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dans la culture

3.10 Les évangéliques en France : En quête de visibilité

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La diversité des églises évangéliques britanniques, suisses ou américaines trouve leur équivalent en France. C’est un vrai Babel évangélique avec des églises ethniques, des mouvements chrétiens-sociaux, des communautés pentecôtistes, des groupes charismatiques, des assemblées de type piétiste, des variantes fondamentalistes qui se font présentes dans les diverses dénominations, organisations ou réseaux d’assemblées qui dessinent le panorama évangélique français. (Fath, 2005)

La diversité protestante s’accentue depuis le XIX siècle et se transforment en une nouvelle famille protestante élargie et recomposée au XXI siècle.

Les travaux sociologiques montrent que la minorité protestante française a surmonté la crise des années 1960 et a retrouvé du dynamisme dans un pays qui affronte de nombreux problèmes. Des doutes, des craintes se manifestent face aux effets de la mondialisation/globalisation, et particulièrement à l’augmentation du pluralisme religieux et culturel en France métropolitaine. (Baubérot; Carbonnier-Bukard, 2016, p. 455)

Né au début du XIX siècle, le protestantisme évangélique français a connu, depuis le début des années 1950, une croissance et une consolidation de ses structures. Sous une « forme sociale de la fraternité élective et de la communauté locale » (Fath, 2005b), il est originaire du « réveil » protestant français au XIX siècle et du travail missionnaire suisse, britannique, germanique et états-unien.

Le dossier du mouvement évangélique français se prête bien à une telle investigation. Cette branche minoritaire du protestantisme français a en effet mis en place des « Églises », mais sous un régime particulier, marqué majoritairement par ce double accent : l’autonomie locale des assemblées, et un caractère professant. Cette autonomie, cette souplesse institutionnelle, remonte à l’origine de ces courants, qui se sont affirmés en marge des grandes Églises établies. (Fath, 2008, p. 41)

L’histoire évangélique française a traversé plusieurs moments d’effervescence, depuis l’impact du « réveil » de Genève dans les années 1820-40 jusqu’aux réveils pentecôtistes/charismatiques du XXsiècle. L’idée du réveil annonce la fin des temps : les temps de l’avènement de Jésus-Christ et le « retour » de Christ. Il est un élément essentiel des prophéties de la Bible, et les chrétiens, par l’évangélisation, par leur activité, peuvent dans une certaine mesure contribuer à hâter cette heure du retour en diffusant l’Évangile.

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Un second type de représentation du réveil tient dans un imaginaire mysticisant. Émile G. Léonard, mettait déjà l’accent sur la dimension « spirituelle », définissant le réveil comme un « redressement spirituel ».

Le troisième type de représentation diffusé en France est une forme de primitivisme, au sens d’une valorisation absolue du modèle de l’Église primitive, celle des premiers chrétiens du temps des apôtres. Cela est particulièrement présent chez les baptistes et les pentecôtistes. Parmi d’autres protestants, l’orientation était de réorienter l’histoire de l’Église à partir des excès supposés de l’institution catholique au début du XVI siècle.

Fath (2008) cite trois notions qu’entourent les questionnements sur la pertinence de la notion de « réveil », dans le champ des sciences sociales. La première, qui se réclame du marxisme, revient à nier au phénomène religieux sa dynamique endogène. (Fath, 2008). Le réveil serait ainsi une représentation des mutations socio-économiques.

Une autre notion est celle des théories de la sécularisation linéaire, de la perte de pouvoir irréversible du religieux sur les sociétés occidentales, qui annule la prise en compte de la notion de « réveil » religieux au XX siècle. L’auteur signale, cependant, que ces théories de la sécularisation progressive des sociétés, très populaires entre les années 1960 et 1980, se trouvent cependant de plus en plus mises en cause, soit par ceux qui défendent l’idée de cycles de hautes et basses eaux du christianisme, soit par ceux qui affirment, après avoir entonné jadis les trompettes de la sécularisation, que l’heure est désormais à la « désécularisation » du monde. (Fath, 2008)

La troisième notion conteste l’idée de « réveil » et a comme principaux défenseurs les théoriciens de l’économie religieuse, qui entendent appliquer les mécanismes du marché au champ religieux. Il mentionne la notion de « réveil » comme une phase de remobilisation militante des individus et des Églises et suggère qu’une définition sociohistorique appropriée du « réveil » évite une approche revivaliste spiritualisant, tout en étant capable d’intégrer une notion de militantisme, assez présent dans les sciences sociales, et le caractère dynamique du phénomène, présent dans les études des revivalistes.

