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Les ONG américaines et le retour des organisations avec un discours religieux assumé

Événements liés au Mouvement de Lausanne

Article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l ’homme

1.8 Les ONG américaines et le retour des organisations avec un discours religieux assumé

Concernant la branche protestante des ONG, à laquelle nous nous consacrons davantage, elle est nombreuse et puissante. La plus significative au monde est World Vision ; organisation proche des mouvements évangélistes américains. BRUNEL (2005) 36 nous explique que en 1792, la dissolution des congrégations religieuses a fait reculer le courant messianique. Cependant, le XIX siècle voit un renouveau évangélique de l’Église protestante avec, surtout, la montée en puissance des Églises américaines, surtout adventistes. Un large mouvement de philanthropie laïque commence à apparaitre lors d’un tremblement de terre à Caracas en 12 mars 1812, qui a détruit la ville et a fait plus de 10 000 victimes. L’intervention des États-Unis et exclusivement des États-États-Unis est à la base de la doctrine Monroe. Cette philanthropie laïque a été le « cheval de Troie » de conversions protestantes.37

Une culture entrepreneuriale développée au sein du mouvement a favorisé la création de multiples ONG. Ainsi comme le mouvement humanitaire lui-même, la croissance du nombre des ONG chrétiennes devient notamment visible depuis la chute du mur de Berlin. Pour Sébastien Fath (2007), les ONG soutenues par le réseau évangélique développent un entreprenariat humanitaire international dont les politiques tiennent de plus en plus compte. Elles seraient des acteurs géopolitiques incontournables sur le terrain humanitaire.

Selon Chélini-Pont (2007, p. 231) ces organisations militantes depuis les États-Unis et l’Europe face aux pays communistes pour en dénoncer le caractère antireligieux, investissent aujourd’hui l’Ouest, le Nord et le Sud avec une couverture confessionnelle plus ample qui s’étend à des mouvements juifs et musulmans, au-delà du déjà connu terrain chrétien.

En tant « qu’appel de Dieu », l’humanitaire est pour les évangéliques un devoir. Le choix d’être un missionnaire au service des populations en souffrance pousse des fidèles à s’engager à temps plein dans des ONG en leur apportant du temps, du financement et de l’expertise professionnelle. L’ONG évangélique Mercy Ships, qui a déjà été une branche de YWAM est

36 Intervention de Sylvie Brunel. Op.cit.

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l’une de plus active dans le monde. Nous explorerons cet ONG en détail dans les chapitres suivants.

Le rôle et l’influence des ONG américaines sont reconnus, qu’elles soient confessionnelles ou non. La mise en place de stratégies d’action pour l’insertion dans l’espace public a été faite et continue aujourd’hui à être faite avec des résultats visibles. Fath (2007, p. 249) renforce l’idée que les ONG américaines sont dotées de puissantes infrastructures, de budgets considérables et d’un personnel aussi nombreux qu’efficace.

À rebours de ce dont les Européens ont pris l’habitude, ces ONG religieuses basées outre-Atlantique ne semblent pas vouées à une lente et discrète éclipse. Elles occupent l’espace public en affichant volontiers leurs couleurs. Ces dernières sont en majorité protestantes et évangéliques, c’est-à-dire qu’elles relèvent d’une culture religieuse qui insiste particulièrement sur la norme biblique, la conversion individuelle et l’engagement. Conversionistes et militantes, elles posent explicitement comme fondement de leur action la référence au message de Jésus-Christ (Fath, 2007, p. 248-249)

Nous allons pouvoir observer les actions mises en place par YWAM tout au long de la thèse et s’apercevoir que la volonté d’être présente est nettement une des caractéristiques du mouvement. L’auteur souligne qu’il faut reconnaitre l’encrage profond et historique de l’activisme international des organisations évangéliques. Malgré le fait de la récente médiatisation du rôle des ONG évangéliques dans les affaires internationales, les activités de ces organisations datent de beaucoup plus loin.

