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1. Contrôle neural de la locomotion : une organisation hiérarchique

1.3 Régulateurs de la locomotion – les voies descendantes supraspinales

1.3.2 Organisation du système latéral

Le système latéral est surtout impliqué dans les mouvements volontaires, particulièrement le contrôle précis et la coordination des membres. Il est composé des voies corticospinales (cortex moteur) et rubrospinales (noyau rouge) qui projettent principalement dans la partie dorsolatérale de la moelle épinière, vers les motoneurones qui contrôlent les muscles distaux des membres. Une lésion totale de ce système limite sévèrement le positionnement précis des membres pendant la locomotion ou les mouvements d’atteinte, entraîne aussi un déficit soutenu de la coordination inter- membre, et affecte également la séquence appropriée du patron locomoteur (Jiang et Drew 1996; Kuypers 1963; Rossignol et al 1999). Les expériences qui suivent ont permis de déterminer quelles voies du système latéral sont responsables de ces activités.

1.3.2.1 Le cortex moteur

La voie corticospinale latérale constitue le tractus principal au travers duquel le cortex moteur primaire (aire 4 de Brodmann), une structure largement reconnue comme indispensable pour le contrôle volontaire du mouvement et de la locomotion, influence l’activité de la moelle épinière. Cette projection effectue une décussation au niveau médullo-spinal de la pyramide (Lance et Manning 1954; Wiesendanger 1981), se prolonge au travers de la colonne latérale de la moelle épinière, et connecte directement, chez le primate (Bernhard et al 1953; Lemon et Griffiths 2005; Liu et Chambers 1964), avec les motoneurones dans la zone dorsolatérale de la matière grise. Chez le chat, cette connexion est exclusivement effectuée au travers de connexions synaptiques interneuronales (Chambers et Liu 1957; Kuypers 1963; Lundberg 1969, 1979).

Cette projection semble plus impliquée dans l’activation de muscles distaux, particulièrement ceux des mains et des doigts chez le primate (Dum et Strick 1996, 2002; Illert et al 1976; Kuypers 1981; Landgren et al 1962). En effet, des lésions de la projection pyramidale (Eidelberg et Yu 1981; Liddell et Phillips 1944), de la voie

corticospinale (Jiang et Drew 1996), ou du cortex moteur lui-même (Adkins et al 1971; Beloozerova et Sirota 1988; Martin et Ghez 1993) n’affectent pas substantiellement la marche libre, mais entraînent toutefois des défaillances au niveau de la manipulation fine d’aliments avec les doigts, ou pendant la locomotion précise sur les barreaux d’une échelle, par exemple. En plus de ces projections motrices, la voie corticospinale latérale comporte également des projections issues des régions corticales somatosensorielles qui s’étendent au travers de collatérales vers la corne dorsale de la moelle épinière. Cette voie sensorimotrice pourrait donc potentiellement influencer ses propres afférences sensorielles (Coulter 1974; Ghez et Pisa, 1972; Lemon 2008; Martin 1996). Tel que suggéré par plusieurs études impliquant la lésion de la corne dorsale (Barthélemy et al 2007; Darian-Smith 2007; Glendinning et al 1992), ces interconnexions entre les collatérales de la voie corticospinale et les afférences sensorielles de la corne dorsale pourraient être essentielles pour l’accomplissement de tâches motrices fines à l’aide des extrémités distales des membres antérieurs, tels que la manipulation d’objets, les mouvements d’atteinte vers une cible ou le placement précis des pattes lors de la marche (Canedo 1997; Lemon et Griffiths 2005; Rathelot et Strick 2009; Vicario et al 1983). Le cortex semble donc, au travers de la voie corticospinale, avoir la capacité de directement influencer l’activité du GCP et de nombreux circuits de la moelle épinière.

