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Les activités réalisées par les ONG confessionnelles en incluant celles d’origine protestantes évangéliques trouvent différents scénarios politiques dans les pays dont elles sont issues. Les formes de support (avec ou sans engagement financier) ou de nuisances qui bloquent ou empêchent la réalisation de ces activités sont le reflet du monde culturel et politique de chaque pays.

L’humanitaire trouve un terrain d’action plus vaste vis-à-vis de l’effondrement des protections sociales. Les années 1990 voient l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ce qui donne aux ONG la possibilité de se fédérer en réseaux. L’Internet se montre un support d’extrême importance à l’humanitaire. Quant au budget dédié, l’approche des médias par rapport aux catastrophes fait appel aux dons privés. L’aide publique au développement fournie par les pays diminue de manière conséquente depuis 2002. De fait, ce sont les actions humanitaires qui prennent de l’ampleur. Le Charity business qui allie média et marketing se fait de plus en plus présent.

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Un point de grande importance pour cette thèse est l’implication de l’État quant aux financements dédiés aux ONG religieuses. En France, les ONG religieuses ne sont pas très représentées si nous comparons avec le cas brésilien.

Ceci peut s’expliquer par le fait que la France possède un long passé de service public. De plus, les quelques ONG religieuses françaises sont proches du courant altermondialiste. Brunel (2005) signale que pour une grande partie des opérations humanitaires, la Banque Mondiale privilégie la charité au lieu du social et met en place l’ultra-libéralisme auprès des États endettés en développement : il faut privatiser et favoriser l’essor du micro-crédit qui permettrait de créer de petites entreprises. Les États deviennent, de fait, plus faibles et ne peuvent plus fournir les services publics minimum, que la population au désarroi attendrait. Le gouvernement américain Bush, par exemple, a travaillé avec un réseau d’ONG protestantes comme Habitat for Humanities qui agit sur les populations pauvres et les évangélisent.

On observe alors une sorte de désécularisation des États(...) Ce genre d’aide qui s’adresse à des communautés religieuses exclusivement risque de renforcer le communautarisme qui est lui-même un facteur d’intolérance. Ainsi donc, nous assistons depuis quelques années au retour du religieux par l’humanitaire. Le pauvre est, aujourd’hui, responsable de son malheur : le discours des ONG religieuses est alors culpabilisant. Suivant ce proverbe africain :« La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. » De ce fait, faudrait-il réglementer l’humanitaire ? Contrôler la prolifération des ONG dont on ne connaît ni le financement ni les projets confessionnels ? L’humanitaire devient un organisme d’occidentalisation qui peut préparer la reconstruction. (Brunel, 2005)39

Fath (2007, p. 255) fait aussi référence à une tendance d’euphémisation du discours religieux au sein des ONG lors de leur professionnalisation. Ayant comme but d’assurer l’obtention de financements, elles ont créé des moyens d’accentuer l’efficience de leurs actions et services. L’auteur note que cette tendance suit la taille de l’organisation ; plus elle est importante plus le discours religieux est dilué.

Continent le plus sécularisé du monde, l’Europe a poussé plus loin qu’ailleurs cette logique. Son influence culturelle et politique, au XIX et au XX siècles, a largement contribué à conférer à l’État un quasi-monopole de la Providence, au point qu’on est venu, très classiquement,

39 Intervention de Sylvie Brunel. Op.cit.

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à parler d’État-providence. La France a, d’une certaine manière, poussé cette logique à l’extrême, par le choix, dès 1789, du « politique d’abord ». (Fath, 2007, p. 258)

Cette supériorité universaliste du politique restreint la mise en place des ONG religieuses ou non, ainsi que les ONG évangéliques américaines en Europe. Au Brésil, la situation qui se pose est toute autre. Au Brésil contemporain, la souplesse de la séparation entre l’État et les Églises permet l’instauration d’une véritable collaboration, voit aujourd’hui l’émergence et la multiplication du recours à ces partenariats public-religieux. Des formes de coopération entre un État et des entités religieuses, catholiques en leur majorité, mais de plus en plus évangéliques, spirites-kardécistes, ou encore afro-brésiliennes, qui permettent une nouvelle possibilité d’analyse des transformations de l’action publique de l’État et des évolutions du champ religieux aujourd’hui à l’œuvre.

Tout en étant soutenues, à des degrés divers, par le gouvernement fédéral des États-Unis – dont la philosophie politique est fort éloignée, on le sait, du modèle français –, ces ONG contestent ouvertement l’éventuelle prétention étatique au monopole de la Providence. L’intervention croissante de l’État, au nom de la protection sociale, dans toutes les dimensions de la vie […] paraît entrer en tension, et parfois s’opposer, à la dynamique de ces ONG. (Fath 2007, p.258)

Pour le protestantisme évangélique la providence doit trouver sa source, en plus d’une intervention politique dans les sujets eux-mêmes, et le fidèle a tout un rôle à jouer pour cela. Dans une logique de que c’est Jésus-Christ qui pourvoie les besoins de l’humanité, la rhétorique missionnaire affirme que la fin des problèmes humanitaires et personnels sera l’accomplissement de l’œuvre missionnaire parfaitement achevée par des actions sociales, et l’évangélisation à son tour, un devoir de chacun.

