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Optique de Fourier et conjugaison de phase

Dans cette partie, nous allons introduire le concept d’Optique de Fourier comme un outil mathématique utile pour décrire la propagation à travers un milieu diffusant et/ou aberrant. L’idée principale est de réduire le problème de diffusion (volumique) à une description du champ optique dans la pupille du système d’imagerie. Nous allons ensuite introduire le concept de conjugaison de phase qui permet de refocaliser la lumière diffuse à l’aide de modulateurs spatiaux de lumière.

2.2.1 Optique de Fourier et diffusion

On peut démontrer qu’il existe une relation de transformée de Fourier entre le champ optique dans la pupille d’une lentille d’un objectif de microscope et le champ dans son plan focal pour une illumination cohérente monochromatique : voir [66].

𝐼𝑝𝑙𝑎𝑛 𝑖𝑚𝑎𝑔𝑒= |𝐸𝑝𝑙𝑎𝑛 𝑖𝑚𝑎𝑔𝑒|2 = |𝑇𝐹[𝐸𝑝𝑢𝑝𝑖𝑙𝑙𝑒]|2

(2.7)

Ainsi une onde plane incidente sur une pupille circulaire va former un focus étant la transformée de Fourier de l’ouverture circulaire soit une tache d’Airy. Nous retrouvons ici la limite de diffraction d’un système optique. La propagation à travers un système de pupille finie joue le rôle d’un filtre spatial passe-bas.

Nous pouvons introduire ici la notion de front d’onde comme la surface perpendiculaire à la direction de propagation d’une onde, sur laquelle la phase d’une onde est égale. Pour un système optique parfait le front d’onde est plat. Le moindre écart à une phase plate du champ incident dans la pupille va former après propagation une tache plus étendue que la tache d’Airy : le front d’onde est déformé.

42 Prenons l’exemple d’un point source imagé par un objectif de microscope et une lentille de tube comme illustré sur le schéma 12.a. En l’absence de milieu diffusant, l’image formée est limitée par diffraction. A l’inverse, en présence d’un milieu diffusant, le front d’onde dans la pupille n’est plus plat, le système optique n’arrive pas à imager correctement l’objet, la résolution est perdue. La PSF de notre système est détériorée.

Nous retrouvons ce phénomène par exemple pour un système optique imparfait donc aberré ou encore en Astronomie pendant l’observation d’étoiles à travers l’atmosphère (ici à travers un système de lentille et non pas un objectif de microscope). Nous retrouvons aussi un front d’onde fortement déformé en imageant à travers un milieu diffusant.

Figure 12. Déformation du front d’onde dans la pupille. A. Un point source est imagé à travers un milieu diffusant par un objectif de microscope et une lentille. B. Phase dans la pupille pour un système, de gauche à droite, sans milieu diffusant, avec un milieu aberrant et

avec un milieu diffusant. C. Intensité respective dans le plan image.

Pour une déformation de faible fréquence spatiale, le focus sera aberré. La base orthogonale sur un disque unité des polynômes de Zernike est couramment utilisée pour décrire les déformations subies par un système optique dans la pupille [42]. Généralement les premiers vecteurs de cette base (voir figure 13) suffisent à décrire correctement les aberrations d’un système, comme par exemple les comas et l’aberration sphérique décrites précédemment. Dans le cas de la diffusion le front est fortement déformé et présente une structure aléatoire. La base des polynômes de Zernike n’est alors plus la plus adaptée. Les bases canoniques (1 vecteur = une position dans l’espace) ou d’Hadamard (1 vecteur est composé de la moitié des positions dans l’espace) sont généralement utilisées [13,14].

43 Pour le cas d’un laser pulsé, le paramètre important est la largeur spectrale de l’impulsion et la bande passante de corrélation spectrale du milieu. Pour un ratio inférieur à 1, chaque longueur du pulse a le même front d’onde dans la pupille. Pour un ratio plus élevé, des fronts d’ondes différents se propageront en sortie du milieu et se sommeront de manière incohérente.

Figure 13. Les premiers modes de Zernike. Les modes de Zernike forment une base de la pupille. Plus l’ordre n du mode est important, plus il contient de hautes fréquences. Tirée

de [67]

2.2.2 Focalisation par conjugaison de phase

Nous venons de voir qu’un point source caché derrière un milieu diffusant ou aberrant va générer un front d’onde déformé. H. Kogelnik a démontré que renvoyer le conjugué de phase de ce front d’onde cohérent à travers le milieu permet de focaliser sur la position de la source [68]. Cet effet s’appelle la conjugaison de phase optique et peut aujourd’hui être réalisé à l’aide de modulateurs spatiaux de lumière (SLM) ou de miroirs qui localement contrôlent la phase d’une onde, c’est ce qu’on appelle la conjugaison de phase « digitale ». Les différentes technologies SLM seront détaillées au paragraphe 2.3.

