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3.5. LE PROCESSUS DU DÉSISTEMENT DU CRIME

3.5.1. Les points tournants qui amènent le déclenchement du processus du désistement

3.5.1.2. Les facilitateurs institutionnels

Cette section est consacrée à illustrer comment l’institution (système de justice) a influencé les choix des participants. Dans une recherche sur le milieu carcéral, Clemmer (1940) affirme que le degré de prisonniérisation9 varie d’un détenu à l’autre. Son analyse l’a conduit à identifier plusieurs facteurs susceptibles d’entrainer une plus grande prisonniérisation : une longue sentence, une personnalité instable, l’absence de relations avec les gens de l’extérieur durant l’incarcération, etc. En somme, un détenu qui présente les caractéristiques opposées subirait une moins grande influence du milieu ce qui favoriserait le désistement.

9 Dans son étude, Clemmer (1940) « a voulu déterminer dans quelle mesure le temps passé en prison pouvait

modifier les attitudes des détenus. C’est d’ailleurs pour désigner l’assimilation du détenu par le milieu carcéral qu’il inventa le terme prisonniérisation (de l’anglais prisonization)» (Vacheret et Lemire, 2007 : 16)

En effet, on remarque que chez les quatre participants issus d’une famille aux valeurs prosociales, l’incarcération a un pouvoir de dissuasion, puisque ces derniers auront le sentiment de décevoir leur famille. L’emprisonnement peut alors jouer un rôle déterminant chez les répondants ayant des facteurs de protection contre la prisonniérisation, tel que mentionné par Clemmer (1940).

C’est le cas d’Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an) qui a eu la chance d’avoir une famille qui lui apportait de l’aide et du soutien lors de son incarcération. Pour lui, la sentence purgée a été un point tournant puisqu’il a pris conscience de toutes les conséquences qui s’y rattachaient, surtout pour ses parents :

« Non, je ne veux plus ça [vivre dans la criminalité], et t’sais pour les parents, le stress que ça fait à tout le monde de la famille. (…) Et les conséquences qui peuvent arriver, je suis ben plus conscient de ça les conséquences (…) C’est plus moi par rapport à qu’est-ce que j’ai fait aux autres (…). Tu ne veux plus refaire vivre ça non plus… c’est pas mal dans les pour du pourquoi je ne suis pas retourné là-dedans. Le gros c’est beaucoup la famille, t’sais moi je l’ai eu la prise de conscience parce que j’ai eu 17 mois, mais ce n’est pas tout le monde qui l’ont… moi dans ma famille, dans mon entourage il n’y a pas personne qui a fait de la prison… »

Pour Vincent (Trafic de stupéfiants et vols de véhicule, désisté depuis 2 ans), sa mère n’a jamais cessé de le supporter même lorsqu’il était incarcéré. Pour lui, la détention a été un point tournant afin de réaliser les conséquences que ces gestes avaient, non seulement sur lui, mais également sur son entourage :

« Je suis dans ma cellule tout seul à croupir comme un imbécile et je me suis dit : ˝ ok ça vaut tu vraiment la peine que … que je scrap ma vie pour ça ˝. (…) Ça prive de liberté [l’incarcération] faque c’est ça qui est plus difficile sur le moral là. C’est plus pour les autres, moi en tant que tel, pas que ça ne me dérange pas t’sais je le vis, je sais mettons qu’en prison, je suis capable de survivre, mais le monde dehors ils le savent pas eux autres. Sont là à chaque jour : ˝ Ok, qu’est- ce qu’il se passe avec, qu’est-ce qui arrive ? ˝. Faque t’sais c’est plus le stress du monde dehors là t’sais ma mère je l’appelais, elle voulait que je l’appelle à chaque jour (…). »

Plus encore, tout comme dans l’étude de F.-Dufour (2013), on observe que les programmes offerts dans les établissements pénitenciers peuvent déclencher le processus de désistement chez certains participants de cette étude (4 des 12 répondants incarcérés). Premièrement, nous observons que les participants ayant suivi des programmes d’employabilité en détention auraient plus tendance à se développer de nouvelles aspirations, notamment face au travail légal. Plus loin dans ce chapitre, nous reviendrons sur l’employabilité comme élément qui favorise le maintien du désistement.

