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3.5. LE PROCESSUS DU DÉSISTEMENT DU CRIME

3.5.1. Les points tournants qui amènent le déclenchement du processus du désistement

3.5.1.1. Les facilitateurs relationnels

Les liens familiaux ont été les plus souvent soulevés par les participants comme étant un facteur favorable au processus de désistement du crime. Tel que mentionné par F.-Dufour (2013), les références de ces relations dépendent grandement de l’âge des participants. Les répondants les moins âgés mentionnent que le soutien de leurs parents est le principal facilitateur dans l’arrêt de leur criminalité. Tandis que, ceux qui sont parents vont plutôt indiquer que c’est la relation avec leurs enfants qui a été la plus significative dans leur processus de désistement.

Personnes significatives : les parents

Plusieurs participants ont mentionné que leurs parents ont eu un rôle significatif dans leur processus de désistement. « Une telle donnée présente un caractère novateur dans la mesure où ce groupe d’acteurs est rarement mentionné dans la littérature scientifique portant sur le désistement du crime chez les contrevenants adultes » (F.-Dufour, 2003 : 167). Pourtant, il est possible de remarquer que pour un bon nombre de participants à cette étude, les parents constituent un point tournant à leur engagement dans le processus de désistement du crime.

« Et là j’ai décidé me reprendre en main, probablement pour la peine que j’ai causée à ma mère et la déception, parce qu’un moment donné elle m’a pognée à consommer dans la toilette, quand ça faisait plus de 15 minutes, elle cognait dans la porte, elle écoutait et… je pense que ça, ça beaucoup aidé, de ne pas faire de peine à ma mère, alors, je me suis reprise en main. » - Estelle (Trafic de stupéfiants, désistée du crime depuis 6 ans)

D’autres répondants rapportent que leurs parents n’ont pas été la motivation à se désister du milieu criminel. Toutefois, ceux-ci stipulent que, sans le soutien de leurs parents, ils n’auraient pas été capables d’aller jusqu’au bout de leur processus de désistement du crime.

Pour sa part, Vincent (Trafic de stupéfiants et vols de véhicule, désisté depuis 2 ans) mentionne que sans le support de sa famille, il aurait eu de la difficulté à se maintenir dans le désistement :

« C’est sûr qu’il faut que tu aies du support là t’sais… T’sais moi j’ai eu du support de ma mère. (…) je n’ai pas peur de demander des conseils, de parler avec ma famille. »

Quant à Rémi (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 2 ans), il affirme que sa mère a toujours été là pour lui, et que cela l’a beaucoup aidé dans son cheminement vers le désistement du crime :

« Ma mère aussi, elle a tout le temps été là pour moi, chaque fois que j’étais en dedans [elle était là pour l’aider dans ses démarches de réinsertion]. »

an), c’est le support de ses parents et les conséquences pour ces derniers qui l’amènent à ne plus vouloir récidiver.

« Mes parents venaient me voir toutes les fins de semaine, c’est comme une demi-journée prise pour ça, le stress pour eux, et quand tu regardes tout ça, tu vois les pour et les contres, je me disais que ça ne vaut pas la peine. (…) quand tu appelles ta mère à Noël et elle part à pleurer, tu vois ben que tu lui as fait de la peine… son gars en prison à Noël… »

Ces extraits démontrent bien l’engagement des parents auprès de leur enfant, même une fois devenu adulte, nonobstant leurs comportements criminels. « Ceci vient sans contredit nuancer les propos de Thornberry (1997) soutenant que les relations familiales des contrevenants sont souvent rompues en raison de leur choix de vie » (F.-Dufour, 2013 : 169). Par contre, il est important de noter que les répondants de cette étude n’ont pas commis de crimes violents, sexuels ou sadiques (p.ex. pédophilie, inceste, etc.), des crimes qui sont davantage condamnés socialement. D’ailleurs quelques participants ont été surpris du soutien apporté par leurs parents.

« C’est dans des moments de même que tu vois c’est quoi l’amour inconditionnel… » - Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an)

Pour terminer, ces propos illustrent bien les constats de la théorie de Laub et Sampson (2001, 2003 ; Sampson et Laub, 1993, 2003) stipulant que les personnes délinquantes ont tendance à cesser de commettre des délits afin de préserver leurs relations avec leur entourage.

Personnes significatives : les enfants

Dans notre échantillon, 6 des 15 participants ont des enfants. Plus encore, deux des participants jouent un rôle paternel auprès des enfants de leur conjointe en dépit du fait qu’ils ne soient pas leur père biologique. Les huit participants s’identifiant comme père ont mentionné que la relation qui les unissait à leurs enfants jouait un rôle significatif dans le désistement du crime.

Chez certains participants, le crime a brisé la relation qui les unissait avec leurs enfants. C’est alors le désir de renouer cette relation avec leur(s) enfant(s) qui amène la personne à entamer son processus de désistement.

