• Aucun résultat trouvé

3.5. LE PROCESSUS DU DÉSISTEMENT DU CRIME

3.5.2. Obstacles au désistement

Lorsque les participants se penchent rétrospectivement sur les facteurs qui leur ont nui dans leur processus de désistement, ils insistent sur l’injustice du système judiciaire (F.-Dufour, 2013 : 126), mais aussi sur leurs problèmes financiers. En premier lieu, la majorité des participants judiciarisés déplorent que le fait d’avoir un casier judiciaire diminue leurs possibilités d’emploi. En effet, on remarque qu’il y a plusieurs conséquences légales liées au fait d’avoir un casier judiciaire. Entre autres, l’ex-condamné pourrait se voir refuser le droit de s’assurer (p.ex. assurance habitation, etc.) et l’accès à certains pays, notamment les États-Unis. Plus encore, les personnes judiciarisées pourraient éprouver de la difficulté à se trouver un emploi. Finalement, le fait d’être stigmatisé par le casier judiciaire a un impact important sur l’image de soi et l’identité personnelle. Cette stigmatisation peut également affecter la famille et les proches de l’individu10. Cela fait en sorte que les personnes judiciarisées rencontrent plusieurs obstacles lors de leurs démarches de réinsertion sociale en raison de leur casier judiciaire. Donc, ces

éléments provoquent chez les délinquants un sentiment « de ne plus rien avoir à perdre » et cela favorise la continuité de leur carrière criminelle.

« Mais t’sais, ça coupe beaucoup de portes un dossier, j’ai trouvé ça tellement laid ça, ils disent de ne pas retourner là dedans, mais ils coupent tout ce que j’ai, toutes les études que je pourrais avoir, je pourrais me trouver une job quand même bonne, une banque tu fais des bons salaires, des bons ci des bons ça (…) Oui je sais que c’est moi qui a vendu [de la drogue] et qui a fait de la prison, mais… Tu veux que je fasse quoi après ça? Je ne sers plus à rien selon vous autres ? Les assurances coutent le triple. Après ça, tu dis à la personne de ne pas recommencer à faire de l’argent dans ce milieu-là? (…) Je paye le triple et je n’ai jamais rien réclamé ! Tu me donnes toutes les béquilles pour que je retourne faire de l’argent dans ce domaine-là… pis, t’sais inquiète toi pas, j’en ai pogné plein de plug en prison, je sais très bien comment faire de l’argent illégalement… » - Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an)

Pour Julien (Trafic de stupéfiants et vols, désisté du crime depuis 7 ans), l’absence de contacts avec l’appareil judiciaire et des conséquences qui s’y rattachent (casier judiciaire) a été un facteur clé dans son désistement. Ce dernier a justement donné son point de vue sur le système de justice québécois :

« Là ce qui arrive de plus en plus c’est que, ça je l’ai vu pis je l’ai vu beaucoup, pis c’est ça que je suis content de jamais m’avoir fait pogner, parce que si je m’étais fait pogner, on n’aurait pas cette conversation-là aujourd’hui, je serais encore dans ça [la criminalité] … Parce que je n’aurais pas eu de deuxième chance. Pis j’aurais été étiqueté comme un criminel. Pis c’est ça qui se passe aujourd’hui… Aussitôt que les jeunes se font pognés ils font « bon, ma vie est ruinée faque je vais continuer à faire ça. (…) aussitôt que tu deviens avec un dossier criminel, tu peux pu voyager, plein de niaiseries, là faut que tu demandes un pardon pis tu es dans le même baril que tous les autres… Pis ça met des difficultés dans ta vie où est-ce que c’est plus facile pour toi de juste retourner là-dedans. (…) C’est que t’sais je pense que c’est bien de pointer qu’une fois que tu fais partie de ça [le monde criminel], aux yeux de la société, il n’y a pas vraiment d’autres choix. Je comprends l’importance de marquer, pas de marquer le monde, mais de les identifier pour faire le suivi… Mais je ne comprends pas l’importance de rabaisser la vie au complet de la personne pour ça. Parce que ce que ça fait ça, c’est que ça fait juste criminaliser le monde. »

Plus encore, tout comme les répondants de l’étude de F.-Dufour (2013), les participants de cette recherche ayant eu de longues peines d’incarcération rencontrent des difficultés qui rendent le désistement du crime moins probable. En plus de devoir renoncer à leur identité sociale de délinquant ainsi qu’aux avantages socioéconomiques que cette vie criminelle leur procure, ils doivent « réapprendre les rudiments du fonctionnement en société » (F.-Dufour, 2013 : 147).

