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2. Contribution visuelle – la vision pendant l’action

2.3 Échantillonnage de l’environnement et fixation constante

environnement au fur et à mesure qu’il se déplace au travers de celui-ci (échantillonnage), mais lorsqu’il se dirige vers une cible, est-il aussi nécessaire de fixer celle-ci du regard pour correctement guider la locomotion (fixation) ?

Plusieurs études ont donc tenté d’évaluer l’importance relative de ces comportements visuels lors du déplacement d’un individu. En effet, tout d’abord, il semble que l’examen occasionnel de l’environnement est suffisant pour permettre au sujet de programmer la modification motrice nécessaire pour atteindre une cible ou éviter l’obstacle. De plus, cette modification pourrait être préparée bien en avance de l’obstacle. Les expériences de Thomson (1980, 1983), et d’autres plus récentes (Hicheur et al 2007; Pham et Hicheur 2009), ont démontré que des sujets humains pouvaient correctement marcher vers une cible connue jusqu’à cinq mètres de loin, même s’ils ne pouvaient pas faire usage de leur vision pendant le trajet. Au-delà de cette distance, les sujets commençaient à faire des erreurs d’évaluations de la distance à parcourir. Thomson a suggéré que l’échantillonnage continuel d’un environnement déjà visualisé au préalable n’est pas toujours nécessaire pour guider la locomotion (Thomson 1983). Il a proposé que sur de courtes distances, des programmes moteurs pourraient être formulés pour contrôler la locomotion, mais pour de plus grandes distances, l’information visuelle était plutôt internalisée indépendamment des instructions motrices (Laurent et Thomson 1988).

Plus tard, ces observations ont été consolidées avec une tâche plus difficile que simplement marcher vers une cible : l’enjambement précis d’un obstacle (Mohagheghi et al 2004; Moraes et al 2004; Patla et Greig 2006). En effet, des sujets humains étaient capables d’enjamber une entrave placée au milieu d’un court sentier, même si leur vision était bloquée après l’approche initiale d’échantillonnage, à environ quatre pas de

l’obstacle. Bien que l’enjambement fût légèrement moins précis que lors des passages contrôles sans obstruction de la vue, l’échantillonnage pendant la phase d’approche était suffisant pour générer la modification motrice requise.

Le groupe de Patla a approfondit ses recherches grâce à des protocoles de locomotion chez l’humain utilisant des chemins prédéfinis avec des traces de pas (voir les revues : Patla 1997, 1998). Ils ont déterminé que le comportement visuel le plus courant était de maintenir le regard centré à une distance d’environ deux à trois pas vers l’avant (un comportement de fixation constante qu’ils dénomment « travelling gaze fixation ») et de moduler la vitesse de son déplacement en fonction du flux optique généré par cette fixation (Patla et Vickers 1997). Par contre, lorsqu’un pas prévu dans le protocole requérait plus d’attention, le sujet avait tendance à brièvement effectuer une saccade vers ce point particulier, environ deux pas à l’avance (Patla et Vickers 2003), ou il fixait son regard sur une région spécifique sur laquelle il planifiait de marcher (Marigold et Patla 2007). Cette saccade et fixation visuelle rapide fournissait suffisamment d’information exproprioceptive pour permettre à l‘individu de planifier une modification volontaire de sa démarche afin de négocier l’obstacle. Évidemment, la fréquence de ces fixations ciblées restait faible lorsque l’environnement était uniforme, mais elle augmentait logiquement lorsque plus d’obstacles saillants étaient ajoutés. Patla et al ont vérifié ce phénomène grâce à l’utilisation de lunettes à cristaux liquides qui pouvaient être rendues opaques ou transparentes à l’aide d’un interrupteur contrôlé par les sujets eux-mêmes (Patla et al 1996). Comme observé dans l’étude précédente, les sujets augmentaient leur fréquence d’échantillonnage de l’environnement seulement lorsque la tâche devenait plus difficile (Hollands et Marple-Horvat 2001; Marigold et Patla 2007), ce qui indique que la vision peut avoir un effet modulatoire actif pendant la locomotion.

Les observations faites chez l’être humain ont aussi été notées dans des expériences animales, notamment chez le chat. En effet, les expériences de Fowler et Sherk (2003) ont démontré que lorsque l’animal se déplaçait dans une allée semée d’obstacles, il avait tendance à garder son regard dans la direction du déplacement. De plus, le chat effectuait rarement des saccades vers les objets dans son chemin. Ces constatations indiquent donc que les chats semblent principalement acquérir

l’information visuelle nécessaire à leur locomotion pendant des périodes de fixation constante dans la direction de leur déplacement (« travelling gaze fixation »), soit lorsque la progression de l’image rétinienne suit plus fidèlement le flux optique, tel que décrit par Gibson (1958). Les quelques saccades ponctuelles observées, sans fixations soutenues, semblent être plus sélectives et variaient d’une épreuve à une autre, ce qui suggère que l’animal n’en dépend que lorsque les circonstances le demandent et non pas sur une base régulière. Ces résultats ont aussi été renforcés par les expériences de Wilkinson et Sherk (2005) qui ont déterminé que les chats, comme les êtres humains dans les expériences de Patla et Vickers (2003) décrites plus haut, sont capables d’utiliser l’information visuelle obtenue pendant des périodes de fixation constante afin de planifier plusieurs pas à l’avance et de les effectuer correctement, même lorsque la vue est bloquée à mi-chemin.

Ainsi donc, l’identification des caractéristiques physiques et le positionnement des obstacles à surmonter sont accomplis grâce aux saccades effectuées vers ces objets obstructifs (échantillonnage) et l’intégration du flux optique (fixation constante) pendant le déplacement du sujet au travers de l’environnement (Mohagheghi et al 2004; Patla et Vickers 1997). Lorsque la topographie de l’environnement n’est pas trop exigeante, ces informations visuelles sont généralement recueillies de façon ponctuelle jusqu’à l’arrivée d’un obstacle dans le champ visuel inférieur de l’individu et l’initiation même de l’enjambement (Patla et Greig 2006).

2.4 Input visuel spécifique à l’enjambement d’obstacles : le