrestre

II. Radionucléide polonium-210

2. Origines du polonium-210

Le polonium-210 est présent naturellement dans l’environnement suite à la désintégration de l’uranium-238, mais il est aussi produit artificiellement par des cyclotrons ou des réacteurs nucléaires.

2.1.Origine naturelle

L’origine naturelle du polonium-210 provient exclusivement de la désintégration de l’uranium-238. Le polonium-210 est donc une matière radioactive naturelle (NORM – Naturally occurring radioactive materials). Des activités humaines avec les NORM comme l’exploitation minière, le traitement des minerais, l’extraction de combustibles fossiles peuvent mener à ce qu’on appelle des matières radioactives naturelles renforcées (TENORM – Technologically enhanced naturally occurring radioactive materials). Dans cette section, la présence naturelle du polonium-210 et ses renforcements dans l’environnement par des activités anthropiques seront distingués.

a) Présence naturelle

Du fait de sa « courte » demi-vie, le polonim-210 est présent en quantité extrêmement faible. En comparaison avec l’uranium-238, le ratio atomique du 210

Po/238U est de 8,5.10-11 (équation 1-1), dans le cadre d’un équilibre séculaire.

À l’équilibre séculaire, l’activité du 210Po est égale à celle de l’238

U : 𝐴𝑈−238= 𝐴𝑃𝑜−210 ⇔ 𝜆𝑈−238. 𝑁𝑈−238 = 𝜆𝑃𝑜−210. 𝑁𝑃𝑜−210 ⇔ 𝑁𝑃𝑜−210 𝑁𝑈−238 = 𝜆𝑈−238 𝜆𝑃𝑜−210= 4,916. 10−18 57,976. 10−9 = 8,5. 10−11 Équation 1-1

Où : A : Activité du radionucléide en Bq N : Nombre d’atomes

𝜆 : Constante de désintégration en s-1

À titre d’exemple, la concentration moyenne de l’uranium-238 dans le sol est de 2,7 ppm, il n’y a donc que 0,20 ng de 210

Po par tonne de sol (Carvalho et al., 2017). Par conséquent, l’isolation de ce radionucléide du minerais ne peut être sérieusement envisagée (Bagnall, 1962).

b) Renforcement par les activités anthropiques

Il faut ajouter à sa présence naturelle, les activités anthropiques qui peuvent augmenter la concentration locale du polonium-210 telle que les extractions de métaux lourds, le forage pétrolier (Ekdal et al., 2006; Karunakara et al., 2000; Özden et al., 2013; Strumińska-Parulska and Olszewski, 2018). L’industrie du phosphate est également une source majeure des radionucléides naturels, dont le polonium-210 (Strumińska-Parulska and Olszewski, 2018). Particulièrement, près des mines d’uranium, l’activité du polonium-210 peut atteindre de 15 à 22 kBq.kg-1 (Coppin and Roussel-Debet, 2004).

Les industries des engrais phosphatés et de l’acide phosphorique

La roche phosphatée est utilisée dans le monde entier pour fabriquer de l’acide phosphorique et des engrais chimiques. Son extraction et traitement redistribuent les radionucléides dans l’environnement et les introduisent dans les produits finaux et les sous-produits (Fávaro,

2005). Les industries des engrais phosphatés et de l’acide phosphorique sont donc considérées comme une source potentielle de contamination par les radionucléides naturels et les métaux lourds (Aoun et al., 2010). Ces minéraux phosphatés contiennent un large éventail de métaux lourds comme le Hg, le Cd, l’As, le Pb, le Cu, le Ni et le Cu, et des radionucléides naturels comme le 238U, le 232Th et le 210Po (Al-Masri et al., 2004a). Lors de la réaction des minerais phosphatés avec l’acide sulfurique concentré pour produire de l’acide phosphorique, l’équilibre radioactif entre U, Th et leurs produits de désintégration est perturbé. Les radionucléides migrent en fonction de leur solubilité. Les isotopes de l’uranium forment des composés très solubles avec les ions phosphates, tandis que les isotopes du radium, plomb et polonium se concentrent dans le sous-produit de phosphogypsum (CaSO4.2H2O) (Fávaro,