Le cortex moteur primaire (aire 4 de Brodmann) est organisé somatotopiquement (Nieoullon et Rispal-Padel 1976; Penfield et Boldrey 1937; Woolsey et al 1979) et est situé dans le lobe frontal, au niveau du gyrus antérieur du sillon central chez l’humain ou chez le primate, et autour du sillon crucié chez le chat. Il est interconnecté avec de nombreuses régions corticales aussi impliquées lors de la genèse des mouvements volontaires. En effet, le cortex moteur reçoit et réciproque de riches connexions avec, en particulier, les aires prémotrices, pariétales et somatosensorielles, tant chez le chat (Andujar et Drew 2007; Burton et Kopf 1984; Ghosh 1997a; Yumiya et Ghez 1984), que chez le primate (Dum et Strick 2002; Jones et al 1978; Luppino et al 1993; Strick et Kim 1978; Tokuno et Tanji 1993) et l’être humain (Gordon et al 1998; Münchau et al 2002). Ces interconnexions facilitent la modulation de l’activité du cortex moteur en relation avec les différents inputs sensoriels obtenus lors du mouvement. Entre autres,

elles permettent au cortex moteur de participer dans la modification prédictive des mouvements volontaires sous guidage visuel.

Comment donc évaluer l’activité du cortex moteur dans ces circonstances ? La locomotion, avec l’enjambement d’obstacles par exemple, constitue un excellent modèle pour étudier l’activité des neurones moteurs pendant le mouvement libre. Grâce au développement de techniques permettant l’enregistrement de l’activité de neurones individuels in vivo pendant la locomotion (Armstrong et de Drew 1980; Palmer 1976; Palmer et al 1979), plusieurs études ont porté beaucoup d’attention sur l’activité des neurones du cortex moteur pendant la locomotion chez le chat. En particulier, les expériences de Armstrong et Drew (1984a,b,c) ont révélé que les cellules de la région de la patte antérieure du cortex moteur déchargent rythmiquement et sont modulées en relation avec le cycle de marche pendant la locomotion sur une surface plane sans obstacles. La majorité de ces neurones déchargeaient une seule fois par cycle et la fréquence de cette activité était parfois dépendante de la vitesse de la locomotion (Armstrong 1986; Armstrong et Drew 1984a,b; Armstrong et Marple-Horvat 1996).

Des études subséquentes utilisant la stimulation du cortex moteur pendant la locomotion libre ont démontré que cette activité corticale semblait avoir une influence phase-dépendante sur l’activité du GCP (Armstrong et Drew 1985a,b). En effet, une brève stimulation du cortex moteur pendant, ou immédiatement avant l’activation des muscles fléchisseurs entraînait une augmentation de cette activité musculaire. En revanche, une stimulation pendant la phase d’appui provoquait souvent une inhibition des muscles extenseurs. De plus, des stimulations prolongées pendant la phase d’appui tendaient à rapidement diminuer la durée d’activité des muscles extenseurs et accélérait substantiellement l’initiation du prochain cycle (Armstrong et Drew 1985b; Rho et al 1999). Cette capacité unique du cortex moteur à réinitialiser le cycle de marche suggérait également que cette structure corticale, par l’entremise de la voie corticospinale, peut contribuer à moduler le minutage de la locomotion entre les phases de balancement et d’appui. Cette caractéristique distingue le cortex moteur d’une autre structure importante du système latéral que nous examinerons plus loin : le noyau rouge (Orlovsky 1972c).

