• Aucun résultat trouvé

En did actiqu e des l angu es matern ell es et étran gères

(Chapitre III) L’apport de la linguistique systémique fonctionnelle

3.3 Quelques cas d’utilisations de la LSF réalisés avec corpus

3.3.1 En did actiqu e des l angu es matern ell es et étran gères

Malgré le fait que nous réfutons la distinction réductrice entre linguistique théorique et linguistique appliquée, nous employons ici le terme générique de didactique des langues étant donné sa spécificité dans notre contexte français. En effet, dans la tradition anglosaxone54 la distinction entre linguistique théorique et appliquée n’est pas transposable en l’état aux termes français de sciences du langage et la didactique des langues ; et ce, malgré l’apparente ressemblance conceptuelle. Une

52 Cf. Beaugrande (1998) pour une discussion dans laquelle il critique l’opposition faite par H.G. Widdowson entre linguistique appliquée et linguistique théorique. En effet, ce dernier dresse une liste de composants rangés dans un des deux champs donnés ; toutefois, si l’on les étudie attentivement il devient alors possible d’affirmer que le cadre LSF n’est en aucun cas limité à un coté plus qu’un autre – mais s’avère clairement exploitable par l’ensemble des sous-domaines ou traits listés.

53 Cette distinction n’est faite ici qu’à des fins de comparaison et ne constitue pas en soi une distinction courante dans le cadre proprement systémique.

54 Nous reconnaissons que dans la littérature anglo-saxonne ces terminologies sont loin d’être homogènes, mais nous renvoyons à Bussman (1996) pour une définition succincte qui a le mérite d’être très englobante sans tomber dans des inexactitudes.

96 différence significative réside dans la délimitation de la didactique des langues (et donc, dans la tradition française) entendue comme une activité principalement pédagogique – dans un contexte d’enseignement-apprentissage donné. Or la linguistique appliquée (dans la tradition anglosaxone) renvoie non seulement à l’enseignement, mais à toute application pratique et interdisciplinaire employant des théories linguistiques : par exemple dans l’identification et le traitement des pathologies du langage ou encore pour les questions ayant trait à la traductologie, entre autres.

Par ailleurs, comme nous l’avons expliqué dans la section 3.1.1, l’origine de notre modèle théorique réside dans une série de rencontres causales entre des véritables besoins de descriptions linguistiques correlés avec des objectifs proprement didactiques, à savoir quand Halliday cherchait à enseigner le chinois en tant que langue étrangère. Ceci nous amène au constat que la didactique en tant que telle occupe toujours une place prépondérante dans la conception systémique – à la fois comme constituant un moteur derrière la description linguistique tout en étant une de ses finalités d’application. Cette dualité est particulièrement mise en avant quand de Beaugrande (1998) souligne à propos du cadre LSF que « it resolutely seeks to integrate theory with practice, and to place theoretical issues in the context of potential applications ».

Nul doute donc, comme nous avons cherché à le démontrer tout au long de ce chapitre, que le cadre systémique constitue une théorie qui s'est imposée à nous de par sa robustesse et singulièrement en raison du fait que son objectif principal réside dans la description complète de toute manifestation effective de la langue, quel que soit son contexte. Cela étant, le passage d’une théorie du langage abstraite à une théorie fonctionnelle, au sens large, demeure, à notre sens, dans l’application pratique de cette dernière à des données susceptibles non seulement de prouver ou réfuter son bien-fondé mais avant tout de démontrer son efficacité de manière concrète. Pour ces raisons nous nous intéressons aux utilisations pratiques du cadre LSF, loin de toute conceptualisation théorique.