« Quand je suis revenu au Québec, elle [sa fille] avait 19 ans, donc, j’ai entendu parler, qu’elle était supposée venir me voir. J’étais tout content, ma fille qui venait me voir. Mais quand elle est venue me voir, la visite n’a pas été… ˝ bonjour mon papa, est-ce que ça va bien ? ˝… Non, elle m’a dit qu’il fallait qu’elle me parle : ˝ Je suis ici pour une seule raison, pour te dire que tu m’as abandonné, tu as abandonné ma mère et tu es un père pourri, je suis venue te dire ça dans la face ˝. Là, je la regarde, là j’ai dit ˝ (nom de sa fille), tu as raison, tu sais quoi ? Le père que j’étais, n’est plus le père que je suis aujourd’hui, j’aimerais ça que tu reviennes la semaine prochaine à la visite et je ne veux pas que l’on parle de moi, je veux que l’on parle de toi ˝. Elle est revenue, semaine après semaine, et aujourd’hui j’ai une relation extraordinaire avec ma fille. Parce que je me suis intéressé à sa vie. [Est-ce que votre fille est une personne clé dans votre processus de désistement ?] Oui, une personne TRÈS clé ». – Luc (Vols qualifiés, désisté depuis 8 ans)

Pour d’autres, les pères indiquent ne pas vouloir décevoir leurs enfants ou perdre la relation établie avec ces derniers. Après des années au sein de la criminalité, la relation avec leurs enfants devient en quelque sorte un point d’ancrage qui rend presque impossible le retour en arrière.

« Ce qui aussi, fait partie du désistement énormément et qui fait partie de l’équation c’est que mes enfants ont souffert beaucoup de ça, j’ai vécu un divorce, j’ai passé au travers, mais ça été très difficile, mais de voir souffrir ceux que t’aimes et de vouloir donner ta vie pour eux autres, il n’y a rien de plus souffrant que ça. Parce que tu souffres, il souffre et tu souffres de les voir souffrir (…), mais là maintenant j’ai une relation avec eux autres [ses enfants], ils ont passé par-dessus leur colère, ils sont rendus des adultes, ils savent c’est quoi la vie (…) [Retourner dans le crime] ça serait les décevoir, ça joue énormément, ma fille me l’a dit : ˝papa ne retourne pas là˝. Quand je leur ai annoncé que j’avais passé ma maîtrise, je pense que ma fille était plus contente que moi. Je vais préférer être pauvre, et si ça ne marche pas mes diplômes, mettons, dans le pire des cas…. J’aimerais mieux aller travailler au Walmart. Je ne veux plus les décevoir, et je ne veux pas passer le reste de ma vie en prison. » - Pierre (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 5 ans)

Par ailleurs, pour un de nos participants, le point tournant qui a fait en sorte qu’il délaisse définitivement le milieu criminel, est un drame survenu dans sa famille. Il veut donc être présent

« Il y a 1 an et 2 mois… Je me suis repris en main une couple de semaines pis ma fille la plus jeune est venue me voir… J’avais eu des échos, mais je pensais que c’était juste des niaiseries… Ma fille m’a dit qu’elle n’était plus capable pis qu’elle… Les crises qu’elle avait eu 1 an pis 2 ans avant quand on s’était pogné moi pis ma plus jeune… C’est parce qu’elle avait été abusée, t’sais… (…) ˝ Papa si je te conte ça, tu vas aller le tuer [l’agresseur] pis moi je vais me ramasser toute seule pis mes frères et sœurs ils vont se ramasser tous seuls… Fac faut que tu me fasses la promesse de ne pas le tuer ˝ t’sais ˝ Non je ne peux pas te faire ça comme promesse, t’sais… Si je ne le tue pas, je le ferai tuer ˝, elle dit ˝ je ne veux pas non plus que tu le fasses tuer ˝ … Fac faut pas que je consomme… Pis là elle va me dire que l’abuseur c’est mon père… (…) Si je consomme, c’est sur qu’il est mort demain matin, mais je ne consommerai pas parce que j’ai besoin de sauver ma fille, j’ai besoin de l’aider, elle a besoin de son père… » - Maurice (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 3 ans)

Finalement, tout comme dans l’étude de F.-Dufour (2013), nous constatons un lien entre la paternité et l’arrêt définitif des comportements criminels chez la majorité des pères de notre échantillon. Toutefois,

« ce n’est pas le fait objectif d’avoir des enfants qui explique que l’on se désiste du crime, mais c’est plutôt le fait d’avoir le sentiment subjectif d’être suffisamment important dans la vie de son enfant qui rend improbable la commission ultérieure d’actes criminels » (F.-Dufour, 2003 : 174).

Il importe de spécifier que ces nuances importantes ne peuvent pas être captées à travers les analyses effectuées à partir de vastes bases de données.