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SYSTEMES DE MESURE DE LA PERFORMANCE DANS UN CONTEXTE D’ORGANISATION HYBRIDE 

Section 2. Organisations hybrides dans un contexte social 

Cette catégorie d’organisation a la spécificité de combiner deux logiques institutionnelles (sociale et commerciale), à priori indépendantes (Battilana & Dorado, 2010). Une logique sociale est l’ensemble des croyances, représentations et images collectives (Dougherty, 2001), basées sur la résolution des problèmes sociaux, qui influencent les acteurs, dans leurs processus de décision et leurs façons de résoudre les problèmes sociétaux (Thornton et al., 2012). La deuxième logique

commerciale est davantage orientée vers la recherche du profit (Pache & Santos,

2012). C’est la raison pour laquelle, en apparence, ces deux logiques sont indépendantes. D’où le questionnement de l’hybridité de ces deux logiques et sur leur interaction dans les entreprises sociales, notamment dans l’entreprise d’insertion. Une organisation hybride est donc, d’après la littérature en sciences de gestion, une organisation alliant ces deux logiques, par un mécanisme d’hybridation et mettant en place une structure organisationnelle adaptée (Tracey et al., 2011).

Cette notion d’hybridation, c’est-à-dire le processus permettant de combiner plusieurs logiques, reste encore assez vague dans la littérature en sciences de gestion. De plus, ce mécanisme d’hybridation entre plusieurs logiques institutionnelles est peu précis. Parlons-nous de combinaison, c’est-à-dire qu’une logique A superposée à une logique B à la base d’une logique hybride AB ou C, complètement différente des deux logiques initiales. Le mécanisme d’hybridation n’est-il tout simplement pas une superposition d’une nouvelle logique, par rapport à une logique existante? Explorons donc à présent plus en détail cette notion d’hybriditation (Fisher & Ferlie, 2013). Pache et Santos (2012) critiquent les recherches ne mentionnant que deux logiques. En effet, Ares comprend d’autres logiques, comme celle de l’aide médicale, des travailleurs sociaux, de l’assistance sociale… Nos résultats montrent que l’hybridation est un équilibre entre plusieurs logiques. Ces logiques initient des pratiques en fonction de l’activité professionnelle et d’une identité organisationnelle homogène.

L’hybridation a d’abord concerné les sciences de la nature en combinant une espèce A avec une autre B, dans l’objectif de créer une nouvelle espèce, présentant des caractéristiques autres que les deux espèces initialement mélangées. Rappelons que l’hybridation est le mécanisme ou processus aboutissant à l’hybridité. Plusieurs autres applications comme la physique moléculaire font appel de plus en plus à ce procédé. Les sciences de gestion ont intégré ce mode opératoire plus récemment. En effet, les recherches de J. Battilana et S. Dorado (2010) ont mis en lumière le concept d’hybridation dans les organisations, combinant une logique de développement de résolution des problèmes sociaux pour les pays pauvres et commerciaux, dans deux organismes de micro-crédit. Cette notion d’hybridation a ensuite été reprise par Tracey et al. (2011), pour tenter de comprendre la formation d’une logique institutionnelle hybride, au sein d’une entreprise sociale, en Grande-Bretagne. Pache et Santos (2012) ont encore repris cette notion d’organisations hybrides pour étudier les impacts de la présence d’une logique sociale et commerciale, dans plusieurs entreprises d’insertion. Ils se sont intéressés à leurs impacts sur les processus de légitimité, par rapport à leur mission sociale. D’autres débats ont déjà eu lieu précédemment sur cette hybridation, le sensemaking et le changement de logiques (Jay, 2013). Ce process d’hybridation reste encore mal compris par la communauté

en sciences de gestion. Il est en partie dû à un manque de recul sur ce nouveau sujet, et aussi à une uniformisation des méthodes de recherche le concernant. Les recherches passées sur le sujet ne concernent souvent que le secteur de l’entreprenariat social et utilisent le plus souvent des méthodologies qualitatives (Dacin et al. 2011). Elargir à d’autres domaines d’activité (Fisher & Ferlie, 2013), permettrait de découvrir d’autres variables conduisant à l’hybridation ou permettant de comprendre si l’hybridation est cette somme de deux logiques A et B donnant une logique AB (superposition de deux logiques) ou C (avec des caractéristiques différentes).

Ces deux logiques peuvent créer des tensions et des conflits identitaires dans les organisations hybrides (Fisher & Ferlie, 2013). Battilana et al. (2012) ont alors quatre suggestions pour résoudre ces conflits identitaires. Elles doivent d’abord choisir la structure légale la plus appropriée (associatif ou commercial). Le second challenge concerne le type de financement externe qui correspond le mieux (subventions publiques ou de type privé). Ensuite, les organisations hybrides doivent tenter d’intégrer cette dimension sociétale à une gestion, qui diffère peu de l’entreprise traditionnelle. La dernière suggestion concerne la culture organisationnelle, qui doit elle aussi, intégrer les valeurs sociétales ou commerciales, avec le risque de faire naître des conflits identitaires. En effet, Cooney (2006) montre que, par isomorphisme, les entreprises sociales reproduisent les mêmes orientations et se gèrent comme les entreprises traditionnelles. Elles utilisent les mêmes rapports financiers ou dans certain cas, des systèmes d’information similaires. La seule différence est que certains outils sont développés pour correspondre à leur mission sociale. Evoquons enfin les recherches passées concernant les conflits identitaires.

Rothman (1997) mentionne que, “When people’s essential identities, as expressed and maintained by their primary group affiliations, are threatened or frustrated, intransigent conflict almost inevitably follows. For such conflicts, conventional methods of conflict management are usually inadequate and may even exacerbate the problem” (:5). Chez Ares, lorsque les travailleurs sociaux sont contraints d’adopter des pratiques plutôt commerciales, cela peut engendrer des

comportements, dus à cette double identité, 1/ valeurs intrinsèques sociales, et 2/ obligations commerciales. Les comportements peuvent être multiples comme une augmentation des démissions, une rétention d’informations (Friedman & Davidson, 1999). Fiol et al. (2009) montrent que ces conflits identitaires peuvent concerner l’individu et le collectif. Lorsque ces conflits concernent une même catégorie d’acteurs (travailleurs sociaux), cela peut avoir des conséquences négatives pour toute l’organisation de Ares. Cette double identité, sociale et commerciale, est source de conflits chez les acteurs. Ces conflits identitaires sont proches des doubles injonctions paradoxales, où l’individu est pris au piège entre deux ordres contradictoires ou indépendants (Bouilloud, 2013). La notion de « identity work », ou comment un collectif répond à la question de « qui sommes-nous ? », pourrait aussi s’inscrire dans cette recherche (Alvesson & Willmott, 2002).

Notre étude montrera en Partie 2., que la mise en place d’outils de mesure de la performance permettra aux équipes sociales de mieux remplir la résolution des

problèmes sociaux, et de réduire ainsi les conflits identitaires. Nous contribuerons

ainsi à la compréhension de cette identité organisationnelle homogène (Battilana & Dorado, 2010). Cela sera le moyen d’étudier l’évolution empirique de la managérialisation et de la standardisation d’une pratique de mesure de la performance sociale, à la base d’une identité organisationnelle homogène.

PARTIE 2.

ETUDE EMPIRIQUE DE