Comme religion de conversion, le poids du choix de l’individu est important. L’approche providentialiste des ONG évangéliques prend en compte qu’une amélioration durable de la société passe par la transformation, à la base, de l’individu. En ce sens, il est important de souligner que les causes globales du sous-développement et de la misère ne constituent pas une cible directe de leur action mais une passerelle via la conversion de l’individu.

Au contraire du militantisme d’une ONG comme Handicap International, par exemple, qui lie l’action de terrain avec l’interpellation des gouvernements pour permettre une amélioration locale de la condition des populations touchées par les mines antipersonnelles, les ONG

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évangéliques privilégient massivement l’action locale, à l’échelle individuelle et communautaire, sur la base d’une théodicée qui passe par la mise en avant du témoignage évangélique. (Fath, 2007, p. 259)

Pour Prudhomme dans son article nommé « De la mission aux ONG de solidarité internationale : quelle continuité ? 40 », la valorisation de l’aide technique, des activités économiques et des œuvres sociales sont devenus essentielles et des piliers de la mission. Le prosélytisme serait progressivement mis au second plan pour donner de la place à la lutte contre le sous-développement, devenu lui-même une raison autonome d’engagement. Cette idée doit être reprise et évaluée de manière particulière dans le protestantisme évangélique, car ses nuances de religion, de conversion et le poids de la responsabilité sociale individuelle jouent un rôle plus complexe.

Le recours croissant, après 1945, à des laïcs volontaires en Europe, pour enseigner, satisfaire les besoins médicaux ou organiser la formation professionnelle, accélère l’évolution. Si le laïc autochtone a une faible marge de manœuvre face au missionnaire qui le dirige et l’emploie, il n’en va pas de même pour le volontaire. Venu pour un certain temps, il échappe dans son activité professionnelle au missionnaire et introduit de nouveaux critères de réussite, fondés sur l’efficacité technique plutôt que sur la progression du nombre de convertis. La logique du laïcat missionnaire conduit, tôt ou tard, à une émancipation de ces nouveaux acteurs. Les milieux missionnaires éprouvent une difficulté croissante à subordonner l’action sociale à la finalité religieuse.

Il fait référence à l’apparition du « coopérant technique professionnel » qui entre en concurrence avec le missionnaire. Cependant, les missionnaires catholiques ou protestants, en réponse à ce phénomène, se prétendent être des professionnels plus complets que le technicien vu qu’il « témoigne de la supériorité des valeurs chrétiennes ». Nous observons cela au sein de YWAM quand l’organisation annonce : « Notre objectif est de donner aux chrétiens une formation aussi complète que possible, tant sur le plan académique et professionnel que sur le plan social, culturel et spirituel. »41

Pour Prudhomme, il serait possible en ce sens de décomposer « l’action pour le développement » et « l’action missionnaire » comme deux catégories distinctes. Toutefois, la frontière entre elles est souple et ne permet pas de considérer la première comme laïque et la seconde comme hors du champ scientifique des études sur le développement. Il s’agit de

40 PRUDHOMME, C. De la mission aux ONG de solidarité internationale. Quelle continuité ?. Les ONG confessionnelles. Religions et action internationale. B. Duriez et al. Eds. Paris, L'Harmattan, p.55-70, 2007.

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reconnaitre la fluidité des identités des acteurs et le passage de l’un à l’autre type d’action. Cette fluidité des catégories stimule l’interrogation sur les différences entre elles et questionne sur les disparités qui peuvent influencer sur le terrain par rapport aux sujets que reçoivent leur support. Il y a quelques points qu’il faut sans faute bien observer si nous voulons comprendre l’engagement via le social analysé dans cette thèse. D’abord, du point de vue théorique, il est important de clarifier la distinction en matière de motivations et de valeurs, la source et la nature de l’engagement, ainsi que le projet social et/ou individuel prévu.

Prudhomme parle d’une crise de l’idée missionnaire confirmée par la dévalorisation de la mission prosélyte et la valorisation du développement comme motif autonome d’engagement, ce qu’il appelle « sécularisation de l’utopie missionnaire en utopie du développement. » (Prudhomme,2007, p. 66). Malgré l’invention de modèles qui se maintiennent aujourd’hui comme régulateurs pour les ONG, leurs motivations religieuses ont été mises en cause. En suivant cette tendance, quelques ONG comme les ONG protestantes

Foster Parents Plan, fondée en 1937, Care, fondée en 1945, la Croix bleue, l’Armée du Salut et World Vision ont décidé d’effacer leurs origines religieuses.