« Quand je me suis fait arrêter, là je savais ce que je voulais dans la vie, parce que c’est drôle à dire, mais, avant que je me fasse arrêter, j’écoutais souvent canal D et j’écoutais souvent des émissions, comme le camionneur de l’extrême… et ça m’a montré que je voulais faire ce genre de travail là, que quand tu arrives le soir, tu es fatigué parce que tu t’es donné à fond toute la journée. Moi, je savais que quand, je me ferais arrêter, je savais qu’il donnait le cours briqueteur là-bas [au pénitencier], faque, ben un an avant de me faire arrêter, je me suis dit que je m’arrangerais pour être dans ce pénitencier pour pouvoir faire le cours. (…) J’ai fait le DEP à maçonnerie et dans ma tête c’était clair et net que quand je sortirais de là, j’allais travailler, que c’était fini maintenant. (…) j’ai fait le cours et quand je suis sorti je me suis tout de suite trouvé un job et maintenant je travaille et je n’ai plus le goût de retourner (…) » - Rémi (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 2 ans)

De surcroit, les agents de programme peuvent jouer un rôle significatif dans le processus de désistement. C’est le cas de quelques répondants qui considèrent la participation aux programmes offerts par le service correctionnel comme un point tournant dans leur trajectoire de vie. Au-delà des programmes, nous observons, à travers les données recueillies, que l’attitude des agents envers les clients peut également motiver les délinquants à cheminer vers le désistement.

C’est le cas d’Olivier (Trafic de stupéfiants et vols, désisté depuis 1 an) qui a suivi un programme de toxicomanie dans le pénitencier où il était incarcéré. Pour lui, c’est le point tournant qui l’a amené vers un désistement du crime. :

« Ce qui a vraiment changé ma vie, c’est que j’ai fait un programme de toxico que j’avais déjà fait, mais intensité plus modérée, et là j’ai fait intensité élevée. (…) j’ai pu vraiment mettre mes tripes sur la table avec ce gars-là [agent de

programme], et ça je le dis souvent, ce gars-là ne m’a jamais jugé, et on a été au- delà du programme (…) »

Finalement, Cusson et Pinsonneault (1986) remarquent qu’une dissuasion tardive du crime peut subvenir suite à une ou plusieurs condamnations. Ils estiment que quatre composantes peuvent survenir lors de la prise de décision de quitter le crime : l’estimation plus élevée des probabilités de punition, l’incarcération devient de plus en plus difficile, la peur d’avoir une sentence plus sévère suite à une récidive et le mode de vie criminelle (paranoïa, stress, peur, etc.). Nous pouvons observer que les propositions de Cusson et Pinsonneault (1986) s’appliquent chez les quatre participants pour qui l’incarcération a eu un effet dissuasif, notamment pour la peur d’avoir une sentence plus sévère s’il y a récidive.

Après s’être fait arrêter à plusieurs reprises pour bris de conditions, le juge menace Estelle (Trafic de stupéfiants, désistée du crime depuis 6 ans) d’une sentence plus longue si elle récidive :

« J’ai eu plusieurs bris de conditions pour me rendre à 9 arrestations, ce qui a fait que j’ai commencé à prendre conscience qu’il fallait qu’il se passe de quoi dans ma vie, c’est que la dernière fois que je me suis fait arrêter pour bris de conditions, quand je suis passée devant le juge, il voit qu’il y a eu deux charges, mais que le reste c’est tous des bris de conditions, alors le juge m’a dit : ˝ Mademoiselle (nom de famille), si je vous revois ici pour un nouveau bris de conditions sur ces causes-là, on vous donne six mois fermes. ˝ Ça, ça fait mal… non, je ne peux pas faire six mois, et ça, ç’a commencé à allumer des lumières (…) »

Hugo (Trafic de stupéfiants, désisté du crime depuis 1 an) craint également d’obtenir une sentence plus sévère s’il récidive :

« T’sais, ça me fait chier 17 mois pour ce que j’ai fait, je trouve ça beaucoup, mais je les ai faites les 17 mois, ça ne me tente pas de refaire ça et de me repogner de quoi, pis si je me fais repogner, je ne serai pas en bas de 17 mois si je me fais repogner à vendre du Pot. »

Pour sa part, Luc (Vols qualifiés, désisté depuis 8 ans) est échaudé par la longue sentence donnée par le juge et réalise le temps perdu derrière des barreaux :

réfléchir sur moi. (…) Je ne me connaissais pas, je ne savais pas qui j’étais dans le fond, je m’étais drogué toute ma vie. Je m’étais aperçu que si je ne me droguais pas, je n’étais pas un gars violent, je suis un bon gars… donc, j’ai commencé à changer en prison. (…) Quand j’ai pogné 25 ans de perpétuité, je me suis dit là, je suis rentré à 34 ans, si je suis chanceux, je vais sortir à 62 ans, là un moment donné, c’est beau être tough, mais un moment donné ça te réveille. Et là tu te mets à regarder ta vie en arrière et tu commences à voir que … méchant esti de gaspillage, une fille qui grandit, que je ne connais même pas. »

En résumé, bien que l’emprisonnement puisse avoir des effets criminogènes chez certains individus, on remarque que chez les individus provenant d’une structure sociale favorable et ne s’identifiant pas comme criminel, l’incarcération peut être un point tournant dans leur trajectoire criminelle. De fait, chez les participants ayant une identité criminelle fortement ancrée, l’emprisonnement a eu comme effet d’accentuer leur carrière criminelle, tel que soulevé précédemment dans la section du parcours judiciaire.