De ce fait, nous portons une attention particulière à l’Australie55. En effet, étant donné que le cadre LSF a été développé en grande partie dans le milieu universitaire australien, le contexte éducatif local était propice pour vérifier quelques unes des hypothèses avancées. Ceci a conduit tout naturellement à une série de tâtonnements auprès des institutions éducatives du pays au cours des trente dernières années (cf. Christie 2004). Aujourd'hui, de nombreuses études font état de l’étendue de l’application pratique de LSF, non seulement dans les cours théoriques, mais dans la

55 Il convient de signaler, que bien qu’ayant débuté au Royaume Uni dans les années 1960, le développement de la LSF s’est largement poursuivi en Australie avec la nomination de Halliday et d’autres collègues « systémistes » dans des universités australiennes.

97 formation des enseignants de langues et à son adaptation et exploitation en matière de pédagogie dans le milieu de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire. Comme il s’agit d’une théorie du langage, nous notons toutefois que la zone la plus sensible de son utilisation pratique – dans le contexte australien – s’est illustrée dans l’amélioration générale de l’écriture, entendue à la fois au sens de la rédaction et dans les progrès en lecture.

En langue maternelle

Dans les années 1980, des spécialistes (linguistes et didacticiens) ont fait l’état des lieux de la situation locale du système éducatif australien – et le constat a été frappant. Il y avait une disparité non-négligeable chez les écoliers, selon leurs origines sociales (Rose 1999 ; Martin & Rose 2005 ; Acevedo & Rose 2007). Certains, notamment les aborigènes et ceux issus de milieux défavorisés étaient en quelque sorte délaissés par le système éducatif – et avaient un niveau scolaire inférieur à ce qui était attendu à leur âge. C’est à partir de ce constat que certains ont mené des réflexions sur l’amélioration des compétences en lecture et en écriture de ces jeunes australiens, jugés « à risque ». Le programme « Learning to Read: Reading to Learn56 » est issu de cette initiative.

Ce programme prend comme point de départ le principe de scaffolding dans lequel la production langagière est conçue comme le produit d’un mimésis réussi. Il consiste donc, non pas à expliciter les règles de la grammaire ou de la rédaction, mais plutôt à attirer l’attention sur ce qui fait le texte ; pointer donc les composants propres à chaque type de texte, qu’il s’agisse d’un livre à lire ou d’une histoire à écrire. Pour ce faire, les spécialistes se sont beaucoup appuyés sur le principe de genre, que nous avons très peu explicité dans notre travail mais qui trouve tout son sens dans les principes de réalisation et d’instanciation (cf. tableau 8, figure 6 et figure 16 ci-après).

56 Cf. Acevedo & Rose (2007) pour une présentation détaillée du programme que nous traduisons « Apprendre à lire : lire pour apprendre ». Le programme est basé en grande partie sur des concepts clés issus de la LSF.

98

Figure 16 : La conceptualisation du genre, adapté de Martin (2003)

Par exemple, au lieu de chercher à remédier l’écriture en faisant appel à des ressources grammaticales (lexique et règles prescriptives de grammaire, entre autres), l’attention est portée sur le texte entier, comme répondant à un besoin précis. Donc, l’approche grammaticale traditionnelle est complétée par une approche ascendante, en aidant les ‘apprenants’ dès leur plus jeune âge à prendre conscience de certaines différences et exigences vis-à-vis de la rédaction comme répondant à un besoin précis : il nous incombe de préciser que beaucoup de cet enseignement se fait sans métalangage propre à la linguistique.

Outre ce programme particulier, nous relevons également de nombreux projets s’articulant autour de la problématique de la littéracie de manière générale, chez les apprenants de langue maternelle tous milieux et niveaux scolaires confondus. En effet, Christie (1991) retrace succinctement l’évolution des applications pratiques du cadre LSF aux enseignements de la littéracie en Australie, notamment à travers une exemplification des métafonctions expérientielle et textuelle. Dans cet exemple l’attention du scripteur est orientée vers le séquençage de l’information et donc sa distribution, le tout au profit d’une meilleure gestion de l’organisation du texte comme ensemble.