Cette dynamique est construite par un niveau individuel, à travers l’engagement et la conversion d’individus, par un niveau institutionnel à travers la mort et naissance d’organisations et par un niveau sociétal à travers l’action sociale renouvelée ou l’engagement civique plus intense, surtout par les femmes, qui ont vu dans les réveils la possibilité d’un certain type d’émancipation jusque-là interdites. (Fath, 2008)

Dans cette perspective, l’auteur met en évidence le rôle de l’Église baptiste dans le scénario du « réveil » en France, marqué par d’importantes impulsions revivalistes et par un grand nombre de sources de documentation sur le sujet.

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Il est important de mettre en regard que :

Les phases de réveils évangéliques, qu’elles soient baptistes, pentecôtistes ou autres, n’ont pas obéi seulement à des logiques endogènes. Elles s’insèrent souvent dans des mouvements revivalistes plus larges, qui touchent d’autres familles protestantes, et sans doute aussi le catholicisme. (Fath, 2008, p. 51)

Les campagnes d’évangélisation sous tentes pratiquées en France à partir de 1914 ont aussi contribué à l’essor évangélique. Elles ont été basées sur les camp meetings du Réveil du Pays de Galles et avaient pour but de rendre les évangéliques plus visibles et de multiplier les contacts entre les principaux responsables. Cela a été aussi le moment où les dénominations confessionnelles se sont affaiblies au profit d’une identité évangélique.

La compréhension du phénomène revivaliste en tant que tel doit passer par une démarche interdisciplinaire pour éclairer les tensions entre réveil, individu et institution. Au-delà de l’histoire, la sociologie de Max Weber et de Ernst Troeltsch, sont des sources à ne pas négliger, tout comme les modèles proposés par Jean Paul Willaime dans « La précarité protestante » et l’analyse des relations entre individu, message et institution dans le protestantisme. La science politique a aussi sa place dans la contribution des analyses du « réveil » français, sans oublier l’anthropologie, la psychologie et l’économie.

Dans cette évolution, l’évangélisation tous azimuts doit, pour les protestants évangéliques, garder sa place sous peine de dépérissement du groupe, mais la conciliation d’une routinisation et d’une institutionnalisation nécessaires (et inévitables) avec le prosélytisme est facteur d’angoisse. Difficile d’articuler pleinement les deux dimensions. D’où l’importance progressive revêtue chez les protestants évangéliques français par la thématique du Réveil, l’attente d’un mouvement qui relance la dynamique missionnaire pour qu’elle prime sur toute autre considération. (Fath, 2008, p. 58)

L’accroissement des évangéliques en France se marque aussi par la création d’églises locales et il est important de citer la présence du prédicateur américain Billy Graham en France en 1986. L’impact de cet événement n’est pas négligeable, avec un rôle important des médias nationaux. La démocratisation et l’ouverture des frontières des sociétés contemporaines ont contribué au développement de logiques de « réseau », en permettant à ces réseaux de dépasser les héritages de type « ghetto » (Fath, 2005) à travers la régulation de normes et de rôles choisis et négociés au détriment de normes et de rôles imposés.

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Mais qu’il s’agisse des domaines de la pratique dominicale, de la surface financière, de la présence sur internet ou du nombre de locaux cultuels en activité, ils paraissent aujourd’hui « incontournables » pour qui veut apprécier les forces actuelles du protestantisme français. (Fath, 2005, p. 14)