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Il est dans l’ordre des choses que la femme fasse don de soi pour rendre son homme heureux – mythe éducationnel

LES DONNÉES RELATIVES À L’INTÉGRATION D’UNE NOUVELLE MANIÈRE D’ÊTRE EN RELATION

6.1 L ES CROYANCES ET MYTHES QUE JE PORTE

6.1.4 Il est dans l’ordre des choses que la femme fasse don de soi pour rendre son homme heureux – mythe éducationnel

L’incessante question « Ton père a-t-il l’air heureux », à laquelle j’avais droit à chaque retour de chez mon père, a certainement eu une forme d’imprégnation en moi. Il semble en effet bien probable que ce soit à partir de cette question, apparemment si cruciale puisque posée chaque fois, que j’ai assimilé que l’important c’est que l’autre soit heureux.

À partir de là, il ne restait que deux pas à franchir pour interpréter que quand l’autre est malheureux, je ne peux être bien, ce qui me rend aussi malheureuse. La meilleure façon de m’occuper de moi devient donc de m’occuper de l’autre, de son bonheur. Ce faisant, je n’ai pas le sentiment de me trahir, son bonheur alimentant le mien.

Rendre l’autre heureux, une tâche ardue, d’autant plus que l’autre n’a rien demandé ! Mais d’où vient cette conception de la vie à deux ? En 1962, au moment où mes parents se marient, le rôle de la femme semble en effet se limiter à rendre l’autre heureux selon la religion catholique, laquelle influence encore fortement les valeurs sociales et familiales à cette époque. J’ai trouvé dans le Manuel d’économie domestique et d’instruction ménagère de Stella, lequel remonte à 1903, un extrait qui reflète clairement un lien entre ma conception du rôle de la femme au sein du couple, décrite ci-dessus, et la vision du rôle de la femme à cette époque. Incroyable!

Si elle s’applique à l’épargne de tous les instants, à des nettoyages ennuyeux, à des coutures fastidieuses, c’est qu’elle est soutenue par ces deux pensées : « Je veux rendre heureux ceux qui m’entourent, […] ». (Stella, 1903 : 3)

Ce n’est donc pas d’hier que la femme axe son univers et son bonheur sur son homme, comme en fait foi une chanson, somme toute assez récente, de Sophie Milman.

Make someone happy Make just one someone happy Make just one heart the heart to sing to

Love is the answer Someone to love is the answer Once you have found him, build your

world around him And make someone happy, Make just one someone happy,

And you will be happy too. You'll be happy too.

Rendre quelqu’un heureux Rendre un seul être heureux

Faire d’un seul cœur, le cœur pour qui chanter L’amour est la réponse

Quelqu’un à aimer est la réponse

Une fois que vous l’avez trouvé, construisez votre monde autour de lui

Et rendre quelqu’un heureux Ne rendre qu’un seul être heureux

Et vous serez heureux aussi Vous serez heureux aussi

(Paroles de la chanson Make someone happy par Sophie Milman, traduction libre)

Ainsi, ma mère puis moi des années plus tard avons fait le même choix, rendre notre homme heureux, et ce, en quelque sorte pour notre propre bonheur. Mais qu’advient-il si l’autre n’est pas heureux ? Mon propre bonheur est en cause, alors j’en veux à l’autre de ne pas être heureux malgré tout ce que je fais. Qui plus est, parce qu’il n’est pas heureux, j’ai l’impression qu’il ne se soucie jamais de moi en retour de toute l’attention que je lui porte. Cette spirale infernale, ou ce piège pernicieux, finit par déclencher ma colère parce que je me sens abusée par l’autre.

Cette colère est-elle vraiment dirigée contre l’autre ou contre moi ? Rendre l’autre heureux est ma conception de la vie à deux. Faire de l’autre le centre de ma vie sans m’arrêter à mes besoins et mes limites est mon choix inconscient. Voilà où m’a menée ce mythe éducationnel.

Les exercices et l’écriture en lien avec le cours Atelier thématique suivi à l’été 2014 m’ont

révélé que cette conception de la vie à deux avait guidé ma vie de couple. Ma relation a davantage ressemblé à une relation femme-mère/homme-enfant qu’à une relation femme-mari. Le choc !

Quelques lectures d’articles relatifs aux relations de couple m’ont permis de constater que le profil des personnes qui s’engagent dans une relation femme-mère/homme-enfant nous ressemblait en effet. Pour ma part, je ne savais pas être femme, mais j’étais déjà à l’aise dans le rôle d’une mère attentionnée qui prend soin. Quant à mon ex-conjoint, il semble qu’il ait représenté, de manière

inconsciente, le conjoint de remplacement de sa mère. C’est ce dont m’avait informé un psychothérapeute alors que nous n’en étions qu’à notre deuxième année de vie en couple. Bien que ma belle-maman ait eu un conjoint à la suite de son divorce, mon ex-conjoint n’a pas eu un père à proprement parler. Un père présent avec il faut rivaliser pour l’attention de sa mère. Un père envers qui on doit contester l’autorité en tant qu’homme en devenir. Ses manquements au développement font en sorte que l’homme-enfant se sente sans repère dans le monde masculin. Le couple ainsi assorti va reproduire le schéma relationnel connu, une relation de couple basée sur le modèle mère- fils.

L’homme-enfant attiré par une autre femme aura peur de s’affranchir de la femme-mère parce que c’est elle qui s’occupe de lui. Cette situation peut devenir une occasion pour les partenaires de se remettre en question, voire de choisir d’accéder à une relation de couple plus saine, d’égale à égal avec un nouveau partenaire. La rupture de notre couple m’a permis de saisir à quel point je m’étais gardée à distance de la femme en moi. Qui plus est, que la posture de femme- mère avait accentué ma difficulté à reconnaître mes besoins et mes limites.