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3.3. LA CARRIÈRE CRIMINELLE

3.4.2. Les facteurs subjectifs de la réussite criminelle

De manière plus subjective, les participants vont parler de leur mode de vie fastueux lié aux gains qu’ils retirent de leurs activités criminelles. Cet aspect de la carrière criminelle a été récurrent lors des entretiens avec les participants afin d’évaluer leur réussite. D’ailleurs, McCarthy et Hagan (2001) ont souligné l’importance du capital humain et social dans la réussite criminelle. En référence au capital social, la totalité des participants appartenant à un groupe criminalisé (6/15) a fait mention de la taille de son réseau criminel et de l’importance de la place occupée dans la hiérarchie ; symbole de réussite. Plus encore, certains des répondants ont évoqué le capital humain - certains traits de leur personnalité et certaines compétences acquises – en guise de performance criminelle.

3.4.2.1. Mode de vie

« Qu’est-ce que tu ferais si tu faisais 4000-5000 par semaine… pis t’a 100 000$ de côté, t’arrêterais toi ? Le matin, je me réveille à 10-11-12h si je veux, pis je vais chiller, me promener… je fais ce que je veux… je m’achète ce que je veux, je mange dans les restos… ça me coûtait 60 000-100 000$ de restos par année…

Martin Paul Rémi Estelle Vincent Kevin Mathieu Olivier Luc Patrick Hugo Danny Julien Pierre Maurice 0 5 10 15 20 25 30 35 15 000 $ 96 000 $ 100 000 $ 104 000 $ 130 000 $ 130 000 $ 130 000 $ 130 000 $ 150 000 $ 150 000 $ 156 000 $ 156 000 $ 200 000 $ 200 000 $ 260 000 $ Durée de la carrière criminelle Re ve nu cr im in el a nn ue l

T’sais je veux dire… Le rythme de vie est dur à perdre aussi… » - Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an)

« Vie festive, chars flambant neufs, motos, des voyages… Écoute là, l’argent n’a pu de valeurs. T’sais l’argent vite gagné est vite gaspillé. Les soirées à 2 000-3 000, tu payes la traite à tout le monde. » - Mathieu (Trafic de stupéfiants, désisté depuis 4 ans)

« (…) j’étais criminel et j’étais sur le party, faque six jours sur sept dans les clubs et je pouvais dépenser 1000 à 2000$ dans les clubs et ça ne me dérangeais même pas, parce que ce n’était pas grave, demain je vais en avoir d’autre. » - Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an)

3.4.2.2. Capital social

« Pis tout ça j’étais avec les (nom du groupe criminel), j’étais rendue numéro 3 mais le numéro 2 avait un problème ; il consommait, pis il consommait en criss… (…) Faque là moi j’allais voir les (nom du groupe criminel), pis là ils étaient en tabarnak alors ils me disent que c’est moi le numéro 2. » - Pierre (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 5 ans)

« Ç’a eu des grosses influences ce club de motors là (…). Moi je fréquente ces gars de bicycle là tout le temps (…). Même que je te dirais, c’était ma première famille à l’époque » - Paul (Trafic de stupéfiants, désisté depuis 20 ans)

3.4.2.3. Capital humain

« Vu que j’étais un jeune qui s’exprimait bien, j’ai été remarqué par des gestionnaires, c’est genre des multinationales criminelles, et j’ai été formé à pouvoir peut-être prendre un jour les rênes de certaines entreprises, parce qu’il ne faut pas oublier que, la criminalité est un mode de vie, mais c’est aussi une

business pour certaines personnes. Pour ceux qui vivent de ça, c’est une business… » - Patrick (Vols qualifiés, désisté depuis 4 ans)

« J’étais fonctionnel au boute, je ne prenais pas de drogue, j’étais le candidat parfait, pis j’ai les gosses grosses de même [mimique du participant], j’attaquais des camions, ils savaient tout ça eux autres. J’avais du capital symbolique. » - Pierre (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 5 ans)

