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(Chapitre III) L’apport de la linguistique systémique fonctionnelle

3.1 Qu’est-ce que la linguistique systémique fonctionnelle (LSF) ?

3.1.1 L’origine de la théorie systémique

Toutefois, comme nous l’avons soutenu ci-dessus, définir une théorie n’est pas chose aisée, ainsi faut-il examiner les concepts clés de la théorie pour avoir une meilleure compréhension globale du modèle théorique mis en jeu. A cet égard, nous soulignons que la LSF trouve ses origines dans les travaux de Michael Halliday à partir des années 1950, quand ce dernier s’intéressait au système linguistique chinois – à la fois en tant qu’objet d’étude et objet pédagogique. Cette conjoncture

67 doublement didactique et théorique constituait donc le point de départ de ses premières descriptions linguistiques. Mais, comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, malgré le fait que la linguistique systémique fonctionnelle présente aujourd’hui des spécificités singulières, il s’agit plutôt d’une théorie évolutionnaire et non d’une théorie dite révolutionnaire en ce qu’Halliday s’est fortement appuyé sur les concepts fondés par ses prédécesseurs pour ensuite identifier et développer davantage les éléments jugés complémentaires (Matthiessen : 2007). Mais l’élément déclencheur principal – à proprement parler – demeure selon Gonzaga (2011) la première rencontre entre réflexions linguistiques d’un côté et pratiques didactiques de l’autre. Et cette rencontre a provoqué une prise de conscience du phénomène qui est devenu par la suite le socle fondamental de la théorie systémique.

When Halliday taught his first Chinese class in 1945, he noticed that the clause should be the “centre of action in the grammar” (Halliday, 2009, p.355). At that time the clause was not acknowledged as “a general organizing category” (ibid). It was not “the locus, where fundamental choices in meaning were acted out” (ibid). We might say that this observation led Halliday to treat grammar in a different fashion. (2011 : 34).

Cette prise de conscience a indéniablement été le moteur derrière la première version de la théorie appelée initialement Scale and Category Grammar (SCG)39. Cette version qui n’a eu qu’une

« courte vie » a eu un impact considérable sur la linguistique de l’époque (Fawcett 2000). De plus, elle a introduit deux notions clés qui ont illustré le besoin naissant de séparer les différents niveaux d’analyse selon qu’ils relèveraient de ce que l’on associe a priori aujourd’hui aux axes dits syntagmatique et paradigmatique. Ces deux notions clés se traduisaient par (i) Grammatical categories et (ii) Scales, toutes deux sous-divisées respectivement en « unit, structure, class, system » et « rank, exponence, delicacy ». Outre ces deux notions, cette première version a posé la pierre angulaire privilégiant la séparation en niveaux distincts selon l’élément linguistique à l’étude (cf. par exemple la stratification 3.2.2). Cet aspect est clairement indiqué à travers ces brèves descriptions mises en avant par deux auteurs :

The theory saw the linguistic system as comprising the level of form, itself made up of lexis and grammar, together with two interlevels, context and phonology. Context provided the link between situation and form, and phonology provided the link between form and sound. The grammar set out to handle the analysis of stretches of language

39 Eu égard au fait que certaines de ces terminologies ont été abandonnées ou que leur sens de départ a évolué, nous trouvons judicieux de ne pas les traduire ici afin de ne pas les confondre avec d’autres termes propres à la théorie LSF et qui seront explicités plus tard dans ce chapitre. Pour donner un exemple d’un abandon terminologique, Categories renvoyait aux deux niveaux distincts de grammaire et lexique, avant que ces derniers ne soient reclassés au même rang dans la version actuelle. Cf. section 3.2.

68 that had actually occurred, so that at this stage the grammar was descriptive rather than generative. (Morley 2000 : 1)

However its major focus was on ’grammar’, in a sense that is roughly equivalent to a combination of the traditional senses of the terms “syntax” and “morphology”[...] The central concept is that of levels of language. Halliday states that “the theory requires that linguistic events should be accounted for at a number of different levels”, and he then goes on to claim that “the primary levels are of ‘form’, ‘substance’ and ‘context’”.