« Ça faisait 12 ans que j’étais en prison, ils [agents du Service Correctionnel] commençaient à me faire confiance pour me laisser sortir pour travailler et faire du bénévolat. J’étais accompagné de deux gars, là ils m’amènent faire du râteau dans des parcs et nettoyer des parcs des choses comme ça. Là il me dit : ʺLuc, nous ici vu que c’est ta première journée, on va t’amener au restaurant. Aujourd’hui on va aller au Subway. ʺ On arrive, là je ne commande rien, et là je commence à stresser parce que la fille l’autre bord demande la sorte de pain. Là je commence à stresser, quelle sorte de pain je vais choisir, je ne veux pas faire de choix… je ne veux pas avoir l`air fou. Là, elle est arrivée à moi et me demande et je lui réponds, comme un enfant : ʺcomme luiʺ, et là elle me demande ce que je mets dedans… ben là… Arrivé en dedans [en prison] je vais voir un gars que je connais [un agent correctionnel] et lui dis que ça n’a pas de bon sens, je n’étais pas capable de commander un sous-marin. Il m’a dit : ʺtu as perdu tes aptitudes sociales. ʺ » - Luc (Vols qualifiés, désisté depuis 8 ans)

En deuxième lieu, la plupart des participants, judiciarisés et non judiciarisés, mentionnent que leurs problèmes financiers peuvent constituer un obstacle non négligeable dans leur processus de désistement du crime. Puisque nous nous intéressons à la réussite criminelle, cet aspect fait en sorte que nous pouvons noter cet obstacle, puisque la quasi-totalité des participants rapportait vivre aisément de leurs crimes. N’ayant, pour la plupart, pas accès à des revenus légaux aussi élevés que lors de leur carrière criminelle, ceux-ci doivent se résigner à vivre une vie moins luxueuse.

« Ça ne va pas assez vite, avec de l’argent tout va plus vite, je ferais un gros projet, je me dis des fois… avec l’intelligence que tu as, avec les couilles que tu as, ça ne serait pas trop long aller chercher ton financement [aller le chercher par la criminalité] … mais là tu te dis que non, parce que tu vas aller à l’encontre de ce que tu veux faire » - Patrick (Vols qualifiés, désisté depuis 4 ans)

Pour d’autres, ceci est un obstacle de taille, car ils n’ont jamais été habitués à se restreindre dans leurs envies. Pour la plupart, le mode de vie criminelle à contribuer au développement d’une relation malsaine avec l’argent.

« Le choix est facile à faire, mais très dur à respecter… Très dur … Parce que quand j’ai reçu ma première paye du [nom de la compagnie], pour 2 semaines 650$, je me suis dit ˝ Ben voyons donc ˝ (…) Je n’ai pas autant d’argent, mais ça, j’ai encore de la misère avec ça. (…) Faque aujourd’hui, la valeur de l’argent c’est comme un love-hate relationship, c’est malade. » - Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an)

Malgré tous ces obstacles, les participants de cette étude n’ont pas récidivé. Dans la prochaine section de ce chapitre, nous allons explorer les éléments qui favorisent le maintien du désistement du crime.

3.5.3. Synthèse

Comme le conclut F.-Dufour (2013), il s’avère que les relations familiales peuvent être suffisamment importantes pour entraîner l’individu vers un processus de désistement. Pour plusieurs des participants, la relation avec leur famille s’est détériorée au cours de leur carrière criminelle. C’est alors le désir de rebâtir des liens avec leurs proches qui motive le désistement du crime. De surcroit, l’usure associée au style de vie criminelle est souvent mentionnée par les participants de cette étude comme favorisant leur processus de désistement. En effet, ces derniers sont essoufflés de cette vie stressante liée à leurs délits et décident alors de cesser leurs activités criminelles.

Quant au système judiciaire, seulement trois participants considèrent l’incarcération comme ayant joué un rôle déterminant dans l’arrêt de leurs activités délinquantes. Plus encore, certains d’entre eux reconnaissent que les programmes des centres de détention ainsi que les intervenants dans ces milieux ont contribué à leur désistement du crime. D’ailleurs, sans le soutien et l’aide de ces intervenants, ces derniers auraient sûrement persisté dans la criminalité.