La correction des aberrations par conjugaison de phase pour refocaliser s’appelle l’optique adaptative et est couramment utilisée en microscopie. La correction de la diffusion s’appelle le façonnage de front d’onde et a été développée depuis les travaux de Vellekoop et

44 al en 2007 par la communauté travaillant sur les milieux diffusants [13]. Les deux enjeux de la correction du front d’onde sont de retrouver un focus limité par diffraction et d’y augmenter l’énergie. En surface, l’objectif premier est de retrouver la résolution optique. En profondeur, l’objectif est de conserver une bonne résolution et d’augmenter l’énergie au focus.

La conjugaison de phase est aussi utilisée dans le domaine des lasers, des communications, de l’usinage et bien sûr de l’imagerie. Dans la plupart des domaines, l’accès aux deux côtés du milieu est possible ce qui n’est pas le cas en microscopie. Tout l’enjeu pour la communauté travaillant en optique adaptative et en façonnage de front en microscopie est de pouvoir mesurer le conjugué de phase sans avoir de source bien identifiée. La partie 2.4 de ce chapitre sera dédiée aux différentes techniques de correction du front d’onde pour différentes géométries.

2.2.2.1 Qualité de la focalisation en Optique adaptative

Le rapport de Strehl S, défini comme le rapport entre l’intensité maximale de la PSF avec et sans aberration, est souvent utilisé pour caractériser la perte de contraste et de résolution d’un système optique [69]. Un système aberré va générer un focus étalé réduisant l’intensité maximum du focus et la résolution. Pour de faibles aberrations, le rapport de Strehl peut être relié à l’écart de la phase du front d’onde σ par :

𝑆 ≈ 𝑒−𝜎2

(2.8)

La mesure, en l’a considérant idéale, du front d’onde pour corriger les aberrations nous renseigne donc directement sur le gain en résolution et contraste par le calcul du rapport de Strehl. Pour une forte déformation du front d’onde (focus fortement aberré ou figure de speckle), le rapport de Strehl (alors très mauvais) n’a plus de sens.

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2.2.2.2 Qualité de la focalisation par façonnage du front d’onde

Figure. 14 Principe de la focalisation par conjugaison de phase issue de [13]. A. Un front d’onde plan se propageant à travers un milieu diffusant forme en sortie une figure de speckle.

B. Envoyer un front d’onde approprié permet de focaliser en sortie du milieu.

Contrairement à la correction des aberrations, la correction de la diffusion sera toujours imparfaite : le nombre de degrés de contrôle (= pixels de SLM utilisés) est largement inférieur au nombre de mode se propageant dans le milieu, qui est proportionnel à (z/λ)². Il est toujours possible de reconstruire un focus qui sera alors superposé sur un fond de speckle. Il est possible de quantifier l’efficacité de la focalisation avec le gain η défini comme le rapport entre l’intensité au focus sur l’intensité moyenne du speckle. Il a été démontré [13] que le gain est proportionnel au nombre de pixels de SLM utilisé. Finalement, même avec un nombre limité de pixels de SLM, un focus intense peut être construit. De plus, pour un speckle pleinement développé, donc en régime de diffusion multiple, la taille du focus sera celle de la taille d’un grain de speckle, il sera donc limité par diffraction [70].

2.2.2.3 Effet mémoire et conjugaison de phase

Le focus ainsi formé peut ensuite être scanné dans la gamme d’effet mémoire pour former une image de fluorescence [71]. Cependant l’isoplanétisme des corrections obtenues reste faible et diminue avec la profondeur [63]. Le plan où est conjugué le SLM est alors un élément clé de la taille du champ de vue. Pour la correction des aberrations, conjuguer la correction sur le plan introduisant le plus d’aberration augmente le champ de vue par un facteur 2-3 [72], voir figure 15. Le même effet est retrouvé pour la correction de la diffusion [73]. L’utilisation en parallèle de plusieurs systèmes de correction permet d’augmenter le champ de vue en corrigeant indépendamment différentes zones de l’échantillon [74].

46 Figure 15. Images de billes fluorescentes en microscopie à deux photons derrière un écran aberrant tirées de [72]. (a). Sans correction. (b). Avec correction conjuguée au plan diffusant.

(c). Avec correction conjuguée à la pupille.

Introduite par Dicke et al [75] puis expérimentalement testée par Beckers et al [76] en astronomie, la conjugaison multiple en optique adaptative permet d’accroitre encore plus le champ de vue de la correction [77]. Etudiée numériquement en microscopie [78,79] et appliquée à l’imagerie de la rétine, cette technique ouvre de belles perspectives pour la correction de front d’onde en profondeur.

2.2.3 Conclusion

Il est donc possible de compenser à la fois les aberrations et la diffusion en profondeur. Néanmoins, la diffusion dynamique de la lumière impose d’être capable de mesurer le masque de correction de phase dans un laps de temps dépendant de l’échantillon : de la milliseconde (au-delà d’un millimètre de profondeur) à l’heure (pour les aberrations). Il faut donc combiner à la fois un système de modulation rapide de la lumière avec une stratégie de correction de front d’onde efficace et rapide pour espérer réaliser de la microscopie à 2 photons en profondeur.