(Fawcett 2000 :17)

L’évolution donc de la Scale and Category Grammar vers la grammaire systémique fonctionnelle40 (GSF) et ensuite la Linguistique Systémique Fonctionnelle (LSF) résulte de la rencontre entre plusieurs courants linguistiques, allant notamment de l’incorporation des fondements du professeur de Halliday, John Rupert Firth et de son collègue Bronislaw Malinowski à la pensée fonctionnaliste, issue du cercle linguistique de Prague. Notons cependant que ces trois influences ne sont que les plus communément admises et attestées, et ne peuvent en aucun cas justifier la transition intégrale de la SCG à la LSF. Mais ce qui est non-négligeable dans cette nouvelle désignation est l’accent mis sur l’héritage d’une part systémique de Firth et d'autre part fonctionnelle du cercle de Prague. Il est également à souligner que Bloor &Bloor (2004) dressent une liste non-exhaustive des courants et rencontres les plus influents ayant contribué au développement de la théorie. Nous avons schématisé, à titre illustratif, l’ensemble de ces

« rencontres » dans la figure 3, page 69.

Un tel schéma n’a certes pas de prétention à l’exhaustivité mais permet aisément de situer les principales influences conceptuelles réunies dans la théorie hallidayienne. Nous notons cependant par exemple que, si l’influence de Firth, Malinowski et du cercle linguistique de Prague est traditionnellement acceptée (cf. Bloor & Bloor 2004 ; Matthiessen 2007 ; Hasan 2009), celle de Bühler et Hjelmslev le sont dans une moindre mesure (cf. Taverniers 2011 ; Bache 2010). En outre, le graphique ci-dessous met en avant l’origine de quatre notions essentielles à la LSF actuelle : à savoir (i) la stratification, qui permet de diviser la grammaire en plusieurs strates distinctes : par exemple avec la phonologie, la lexicogrammaire et la sémantique (Halliday & Matthiessen 2004 : 34) ; (ii) la fonction, qui signifie que « priority is given to the view ‘from above’; that is, grammar is seen as a resource for making meaning » (ibid.) ; (iii) le système, qui renvoie à la fois au fait que la grammaire est entendue comme « a network of interrelated meaningful choices » par le biais de

« system network, not as an inventory of structures » (ibid.) ; et enfin (iv) le contexte, qui voudrait

40 L’appellation « Systemic Grammar ou Functional Grammar », employée souvent de manière interchangeable, est apparue moins de 10 ans après la publication de ce qui dessinait le contour de Scale and Category Grammar.

69 que le contexte d’énonciation, tant situationnel que culturel, soit pris en compte dans toute analyse systémique. Ces quatre notions seront explicitées plus en détail ultérieurement.

Figure 3 : Les influences principales de la linguistique systémique fonctionnelle

Une fois les influences situées, nous pouvons désormais préciser que la théorie systémique s’oppose à ce que l’on désigne communément sous l’étiquette de grammaire traditionnelle et tout singulièrement de grammaire générative41. La première renvoyant à l’enseignement grammatical généralement dispensé à l’école et la seconde à la théorie du langage développée par Noam Chomsky. La distanciation de LSF par rapport à ces deux traditions réside dans l’acceptation globale de la langue, entendue principalement comme un outil de communication socialement ancré. Cette dimension sociale se retrouve dans deux notions clés : à savoir le contexte situationnel et le contexte culturel (de Firth et Malinowski). Ces deux notions se traduisent par l’intérêt accordé au processus de construction globale du sens, de même que les choix effectués et l’implication de ces choix sur le sens précis qui en découle. En d'autres termes, la LSF s’intéresse à l'utilisation effective et réelle de la langue, tant d’un point de vue paradigmatique que syntagmatique, et non à l’approche prédictive et prescriptive de l’ensemble des combinaisons grammaticalement possibles.

41 Cf. Gledhill (2011) pour une comparaison entre les deux modèles. Voir aussi à titre d’information Butler (2003) pour une comparaison entre trois modèles linguistiques dits fonctionnels : LSF, la Role and Reference Grammar et Functional Grammar.

70 3.1. 2 L’appli cation de la th éori e

Dès lors que les influences majeures de la théorie sont identifiées, on est à même de comprendre le raisonnement derrière la méthode d’analyse. Il nous est désormais possible de soutenir que la théorie systémique fonctionnelle peut être assimilée à une structure de systèmes stratifiés et interdépendants.