« J’étais connu dans le milieu, le monde savait que je pouvais ouvrir n’importe quelle porte (…) parce que même les policiers me le disaient : ʺon a jamais eu un gars comme toi, qui voles autant que toiʺ, et moi j’étais fier de ça ! » - Rémi (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 2 ans)

La perspective du choix rationnel a suscité un intérêt pour les études sur les carrières criminelles chez les chercheurs s’intéressant aux coûts et bénéfices objectifs associés à la criminalité (McCarthy et Hagan, 2001; Tremblay et Morselli, 2000; Wilson et Abrahamse, 1992). Au sein de cette étude, nous remarquons que les revenus criminels ont le pouvoir d’influencer le calcul coûts/bénéfices d’un délinquant. Ayant des gains criminels substantiels, les participants de cette recherche faisaient fi de la probabilité subjective du risque de sanctions légales.

« Moi ce n’est pas 1 an, 3 mois, 5 ans, 3 ans de sentences qui auraient pu me faire changer les idées, pour moi ça faisait partie de la vie. Tu voles, et tu te fais pogner une fois de temps en temps, accepte ça. Donc, dans les banques je me faisais pogner une fois, ça valait la peine, je me faisais 200 000$ là dedans. » - Luc (Vols qualifiés, désisté depuis 8 ans)

« Ça ne me dérangeait comme plus ou moins… je me disais que je pouvais me faire pogner, mais pas ici, faque ça ne me dérangeait comme pas…. J’aurais été prêt à faire six mois de prison, mettons garder mon argent… backer et arrêter… » - Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an)

« Je me disais ʺça fait partie de la game, j’ai vécu comme un roi pendant 5 ou 6 mois, ben là je paye le billʺ » - Patrick (Vols qualifiés, désisté depuis 4 ans) « Ben c’est quoi le succès, tu vas faire un vol, tu vas te faire pogner pour ce vol et tu vas rester en prison pour 7 ans… Mais si tu te fais 50 000$ et que tu rentres en prison pour un an, c’est correct. (…) je n’ai jamais reculé, à part quand il faut que tu sortes le gun, il faut que tu calcules le risque, mais sinon, non. » - Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an)

Finalement, nos entretiens mettent en lumière plusieurs similarités avec les travaux empiriques sur la réussite criminelle. Les revenus criminels et les expériences d’impunité sont souvent utilisés par les participants afin d’évaluer leur propre succès criminel. Toutefois, peu d’études ont abordé la question de la réussite criminelle à l’aide d’un devis qualitatif. Celui-ci nous a permis de comprendre l’importance des indicateurs de la réussite (objectif et subjectif) sur la carrière criminelle. Plus encore, il a été également possible de souligner un autre thème : le mode de vie des délinquants lors de leur carrière criminelle. Cet aspect peut certainement influencer le désistement puisque les individus habitués de vivre dans l’opulence, dû à ce mode de vie, pourraient avoir plus de difficultés que d’autres à maintenir le droit chemin. Les

individus les plus dépendants à ce style de vie empreint de luxe pourraient éprouver de la difficulté à se résigner à une baisse sévère de leurs revenus.

3.4.3. Synthèse

Nos résultats mettent en évidence la réussite criminelle comme un paramètre central dans la compréhension des trajectoires criminelles. Par exemple, nous constatons que la performance criminelle des participants a le pouvoir d’endurcir leur carrière criminelle. À la lumière de nos résultats, nous constatons que le succès a le pouvoir de moduler les paramètres de la carrière criminelle. En ce qui concerne l’impunité, nous avons remarqué que moins un individu connaît des démêlés avec la justice, plus il sera enclin à perpétrer des délits puisqu’il aura le sentiment d’être invincible face aux autorités. Quant au revenu criminel, ceci est intimement lié au calcul des coûts et bénéfices de la délinquance. De fait, plus les gains criminels étaient significatifs, moins les participants pensaient aux conséquences possibles de leurs actions criminelles. Les bénéfices de leurs crimes, notamment les revenus élevés, ont donc pour effet de prolonger la carrière criminelle. Toutefois, comme cette recherche s’intéresse au processus de maintien du désistement du crime, nous allons à présent aborder les facteurs qui influencent la cessation de la criminalité.