Le questionnement sur les continuités et les ruptures entre l’action missionnaire et l’aide au développement doit se faire d’une perspective historique. Le panorama tracé par les réponses aux questions sur les plans pratique et fonctionnel, concernant les réseaux de recrutement, l’équipe formée et les sources de financement est également essentiel.

Mabille (2007) examine ces institutions en analysant l’objet avec le regard focalisé sur sa diversité, complexité, concurrence et rapprochement, et aussi sur le double rapport à l’humanitaire et au religieux. Certes, elles ont rencontré une nouvelle dynamique, du en quelque sorte à l’insertion dans les débats politiques sur les droits de l’Hommes et de l’environnement. L’importance de la relation « mission et développement » trouve aussi sa place dans le débat. Les ONG européennes de développement les plus influentes ont leurs bases dans les mobilisations missionnaires chrétiennes, en ce qui se réfère aux modèles d’organisation, modes de fonctionnement ou formes d’action. Cette relation entre elles se fait aussi via la professionnalisation.

Nous faisons l’hypothèse que ces ONG tournées vers l’aide humanitaire internationale sont, au moins pour partie, les héritières de la mobilisation missionnaire chrétienne des XIX et XX siècles. Elles leur doivent des modèles d’organisation, des modes de fonctionnement, des formes d’action. (Prudhomme, 2007, p.55)

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L’auteur reprend ici l’idée de la responsabilité des conversions. Pour lui, l’utopie missionnaire est basée dans des convictions largement intériorisées par les chrétiens, à l’exemple de la vocation du christianisme à l’universalité, qui est le but de l’association missionnaire. Pour le protestantisme, l’obligation missionnaire relève davantage, depuis la fin du XVIII siècle, d’une prise de conscience nouvelle, au-delà des quelques cercles piétistes déjà gagnés à la cause missionnaire. La mission est la continuation de l’expérience personnelle ; la mission est aussi nécessaire au salut des païens et elle est la responsabilité du chrétien. Ainsi, toutes les divergences confessionnelles en question de théologie du salut s’estompent dans le discours qui est commun.

La solidarité universelle accompagnée d’un effort pour définir une stratégie missionnaire dotée d’une modernité, envisage une programmation et une rationalisation ainsi qu’une organisation et mobilisation de ressources, entre autres méthodes.

Dès lors, la mission contemporaine suppose l’introduction d’activités économiques (cultures, élevage, techniques de construction de l’habitat, ateliers, commerce) et l’établissement d’un réseau d’œuvres sociales. Elles sont les conditions, les effets et les marques de la civilisation. Or, contrairement à l’Europe, les Églises chrétiennes jouissent outre-mer d’une liberté de manœuvre, voire d’un monopole de fait, qui place le missionnaire au centre du dispositif et alimente le rêve de réaliser là-bas la société chrétienne qui recule ici. L’action sociale peut se déployer sans concurrence, sous la protection du colonisateur trop heureux de trouver chez les missionnaires des auxiliaires dévoués, efficaces et peu coûteux. (Prudhomme, 2007, p. 58)

L’initiative missionnaire sous le paradigme de la civilisation a poussé la création d’un nouveau type d’organisation spécialisée dans l’aide aux missions. L’organisation London

Missionary Society (LMS), crée en1795 en Angleterre à la fin du XVIII siècle est un exemple.42

Différent du modèle protestant, dans la logique catholique cela se fait en relation avec la centralisation romaine, ce qui permet une régulation plus précise. Pour les protestants, le besoin de s’unir suscite des nouveaux organes de concentration au sein des missions protestantes, et finalement une organisation chargée de la coopération entre missions, d’où la création du Conseil missionnaire international en 1921.

42 Société missionnaire de l’Église anglicane (Church Missionary Society - 1816). Le modèle se diffuse en France avec la fondation à Lyon de l’Œuvre de la Propagation de la foi (1822)

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Le succès durable des réseaux missionnaires associatifs passe par leur capacité à jouer sur plusieurs niveaux. L’association missionnaire suppose d’abord un solide enracinement local, généralement dans la paroisse, catholique ou protestante. À la fin du XIX siècle s’y ajoutent les mouvements confessionnels, surtout chez les jeunes catholiques (Action catholique) ou protestants (Young Men’s Christian Association) et les

écoles confessionnelles. Ils popularisent l’aide aux missions et inculquent des réflexes de solidarité par des microréalisations. (Prudhomme, 2007, p.61)

Malgré cette tendance soulignée par Prudhomme, nous pouvons repérer de nouvelles organisations, surtout protestantes évangéliques, en France et à l’étranger, qui se font présente en territoire national et sur la scène internationale en tant qu’acteurs présents dans le domaine certes humanitaire, mais avec un plan prosélytiste bien structuré, avec le support d’écoles de formation religieuse confessionnelle et doctrinale et de formation de caractère professionnel comme c’est le cas de YWAM.

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Chapitre II

La vision du fondateur : une vague de jeunes qui envahi les