Mais le rôle principal attribué au cortex moteur est son implication dans le placement spécifique et visuellement guidé des membres, lorsque qu’un animal doit effectuer un mouvement volontaire contrôlé pendant la locomotion (Drew 1991b,c, 2000; Drew et al 1996; Kalaska et Drew 1993). De nombreuses expériences d’enregistrements unitaires de ces cellules corticales motrices ont révélé que leur décharge augmente de façon significative lorsque un chat enjambe un obstacle avec les pattes antérieures (Beloozerova et Sirota 1993; Drew 1988, 1993; Drew et al 2008a) ou postérieures (Drew et al 2002; Widajewicz et al 1994) et lorsqu’il marche sur les échelons d’une échelle (Amos et al 1987, 1990; Armstrong et Marple-Horvat 1996; Beloozerova et Sirota 1988). Cette augmentation n’est pas uniforme au travers du cycle de marche, mais semble plutôt concentrée au moment de l’activation de muscles spécifiques pendant la modification de la démarche. En effet, les cellules du cortex moteur semblent signaler quels changements musculaires particuliers sont nécessaires afin de correctement établir la trajectoire des membres pendant et après l’enjambement d’un obstacle (Drew 1988, 1991b, 1993, 2000). Ces changements musculaires précis permettraient donc de directement affecter l’amplitude et la durée du mouvement modifié. Par exemple, certains neurones moteurs modulaient leur activité en phase avec la partie initiale de la phase de balancement, favorisants ainsi l’élévation du membre par-dessus l’obstacle, tandis que d’autres cellules enregistrées montraient une activité plus spécifique à la partie tardive de la phase de balancement, concomitant avec le positionnement de la patte avant qu’elle touche le sol. Enfin, un plus petit nombre de cellules semblaient plutôt augmenter leur décharge pendant l’activation des muscles extenseurs de la patte avant distale, tant pendant la phase initiale de levée de la patte pour enjamber l’obstacle, que pendant la phase d’appui, après que l’obstacle avait été surmonté. Toutes ces différentes modulations musculaires spécifiques semblent indiquer que plusieurs populations de cellules motrices participent de façon séquentielle afin d’activer les muscles dans l’ordre approprié pour permettre au membre de passer correctement au-dessus de l’obstacle (Drew 1993, 2000; Krouchev et al 2006).

Mais il est toutefois important de noter que la modulation de la décharge de ces cellules motrices était observée presque exclusivement pendant le mouvement volontaire lui-même et rarement lors des bouffées précédentes, avec l’approche de

l’obstacle. Ceci suggère donc que cette activité corticale est impliquée dans l’exécution du mouvement et non pas dans sa planification sur la base d’information visuelle (Drew et al 1996, 2008; Kalaska et Drew 1993).

1.3.2.2 Le noyau rouge

La voie rubrospinale est issue de la partie magnocellulaire du noyau rouge. Les fibres rubrospinales projettent au travers de la partie dorsale de la colonne latérale de la moelle épinière et aboutissent, comme les projections de la voie corticospinale latérale, dans la zone dorsolatérale de la matière grise. Les études de stimulation du noyau rouge ont révélé, chez le chat intact (Rho et al 1999) et chez le chat décérébré (Degtyarenko et al 1993; Orlovsky 1972c), une facilitation de la réponse des muscles fléchisseurs lors de la phase de balancement. Une facilitation moins importante des muscles extenseurs lors de la phase d’appui a aussi été observée (Rho et al 1999). Par contre, la stimulation prolongée du noyau rouge n’entraînait pas la réinitialisation du cycle de marche, telle qu’observée avec le cortex moteur dans les mêmes circonstances (Rho et al 1999). De plus, des études de lésions du noyau rouge ont révélé, similairement aux études de lésion du cortex moteur (mentionnées plus haut), un léger déficit de locomotion sur des surfaces planes (Muir et Wishaw 2000) et des difficultés plus importantes dans un environnement encombré (Ingram et Ranson 1932; Armstrong 1986).

Les enregistrements du noyau rouge pendant la modification volontaire de la démarche indiquaient aussi que la majorité des cellules isolées déchargeaient, comme les neurones du cortex moteur, pendant la phase de balancement. Toutefois, un grand nombre de ces cellules rubrales démontraient plusieurs bouffées d’activité par cycle, coïncidant souvent avec les périodes de balancement et d’appui (Lavoie et Drew 2002). Ces caractéristiques semblent donc contrevenir à l’hypothèse proposée par Orlovsky, qui suggérait que le noyau rouge ne participe qu’à la modulation de l’activité des muscles fléchisseurs pendant la marche normale (Orlovsky 1972c). En effet, en plus de contribuer aux modifications des patrons d’activité musculaire pendant l’enjambement d’un obstacle, il semble que les multiples décharges rubrales observées dans un même

cycle de marche pourraient être aussi impliquées dans la coordination inter- et intra- membre de multiples muscles lors de ces mouvements volontaires précis (Lavoie et Drew 2002).