2005). Mazzilli et al. ont trouvé des pourcentages (phospogypsum/roche phosphatée) de 90 %, 100 % et 78 % pour en 226Ra, 210 Pb et 210Po, respectivement (Mazzilli et al., 2000). Ces auteurs ont également montré que l’activité du 210

Po dans des échantillons de phosphogypsum prélevés chez les quatre principaux producteurs d’acide phosphorique au Brésil varie de 53 à 667 Bq/kg (Mazzilli et al., 2000). Dans une autre étude, les auteurs ont trouvé que les concentrations de 210Po varient entre 373 et 589 Bq/kg avec une valeur moyenne de 471 Bq/kg dans les échantillons de phosphogypsum en Syrie (Al-Masri et al., 2002).

D’après Aoun et al., l’activité du 210Po dans des sols autour d’une entreprise française

d’engrais phosphatés variait entre 56 et 936 Bq/kg et la plupart des sites étudiés présentaient des niveaux de 210Po supérieurs à 100 Bq/kg. Dans la fraction granulométrique inférieure à 50 µm, un facteur d’enrichissement de 210Po d’environ 56 a été signalé (Aoun et al., 2010). Le facteur d’enrichissement est défini comme le rapport entre l’activité du 210Po d’un site donné

et celle dans les sols de référence prélevés à 15 km des sites d’échantillonnage industriels. Travaillant sur l’impact de l’industrie des engrais sur l’environnement, Al-Masri et al. ont constaté que la radioactivité du 210Po dans l’air recueilli autour des industries des engrais phosphatés en Syrie se situait entre 0,44 et 9,20 mBq/m3 (Al-Masri et al., 2006). Ces valeurs sont plus élevées que les niveaux naturels moyens du 210Po dans l’air (0,03 – 0,3 mBq/m3).

L’utilisation des engrais phosphatés

Depuis des années 1950, l’épandage d’éléments nutritifs pour les plantes, y compris les engrais phosphatés, a considérablement augmenté. Aujourd’hui, plus de 30 millions de tonnes d’engrais phosphatés sont consommées chaque année dans le monde, ce qui augmente la production agricole et la remise en état des terres (Lambert et al., 2007). Cependant, un effet

négatif possible de l'emploi intensif de ces engrais est la contamination des terres cultivées par les métaux traces et certaines matières radioactives naturelles (Khater and AL-Sewaidan, 2008; Lambert et al., 2007). Plusieurs études à long terme sur des terres agricoles ont démontré que les sols de surface, qui ont reçu régulièrement des engrais phosphatés, contenaient des concentrations d’uranium plus élevées que la moyenne (Roselli et al., 2010). L’utilisation relativement importante des engrais phosphatés dans les cultures agricoles peut augmenter le taux du 210Po non seulement dans les sols, mais aussi dans les plantes. Selon (Strumińska-Parulska and Olszewski, 2018) les doses de rayonnement efficaces annuelles moyennes de 210Po ingérées ont été estimées de 5,5 mSv et de 7,0 mSv dans les aliments cultivés écologiquement et dans les aliments cultivés traditionnellement (avec des engrais phosphatés), respectivement.

L’exploitation du minerai d’uranium

L’exploitation du minerai d’uranium est une source importante de contamination environnementale. Les résidus produits pendant l’exploitation contiennent des quantités faibles, mais mesurables d’uranium et d’autres éléments radioactifs. À proximité des anciens sites miniers d’uranium, des systèmes naturels comme les sols, les sédiments et surtout les zones humides piègent des quantités importantes d’uranium (Mangeret et al., 2018).