De plus, l’auteur nous précise que cette approche qui peut paraitre simpliste a déjà porté ses fruits dans le contexte local depuis plus de 10 ans. Elle souligne le fait que l’approche se voit adaptée aux apprenants ; selon qu’ils sont à l’école primaire, secondaire ou notamment en milieu universitaire où l’inscription dans un genre textuel – ou dans une communauté discursive spécifique – est de mise.

99 En langue étrangère

De manière générale, nous pouvons soutenir que les principes d’application réalisés en langue maternelle sont transposables en langue étrangère, et vice versa. Ceci est mis en évidence, entre autres, par le nombre important d’études réalisées autours de la littéracie, tant en langue maternelle qu’en langues dites de spécialité en milieu universitaire (cf. Coffin & Donohue 2012 ; Drury 1991 ; Ventola & Mauranen 1991). Toutefois, il est intéressant de noter que le cadre LSF a été très souvent exploité en langue étrangère à des fins comparables à celles de la langue maternelle, mais par le biais d’approches tout à fait différentes.

Le cas de la métafonction interpersonnelle peut témoigner de ces approches ou « nouveaux terrains d’études ». En effet, cet aspect se voit souvent exploité en didactique, non seulement pour les ressources grammaticales qui permettent sa réalisation, mais plutôt en lien avec les rapports sociaux qu’il permet de manifester dans le discours ou le texte. Autrement dit, cet aspect facilite l’identification du positionnement du scripteur, à la fois face à son lecteur potentiel et à son texte.

Ce point est d’autant plus pertinent dans ce contexte – en raison notamment du fait qu’un apprenant de langue étrangère peut très bien maîtriser la grammaire et avoir une connaissance lexicale tout à fait louable, sans pour autant que ses rédactions fassent émerger une véritable posture argumentative – ce qui pourrait être dommageable dans le milieu universitaire.

Hormis donc les ressources linguistiques que nous avons énumérées dans la section 3.2.5, concernant la métafonction interpersonnelle, cette particularité se fait à travers des études dites d’Appraisal dans la littérature anglo-saxonne. A ce sujet, nous pouvons citer Lancaster (2012), dans son travail de thèse portant sur le positionnement (qu’il nomme Stance et Reader-Positioning) chez des étudiants, qui affirme que la théorie dite d’Appraisal est un moyen d’approfondir la description de l’ensemble des systèmes de valeurs interpersonnelles réalisées dans un texte. Ceci n’est pas sans lien avec la notion de voix en L2 abordée dans le chapitre II, mais a le mérite d’avoir des composants clairement définis et identifiables selon des modalités établies dans le cadre systémique. A contrario, dans le chapitre II l’identification de la voix en L2 se fait tout d’abord sans critères stricts et passe donc par une phase que l’on pourrait qualifier d’interprétative. De façon succincte, Lancaster va jusqu’à nous préciser l’esquisse de son cadre d’analyse en soulignant le fait que cette valeur interpersonnelle s’analyse de la même manière que nos trois schémas d’analyse exposés en section 3.2.5, à savoir par le biais d’un système de réseaux.

The framework makes use of three interrelated sub-systems to track speakers/writers’

choices in interpersonal stancetaking: Attitude explores how feelings, judgments of

100 people, and evaluations of things are built up in texts; Graduation explores how feelings and evaluations are subtly adjusted in terms of force and focus; and Engagement explores how “values are sourced and readers aligned” [...] through resources of modality, attribution, concession, intensification, and others. (Lancaster 2012 : 16)

