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2. Contribution visuelle – la vision pendant l’action

2.1 L’utilisation du flux optique pour guider la marche

Gibson (1958) fut le premier à proposer que la réflexion de la lumière sur les objets dans le champ de vision d’un individu pouvait fournir l’information visuelle requise pour le guider lorsqu’il se déplace dans un environnement. En particulier, les changements et variations radiales de ces réflexions, constituant ce que Gibson dénommait le flux optique, permettraient de distinguer l’approche d’un objet vers l’individu, ou vice-versa (Gibson 1958). Le patron de flux optique génère, à la surface de la rétine du sujet, un foyer d’expansion dans la direction du déplacement. Gibson a donc proposé qu’une personne peut se diriger dans l’espace en maintenant son objectif dans le foyer d’expansion (voir revue : Gibson 1968). De plus, il suggère que l’interaction avec l’environnement s’effectue grâce à l’intégration de deux types d’informations visuelles : l’information extéroceptive, qui définit les caractéristiques physiques des objets (taille, formes, textures de surface), et l’information exproprioceptive, qui désigne la position ou l’orientation du corps par rapport à l’environnement.

Plusieurs expériences subséquentes effectuées chez l’animal et chez l’homme ont analysé l’importance du flux optique pendant la locomotion. Par exemple, les études de Warren et ses collègues ont méticuleusement examiné l’influence du flux visuel sur la

locomotion chez l’humain, grâce à des protocoles utilisant des représentations virtuelles de l’environnement (Warren 1998; Warren et al 1988, 2001). Dans une première série d’expériences, ils ont tenté d’établir si la perception de direction du déplacement était influencée par une modulation contrôlée du flux optique. Ils ont demandé à leurs sujets, lorsque placés dans une position statique, d’indiquer si une simulation de flux optique, constituée de nombreux vecteurs dirigés vers l’horizon d’un plan visuel, leur permettait de distinguer s’ils se dirigeaient parallèlement, vers la droite/gauche, ou même directement vers le plan de surface (Warren et al 1988). Une grande majorité des sujets pouvait détecter une direction de déplacement le long du flux simulé. Par contre, lorsque le nombre de points mobiles constituant le flux optique était diminué, la sensation de déplacement était rapidement réduite. Les auteurs ont donc conclu, en accord avec Gibson (1958), que le champ visuel généré par le flux optique est essentiel pour déterminer la direction de déplacement du sujet (voir revue : Warren 1998).

Leurs expériences suivantes ont ensuite appliqué ces observations à un protocole permettant à leurs sujets de se déplacer librement vers une cible dans un environnement artificiel, tout en contrôlant les qualités saillantes du flux optique disponible (Warren et al 2001). Ils ont observé que lorsque l’environnement contenait suffisamment d’indices visuels dirigés dans le plan de la cible, créant ainsi une bonne représentation du flux optique, les sujets étaient capables de se positionner et de se déplacer vers la cible rapidement avec peu d’erreurs de direction. De plus, lorsque la direction de déplacement virtuelle était biaisée par rapport à la direction de déplacement réelle des sujets, ils étaient capables de compenser et éventuellement d’adapter leur démarche, tant que la représentation du flux visuel était suffisamment proéminente (Bruggeman et al 2007). Finalement, le flux optique avait aussi un effet sur la vitesse de la locomotion (Mohler et al 2007; Prokop et al 1997) et sur la posture du sujet pendant le mouvement (Bardy et al 1996; Lee 1980). Tous ces résultats confirment donc que le flux optique est important pour le contrôle en direct de la locomotion, mais qu’il est aussi indispensable pour permettre à un individu d’adapter leur trajectoire et de moduler leur déplacement en fonction des variabilités de l’environnement.

Toutefois, Warren et al ont aussi observé que lorsque la scène artificielle était dépourvue des indices visuels simulant le flux optique, les sujets tendaient à prendre un

chemin moins direct pour atteindre la cible, mais ils pouvaient tout de même se centrer correctement dans la direction voulue (Warren et al 2001). Cette distinction suggère que lorsque le flux optique n’est pas disponible ou est insuffisant, le sujet doit utiliser la position perçue de son propre corps par rapport à la cible afin de se diriger vers celle-ci. Ce concept, nommé direction égocentrique, semble donc aussi être important afin d’orienter la locomotion. En effet, plusieurs expériences ont étudié ce phénomène à l’aide de prismes qui déplaçaient la position perçue de la cible ainsi que le foyer d’expansion pendant la locomotion (Harris et Bonas 2002; Harris et Rogers 1999; Rushton et al 1998). Ces travaux ont observé que les directions de déplacement utilisées par leurs sujets ne différaient pas de façon significative lorsque les indices visuels de flux optique variaient. Les auteurs ont donc proposé que, étant donné qu’un individu est capable de se diriger vers une cible tout en portant son regard sur un autre point de l’environnement (comme lorsque l’on observe le paysage en se promenant sur une route), il serait possible de suggérer que la position perçue du corps, et non pas le foyer d’expansion générant le flux optique, serait le facteur dominant pour guider la locomotion (Rushton 2008; Wann et Land 2000). Même si la théorie de direction égocentrique n’est pas entièrement acceptée par ses opposants (Fajen et Warren 2000), un consensus émergeant propose que l’utilisation principale du flux optique ou de la direction égocentrique dépendrait des caractéristiques de l’environnement et des circonstances spécifiques rencontrées par le sujet (Assaiante et al 1989; Bruggeman et al 2007).

Le modèle du chat a aussi été utilisé pour étudier le rôle du flux optique dans le déplacement et pour le placement précis des membres pendant la locomotion. En effet, Sherk et Fowler (2000) ont démontré que les chats pouvaient se déplacer facilement au travers d’un corridor bien illuminé ou assombrit, tout en évitant de toucher à de nombreux obstacles. Par contre, lorsque le corridor était exposé à la lumière d’un stroboscope, l’accomplissement de la tâche devenait beaucoup plus difficile pour les félins. Ils ont conclu que les neurones sensibles au mouvement, et donc impliqués dans l’intégration du flux optique, ne parvenaient pas à obtenir suffisamment d’information à partir des surfaces de l’environnement lorsque la lumière stroboscopique était utilisée (Sherk et Fowler 2000, 2001a,b). Afin de vérifier ceci, ils ont effectué des lésions du

cortex extrastrié suprasylvien latéral de plusieurs chats, une région corticale importante pour l’analyse du flux optique, avant de refaire la tâche locomotrice (Sherk et Fowler 2002). Les chats lésés ont démontré de larges lacunes dans le positionnement de leurs pattes pendant la tâche, similaires à celles observées chez le chat intact avec la lumière stroboscopique, même si leur capacité de discriminer des textures ou des patrons visuels n’était pas affectée. Ceci confirmerait donc que le placement précis des pattes dans un environnement encombré nécessite l’activité de ces cellules visuelles ayant une réceptivité au mouvement extrait du flux optique.

2.2 Tau (τ) – déterminer le temps de contact avec un obstacle