Ces notions d’interdépendance et de stratification sont centrales à la théorie, telle qu’elle a été développée par Halliday depuis les années 1960. En effet, pour aller plus loin dans cette perspective il est important de concevoir la double référence « systémique fonctionnelle » comme renvoyant d’abord à une conception de la langue dans laquelle celle-ci est envisagée en tant que système sémiotique utilisé principalement pour créer du sens dans un contexte social précis. Tandis que l’aspect proprement fonctionnel permet d’identifier les unités linguistiques mobilisées dans cette création de sens et de porter un regard, telle une radiographie, sur les unités constituantes (l’axe syntagmatique). De plus, cette nouvelle optique faciliterait la description systématique.

Prenons par exemple le tableau suivant qui fournit une vision d’ensemble sur un énoncé court.

Tableau 5 : Un aperçu de la conceptualisation de la théorie systémique

Cette description résolument simple a le mérite de schématiser la théorie systémique avec son dénominateur le plus large. Il n’est donc pas possible de « dézoomer » davantage, mais son contraire est tout à fait possible. Le plan sémantique peut par exemple se diviser en trois sous-parties selon la valeur que l’on cherche à étudier. De ce point de vue, la LSF se veut alors une théorie extensible et circonstanciée - en ce qu’elle propose d’examiner les différents aspects de la langue selon leur contexte d’utilisation et le sens précis qui en découle, tout en portant une attention particulière aux choix [linguistiques] qui ont été opérés.

Reprenons l’exemple de l’énoncé ci-dessus. A titre indicatif, celui-ci peut être examiné selon ses différentes valeurs contextuelles. C’est-à-dire qu’une analyse sémantique fonctionnelle donnera le tableau suivant :

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Tableau 6 : Un aperçu de la strate sémantique

Ici, un apport de la LSF par rapport à la grammaire traditionnelle réside dans la mise en évidence de la Transitivité42, de sorte à préciser à la fois la valeur sémantique et systémique des choix lexicaux qui ont été faits : ce qui n’est pas anodin. Ces choix témoignent, entre autres, de la façon donc le locuteur conçoit son message – à travers, par exemple, l’intensité factuelle ou subjective qu’il souhaite y apporter. Cela étant, chaque élément de l’énoncé apporte une information qui dépasse le cadre syntaxique du sujet, verbe, objet dit SVO, ou encore acteur, verbe, patient. Le présent modèle a été repensé de manière à apporter ces précisions sémantiques sur le rôle que jouent les éléments individuels par rapport au noyau verbal, qui devient désormais un élément clé (cf. sections 3.2.5 et 3.4).

Il est également possible de s’intéresser à ce même énoncé selon sa construction grammaticale, en termes de structuration par rapport à la langue en tant que système. Ce qui prime dans la figure 4 serait alors la hiérarchisation et le rapport d’interdépendance des éléments les uns par rapport aux autres.

Figure 4 : La schématisation grammaticale

En plus des deux premières notions d’interdépendance et de stratification, ces trois premiers graphiques mettent en exergue un principe tout aussi fondamental de la théorie LSF ; à savoir, la contextualisation. Cela signifie que la construction du sens ne résulte pas de la simple addition des unités syntaxiques, mais que le contexte y participe de manière prépondérante. A titre d’exemple,

42 Cf. section 3.2.5 pour une présentation détaillée.

72 toute analyse faisant appel à la théorie systémique doit être réalisée en tenant compte du contexte textuel environnant de l’unité à l’étude.

Et c’est justement en raison de ces trois concepts clés que la LSF fait appel à divers schémas sémiotiques pour représenter les différents types ou niveaux d’analyses effectuées. En bref, ces schématisations ne sont pas rares chez les analystes systémiques, en raison du fait qu’elles fournissent un visuel non-négligeable sur les unités linguistiques minimales à l’étude ainsi que pour l’ensemble des occurrences linguistiques insérées dans un niveau d’analyse précis (cf. les strates).

Toutes ces schématisations ont pour but d’illustrer le niveau de corrélation par rapport au système global.