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3.3. LA CARRIÈRE CRIMINELLE

3.3.3. Le parcours judiciaire

La majorité des participants ont été incarcérés au fil de leur carrière criminelle. De fait, seulement 3 des 15 participants n’ont jamais été en détention. Le nombre moyen de sentences reçues par les participants de notre échantillon est de 4,4. La longueur des sentences reçues varie entre 15 jours et 25 ans pour une moyenne de 4,7 ans. Pour ce qui est du temps d’incarcération, la période moyenne des répondants est de 3,25 ans. Pour ces douze participants, il s’est révélé que la peine d’emprisonnement n’a que rarement eu l’effet dissuasif escompté. En effet, nous pouvons alors observer que l’expérience de l’emprisonnement n’est pas considérée par nos participants comme un facteur qui explique le désistement du crime, ces épisodes

ou encore leur a permis de continuer, à l’intérieur de la prison, leurs activités criminelles, soit le trafic de stupéfiants. Dans nos entretiens, nous constatons également que l’incarcération renforce l’identité criminelle des contrevenants « puisque les discussions entre détenus servent surtout à évoquer des délits passés et futurs de façon à susciter l’approbation des autres et viennent consolider l’identité sociale endossée » (F.-Dufour, 2013: 146). D’ailleurs, tout comme dans l’étude des sursitaires québécois menée par F.-Dufour (2013), la plupart des participants (8/12) mentionnent que l’incarcération ne favorise pas le désistement, mais au contraire, encourage la persistance dans le crime. Pour les quatre autres participants, l’incarcération a eu un effet positif sur leur processus de désistement. Cet aspect sera traité ultérieurement dans la section sur le désistement du crime.

Pour certains participants, l’incarcération est un passage obligé au cours d’une carrière criminelle. La prison faisait partie de leur vie ; des risques du métier, des risques assumés.

« C’était des in and out [en prison] (…) C’était ma vie, l’incarcération était ma vie, c’était les conséquences de mes actes. Moi ça fait longtemps que je me disais : ʺ assume ce que tu fais dans la vie ʺ » - Patrick (Vols qualifiés, désisté depuis 4 ans)

« À partir de ce moment-là, des in and out , prison tout le temps… je vais en prison, je sors, maison de transition… 90% du temps je me fais remonter (…) j’ai appartenu au service [correctionnel] pendant 17 ans, toujours rentre sort, rentre sort … » - Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an)

Pour d’autres, l’incarcération a des effets criminogènes non négligeables. Ces derniers profitent alors de leurs épisodes de détention afin de perpétrer des délits et de renforcer leur identité criminelle.

Pour Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an), la prison est un lieu de prédilection afin de commettre des actes criminels :

« (…) et puis malheureusement pour moi, j’ai aimé la prison et j’ai fait de l’argent en prison, j’en ai fait plus en dedans que dehors. (…) Faque, je suis sorti, c’était comme un flash pour moi, c’était cool en prison. J’étais là 3 semaines, je me suis fait de l’argent, je me gelais la face, je ne manquais de rien, alors pour moi il n’y avait rien là, faque j’ai tout de suite recommencé. (…) Alors, encore

une fois, j’ai marqué dans ma tête, je me suis dit ʺ tout se règle, la prison c’est ma place.ʺ »

Dans le cas de Luc (Vols qualifiés, désisté depuis 8 ans), l’incarcération lui a permis non seulement de renforcer son identité criminelle, mais aussi de continuer ses délits :

« Donc, j’ai fait un an de prison, et la seule chose que ça m’a donné, c’est une reconnaissance : ʺ il a fait de la prison ʺ. Donc, mon image a été encore plus rehaussée. Par contre, je prenais autant de drogue. Tellement qu’en ressortant, j’ai fait un autre vol de banque (…). Donc, quand j’ai fait mon premier trois ans, j’ai été voir un de mes partenaires qui est venu me voir en visite et je lui ai dit ʺ écoute, ici c’est une mine d’or, on peut faire beaucoup d’argent en prison. Là tu peux aller faire des pharmacies, tu peux aller voler tous les barbituriques qu’il y a. ʺ Donc, le gars a été voler tous les barbituriques, il en avait une grosse poche et nous on vendait ça trois pour 10$. Mais aussi on faisait de la vente, mais aussi on en prenait, donc quand je suis sorti de là j’étais aussi fucké que quand je suis rentré »

Les propos des participants illustrent bien le côté néfaste de l’emprisonnement : la continuité de leurs activités criminelles, l’enracinement de leur identité criminelle ainsi que la perte de nombreuses aptitudes sociales (F.-Dufour, 2013). Nous pouvons également penser que le type de crime commis a aussi une influence sur l’incarcération. Par exemple, l’emprisonnement pourrait être plus profitable pour un individu impliqué dans les crimes lucratifs que pour les crimes violents. Permettant un contact avec d’autres délinquants, ces derniers peuvent ainsi perfectionner leurs aptitudes criminelles (savoir-faire), augmenter le nombre d’opportunités disponibles ou même se lier à des mentors ou membres du crime organisé. Ces contacts leur seront bénéfiques lors de leur sortie de prison.

3.4. LA RÉUSSITE CRIMINELLE

La présente étude s’intéresse aussi à la notion de réussite criminelle.

pourrait en être de même pour les revenus criminels » (Ouellet et Tremblay, 2014 : 528).

Nous pouvons donc penser que les revenus perçus par la criminalité pourraient inciter le délinquant à poursuivre ses activités et le momentum créé par ses succès ponctuels pourrait l’encourager à augmenter la fréquence de ses crimes (Ouellet et Tremblay, 2014). D’emblée, lorsque nous avons posé la question « Comment évaluez-vous votre succès criminel ? » la majorité des participants abordaient la question en parlant de leurs revenus criminels et certains évoquaient le fait qu’il ne se soit jamais fait arrêter.