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3.2. LE DÉBUT DE LA TRAJECTOIRE CRIMINELLE

3.2.2. Les pairs et l’absence de contrôle social informel

La quasi-totalité des participants rencontrés identifie les pairs comme étant le facteur clé qui a permis l’initiation aux crimes. Ce résultat n’est pas nouveau, il existe de nombreux travaux empiriques qui relatent l’influence négative des pairs dans l’explication des comportements délinquants à l’adolescence. Dans le champ sociojudiciaire, la présence de pairs contrevenants est régulièrement associée à la criminalité (Brent, 2001; Graffam et coll., 2005; Massoglia et Uggen, 2007; Warr, 1998, cités dans F.-Dufour, 2013 : 101). Au sein de l’échantillon, nous

remarquons que certains participants ont plongé dans la criminalité en raison de leurs relations avec des pairs délinquants.

Ayant comme seuls amis des pairs délinquants, Mathieu (Trafic de stupéfiants, désisté depuis 4 ans) considère qu’il n’a pas d’autre choix que de s’initier à la délinquance :

« Un vendeur de drogue va se tenir avec un vendeur de drogue (…) pis un voleur va se tenir avec un voleur pis c’est comme ça dans la vie. Faque moi, mes amis ont toujours été là-dedans, dans la drogue. C’est pour ça que dans le fond… [il a commencé à vendre des stupéfiants]. »

Pour Vincent (Trafic de stupéfiants et vols de véhicule, désisté depuis 2 ans), c’est à la suite d’une perte d’emploi que ces amis criminels l’ont initié aux crimes :

« Parce que je me tenais… Parce que j’ai comme, comment je pourrais dire… 95% de mes amis travaillent légalement ; construction, représentant, toutes ces choses-là. Pis j’ai comme un 5% que c’est la délinquance pis c’est quand j’ai eu ma perte d’emploi que… t’sais c’est sûr que je demandais à mes amis qui travaillaient légalement s’ils cherchaient du monde à leur job, mais ils ne cherchaient personne… Pis là ça a fait : " ok, il ne cherche personne faque regarde, on va aller voir le 5% ". Pis dans le 5 % ça a fait : " Ouais, pis regarde tu peux commencer demain, tu peux commencer tantôt si tu veux ". Faque là j’ai fait " ok ouais, je vais essayer " (…) »

Plus encore, nous remarquons que certains de nos participants se sont initiés au crime malgré qu’ils soient issus de familles fonctionnelles, et qu’ils soient entourés de pairs prosociaux. Dans ces cas, il s’agit d’un manque de contrôle social informel de la part d’autres institutions sociales qui jouent un rôle dans l’initiation au crime.

Pour Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an), c’est l’absence de contrôle social informel à l’école qui marque son entrée dans la vie criminelle. En effet, à l’adolescence, ce dernier fréquentait une école privée où un contrôle social informel y était exercé. Toutefois, il est renvoyé de cette école à l’âge de

fréquentant des pairs « moins recommandables », ce dernier commence à faire du trafic de stupéfiants :

« Je suis arrivé à (nom de l’école publique) et j’ai commencé à vendre là à la fin de mon secondaire IV. Je n’avais jamais fumé de Hasch à la bouteille et j’ai commencé en arrivant à (nom de l’école). (…) À (nom de l’école), c’était un peu plus lousse, moins d’encadrement un peu, faque j’allais fumer avec lui [un ami] le midi, j’ai commencé du Hasch avec lui (…) »

L’absence de soutien de la communauté s’ajoutant à la présence de pairs délinquants, expliquent pour d’autres l’entrée dans la criminalité.

Pierre (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 5 ans) vient d’une famille monoparentale et d’un quartier pauvre :

« Je suis ici dans un quartier défavorisé de la ville de (nom). Mais disons, dans mon quartier à moi, si je me compare avec les familles d’à côté qui vivent près de chez moi et mes amis disons que j’étais le mieux de la gang (…), mais contexte social économique pauvre, t’sais faque j’ai eu de la misère à m’en sortir à cause de ça (…) c’est vraiment mon quartier qui a fait en sorte que j’ai commencé à faire du crime parce que je suis juste avec des gars qui sont pauvres (…) T’sais les gars faisaient des vols de chars, ils faisaient toutes sortes d’affaires, pis j’étais baigné là-dedans moi à journée longue (…) Faque j’ai commencé mes premiers petits vols avec des amis du quartier… »

En somme, il n’existe pas de lien direct et unidirectionnel entre les pairs délinquant et le fait de perpétrer des actes criminels (F.-Dufour, 2013). Toutefois, les travaux de Laub et Sampson (2001, 2003; Sampson et Laub, 1993, 2003) ont permis de d’apporter quelques nuances concernant le lien entre la criminalité et les pairs déviants.

« Pour eux, il ne suffit pas de fréquenter des pairs procriminels pour commettre des délits, mais il faut, en plus, pouvoir s’extraire du contrôle social (formel et informel) pour qu’il y ait passage à l’acte. Ainsi, une personne qui fréquenterait des pairs procriminels, mais qui serait soumise au contrôle social informel de ses parents, par exemple, pourrait ne pas commettre de délits. À l’inverse, une personne qui ne serait pas soumise au contrôle social informel exercé par sa famille, ses professeurs ou sa communauté pourrait commettre des délits même si elle fréquente principalement des personnes qui ont des attitudes prosociales » (F-Dufour, 2013 : 101).

Ainsi, tout comme les travaux de F.-Dufour (2013), les données recueillies au sein de cette recherche démontrent que le fait d’avoir des pairs procriminels encourage la perpétration de

délits. Certains participants identifient, dans leur récit de vie, que la seule présence de pairs délinquants suffit à les inciter à la criminalité tandis que, pour les autres, c’est plutôt l’absence de contrôle social informel qui les a amené vers une trajectoire de vie délinquante. Ainsi, le fait d’avoir des pairs délinquants peut faciliter les agissements criminels. Nos données s’apparentent aux constats dégagés par Laub et Sampson (2001, 2003 ; Sampson et Laub, 1993, 2003) à l’effet qu’il ne suffit pas d’avoir des pairs délinquants pour s’initier à la délinquance. Il faut également que la personne ait l’impression qu’elle peut échapper au contrôle social formel et informel (F.-Dufour, 2013). Finalement, nous observons que les trajectoires diffèrent d’un individu à l’autre. La méthode qualitative que nous avons privilégiée dans cette recherche permet d’apporter des nuances que les études quantitatives ne peuvent démontrer.