Bien que celui-ci ne soit nullement confiné aux études didactiques, il permet dans le contexte précis d’apporter un autre regard sur le texte. Dans la mesure où la rédaction en langue étrangère, et dans notre cas précis en milieu universitaire doit répondre à des exigences en termes de genre (au sens de communauté discursive ayant une typologie textuelle et une structuration informationnelle strictes), l’Appraisal permet de prendre conscience de son positionnement en tant que scripteur notamment en rendant explicite les stratégies d’argumentation employées ; et ce, qu’elles soient bien ou mal exploitées. Notons cependant que les études en didactique tant en langue maternelle qu’en langue étrangère ne se limitent pas à des spécificités du cadre LSF. Nous avons voulu montrer par ces quelques exemples les apports de la linguistique systémique fonctionnelle dans l’évolution des tendances actuelles. Il convient à ce titre de signaler que tous les aspects de la langue qui sont traditionnellement étudiés par le biais d’autres théories peuvent l’être avec notre cadre. De plus, nous pouvons même affirmer, dans une certaine mesure, que certaines approches gagneraient à être mutualisées étant donné leur fort potentiel complémentaire.

3.3. 2 En recherche et modél isation linguistiqu e

La linguistique systémique fonctionnelle n'a pas seulement été digne d’intérêt et par conséquent n’a pas été exclusivement employée pour les questions ayant trait à l'enseignement des langues et l’analyse du discours. Elle a également été utilisée pour décrire les systèmes linguistiques de plusieurs langues en commençant par l’anglais, le chinois, le japonais et l’espagnol. La grande différence entre ces langues témoigne, à notre sens, à la fois de l’applicabilité et l’adaptabilité de la théorie à des systèmes linguistiques différents. De ce fait, lister des champs de recherche utilisés avec le modèle systémique nous semble une vaine entreprise – notamment parce que, comme nous l’avons soutenu tout au long de ce chapitre, la théorie se veut circonstanciée et robuste tout en restant modulable. Cependant, nous pouvons nous pencher sur son utilisation dans le domaine de la modélisation linguistique, qui n’est pas un domaine où beaucoup de théories du langage trouvent un champ d’application.

En effet, la LSF a également contribué de manière significative depuis les années 1970 à la modélisation et l'analyse des phénomènes linguistiques, notamment dans le domaine que l’on nomme aujourd’hui la linguistique computationnelle (cf. O’Donnell & Bateman 2005, pour une

101 présentation détaillée). Ceci est un aspect prégnant au vu du nombre croissant de logiciels, parseurs et autres applications utiles dans le traitement et la génération du langage naturel employant le cadre proprement systémique. Cependant, étant donné que ce point n'est pas développé davantage ni considéré pertinent dans notre analyse actuelle, il nous paraît ici judicieux de limiter la description de ces systèmes à une brève présentation de l'utilisation générale de LSF dans ce type de recherche.

A ce titre, nous pouvons renvoyer aux travaux de trois linguistes qui se sont penchés sur le côté computationnel de l’approche, à savoir (i) Matthiessen qui a contribué de manière considérable non seulement à l’approfondissement de la théorie générale mais également à la modélisation computationnelle (cf. Matthiessen 1983) ; (ii) Fawcett a opté pour une approche « formaliste » qui, admet-il lui-même, privilégie un aspect avant tout syntaxique et qui a mis au point des logiciels d’analyse linguistique utilisant un cadre systémique (cf. Fawcett 2004 ; Fawcett & Tucker 1990 ; Lin et al. 1993) ; (iii) Bateman et ses collègues ont également mis au point un système nommé KPML qui s’intéresse au traitement et à la génération du langage naturel (Bateman 1995, 1997 ; Bateman et al. 1999 ; Matthiessen & Bateman 1991) . Selon ces derniers, le cadre LSF s’avère particulièrement efficace pour le NLP/TALN. Bien entendu, ces trois auteurs sont cités à titre illustratif en raison notamment des différentes approches envisagées dans leurs recherches respectives, mais qui, d’un autre point de vue, ont permis l’élargissement à des concepts et domaines divers et variés. Notons enfin que le logiciel que nous utilisons pour réaliser l’ensemble de notre annotation et de l’analyse a également été développé par un systémiste, O’Donnell (2008, 2009). Celui-ci sera présenté plus en détail dans le chapitre suivant (cf. section 4.2.5).