Ibrahim et al. ont montré que les concentrations moyennes de 210Po dans le sol et la végétation près d’une mine d’uranium aux États-Unis étaient généralement plus élevées que la concentration naturelle de fond géologique (Ibrahim and Whicker, 1987). En effet, les résidus explorés contenaient des moyennes de 30 kBq/kg de 210Po par rapport à 0,8 kBq/kg pour le fond géologique.

De fortes concentrations de radionucléides sont présentes dans les eaux minières de Cunha Baixa au Portugal, ainsi que dans les déchets miniers solides et les boues provenant du traitement des eaux minières (Carvalho et al., 2009). Les radionucléides dans les sols proches de ce site présentent également des concentrations élevées. L’activité du 210Po dans ces sols atteint 628 ± 23 Bq/kg (masse sèche).

2.2.Origines artificielles

Le polonium-210 peut être produit via un réacteur nucléaire par le bombardement neutronique de 209Bi, générant ainsi le 210Bi, qui a une demi-vie de cinq jours et qui se transforme, par émission - , en 210Po (Vogelsang et al., 1984).

𝐵𝑖 83 209 (𝑛,𝛾) 𝐵𝑖 83 210 𝛽𝑃𝑜 84 210

Le polonium-210 peut également être produit dans des cyclotrons via les réactions directes

209Bi (𝛼, 𝑡) 210

Po et 209Bi (𝛼, p2n) 210Po (Hermanne et al., 2005).

Younes et al. ont proposé une méthode pour la production de polonium-210 via la réaction nucléaire 209Bi (𝛼, 3n) 210At (Younes et al., 2014). Le bombardement d’une cible au bismuth-209 a été effectué à l’aide d’un faisceau de particules α de 37 MeV qui conduit à la production d’astatine-210. Ce dernier ayant une très courte demi-vie de 8,1 heures va se désintégrer en polonium-210. Il est isolé à partir de la cible de bismuth irradiée par extraction liquide-liquide en utilisant du phosphate de tributyle (TBP) dans du paraxylène à partir d’acide chlorhydrique à 7 mol/L.

𝐵𝑖 83 209 (𝛼,3𝑛) 𝐴𝑡 85 210 𝑃𝑜 84 210

Puisqu’il émet une forte radioactivité par émission de particules α, le 210

Po est utilisé industriellement pour plusieurs types d’applications.

Eliminateur statique

Des éliminateurs statiques ont été construits à l’aide de 210Po visant à éliminer l’électricité

statique au contact avec des machines qui se chargent par frottement (enroulement du papier, fabrication de feuilles de plastique, usines de textiles). Le 210Po est généralement déposé sur un support qui est ensuite inséré dans l’appareil (Robertson and Randle, 1974; Wallace and Williamson, 1990). Comme le 210Po est un émetteur α, l’air autour de l’appareil est ionisé, ce qui neutralise l’électricité statique dans l’environnement (Czajkowski, 1999). En raison de la courte demi-vie du 210Po, ces dispositifs doivent être remplacés périodiquement. Bien qu’efficaces, les préoccupations relatives à la sûreté et aux coûts ont mené à l’utilisation de méthodes « non radioactives » comme solution alternative.

Source de neutron

Combiné à un élément de faible masse atomique dont le plus souvent du béryllium, le 210Po est utilisé comme source de neutrons (Bagnall, 1962). En effet, des particules α émises par

210

Po sont adsorbées par le deuxième élément. Ce dernier émet à son tour un neutron (Caldwell et al., 1968; Hanna, 1950). La paire polonium-béryllium a été utilisée dans les premières armes nucléaires comme initiateur de neutrons.

Source de chaleur pour le domaine spatial

Le 210Po a été utilisé comme une source α pour alimenter les générateurs thermoélectriques à radioisotopes car il dégage une importante chaleur 137 Watts par gramme (O'Brien et al., 2008). Cependant, en comparaison avec le 238Pu, la demi-vie plus courte du 210Po a favorisé l’utilisation du 238Pu pour les applications dans le domaine spatial comme source d’énergie

pour les satellites.