Les caractéristiques propres aux protestants évangéliques ont poussé la création d’organisations humanitaires et charitables, nommées tardivement ONG. La tradition entrepreneuriale protestante, basée sur une culture militante est l’un des facteurs qui explique l’ampleur des ONG évangéliques. La dimension transnationale du protestantisme évangélique, qui se différencie des traditions protestantes plus localisées comme le luthéranisme et le calvinisme et sa logique propre de réseau avec une dynamique missionnaire, explique bien la projection évangélique. Nées depuis le XIX siècle à l’intérieur de différentes traditions nationales et souvent à la suite de mouvements de « réveil », ces organisations évangéliques sont majoritairement créées aux États-Unis, à exemple de YWAM.

Cette prééminence trouve naturellement son explication dans le poids démographique et économique dominant des effectifs évangéliques états-uniens, proches du tiers de la population totale du pays. Quand la presse à

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gros tirages titre sur une ONG évangélique, il y a neuf chances sur dix que cette dernière ait ses bases aux États-Unis. (Fath, 2007, p. 251)

En faisant partie du phénomène de croissance du mouvement des ONG de manière générale, la montée en puissance des ONG américaines s’est faite dans les années 1970 et doit être vue comme résultat de multiples raisons internes et externes au contexte évangélique. Fath (2007, p. 251) évoque la lente diffusion d’une conscience sociale constituée au sein du protestantisme évangélique.

Les années 1970 ont été pour les évangéliques une période de très grande activité et début de grandes institutions. Durant cette décennie une nouvelle génération d’évangéliques suit les initiatives de Billy Graham qu’« après s’être distingué par son obsession anticommuniste, cette dernière bascule alors vers un registre moins politique, moins polémique, où l’humanitaire sert de nouvel exutoire aux désillusions » (Fath, 2002, p.252)38.

Quant au financement de ces organisations, ils sont issus principalement du soutien privé, mais aussi du soutien des autorités américaines qui leur accordent d’importants fonds fédéraux ainsi que des conditions favorables comme l’exemption de taxes. Les financements touchés par ces organisations permettent de rendre possible des programmes humanitaires très ambitieux, allant du domaine du très court terme au développement durable, ce dernier étant un thème qui suscite différents questionnements et critiques et qui est développé par YWAM en tant que ministère.

Cet appui de la première des organisations séculières, en l’occurrence l’État, invite à s’interroger. Cette offre humanitaire, bien qu’évangélique, n’est pas soumise au même phénomène de sécularisation interne qu’on a observé pour des organisations religieuses similaires en Europe, comme la Croix bleue ou l’Armée du Salut. (Fath, 2007, p. 254)

La possibilité d’un procès vers la sécularisation progressive de l’offre humanitaire évangélique qui pose comme question l’identité confessionnelle est un sujet qui ressort des enjeux de la croissance des ONG religieuses. Le besoin de personnel expliciterait « le risque d’une dilution identitaire de ses employés ou bénévoles » (Fath, 2007, p. 254). La dissociation croissante entre l’entreprenariat humanitaire et les Églises est également un défi pour leur identité. Étant des instances souvent indépendantes, les ONG consacrent des efforts

38Voir FATH, Sébastien. Billy Graham, pape protestant ? Paris, Albin Michel, 2002. L’organisation Billy Graham (BGEA) crée en 1973 sa branche humanitaire, le World Emergency Relief Fund.

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considérables pour éviter d’être mises à distance des assemblées évangéliques américaines, source de soutien spirituel, de personnel et de financement. Nous avons remarqué ce fait lors des entretiens menés auprès des équipiers. Nombre d’entre eux, comme les centres eux-mêmes reçoivent des financements venus d’églises évangéliques nord-américaines.

L’optique humanitaire et interconfessionnelle des grandes ONG évangéliques les place en porte-à-faux par rapport à des Églises évangéliques américaines qui restent généralement marquées par un accent prioritaire sur le religieux et le local, non dénué souvent d’un certain populisme. Il ne faut jamais oublier que la principale culture ecclésiale, aux États-Unis, est de type congrégationaliste, c’est-à-dire qu’elle privilégie l’assemblée locale, seule souveraine. (Fath, 2007, p. 255)

La possibilité de faire un don via internet est devenu possible, ce qui permet de sauter le pas de la socialisation religieuse communautaire.

1.9 L’action sociale religieuse et humanitaire face aux enjeux de