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CHAPITRE I : LA CONCEPTION ARCHITECTURALE ET SES PROCESSUS

II. 7 1 Les référents formels comme outils d’aide à la conception

II.13. Objet et processus architectural

Si le discours de Viollet-le-Duc est proche du théorique, c’est qu’il essaye de lire dans l’objet le processus de conception. On l’a vu dans son analyse de l’ogive. Certes il continue de se référer à une nature dont il faut suivre le modèle. Toute fois dans un passage important de son article style, il s’interroger, à propos de la croute terrestre, sur la façon dont la nature procède. Si le modèle de la nature est à suivre, c’est en tant que processus qu’il faut le suivre et non en tant que qu’elle livrerait des formes à imiter.

Or l’objet minéral dont l’agencement naturel est le plus visible est sans doute le cristal auquel à recours plusieurs fois Viollet-le-Duc. De façon symptomatique la cristallisation est employée à la fois comme métaphore et comme objet positif de description d’un processus. Métaphore, il l’utilise pour d écrire de façon globale le développement des arts à l’époque qu’il étudie : « nous ne pouvons mieux comparer le développement des arts à cette époque qu’à une cristallisation ; travail synthétique dont toutes les parties se réunissent suivant une loi fixe, logique, harmonieuse, pour former un tout homogène, dont nulle fraction ne peut être distraite sans détruire l’ensemble ». Pourtant ailleurs la cristallisation, loin d’être un recours métaphorique pour expliquer, dans le fond, ce qui reste inexpliqué, va être l’occasion de poser une différence entre objet et processus, ou plutôt, pour utiliser sa terminologie, entre forme et principe :

« on a cru remplir les conditions d’unité parce qu’on adoptait plus ou moins fidèlement certaines formes des architectures antérieures à notre temps, formes qui étaient les conséquences d’un principe d’unité, mais qui, par cela même qu’elles étaient les conséquences d’un principe, ne sont pas le principe. Ceux qui ont pris l’habitude de procéder ainsi, c'est-à-dire de prendre la forme sans tenir compte du principe qui l’avait fait éclore, ne sauraient admettre qu’on puisse procéder autrement ; et, nous voyons étudier et analyser les applications de la loi générale faite par les maitres du moyen-âge, ils admettent que nous

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devons procéder ainsi qu’eux-mêmes le font, c'est-à-dire que, prenant la forme, l’apparence purement plastique de l’architecture du moyen-âge, nous considérons cette forme comme notre unité préférée, non comme une conséquence de la loi générale d’unité, et que, des lors, nous aurions cette prétention de prescrire l’emploi de cette forme.

Pour être plus clair, ayons recours à une comparaison que chacun peut saisir. Il y a, dans la nature inorganique que nous avons sous les yeux, une quantité innombrable de cristaux qui sont la conséquence d’une loi de la cristallisation. Reproduire l’apparence plastique de ces cristaux en n’importe quelle matière, ou établir des conditions physiques ou chimiques à l’aide desquelles ces cristaux peuvent se former d’eux-mêmes sous l’empire de la loi générale, sont deux opérations très-distinctes. La première est purement mécanique et ne donne qu’un résultat sans portée ; la seconde met un attribut de la création au service de l’intelligence humaine. La question est donc ainsi réduite à sa plus saisissante expression : copier en une matière quelconque des cristaux qui sont le produit d’une loi régissant la cristallisation ; ou chercher la loi, afin qu’en l’appliquant, il en résulte naturellement des cristaux propres à la matière employée. Pour trouver cette loi, il faut nécessairement définir les qualités de ces cristaux, analyser leur substance et les conditions sous lesquelles ils prennent la forme que nous leur connaissons. » (Tome IX, p. 345, art. « Unité »).

Ce passage que nous citons malgré sa longueur est sans doute un des plus importants qui soient du Dictionnaire : il montre comment Viollet-le-Duc se distingue de la vision formelle du gothique, celle-là même que, pour y être eux- mêmes plongés, des contemporains lui reprocheront. Pourtant, si conscient soit-il de la nécessité de distinguer l’objet et le processus, Viollet-le-Duc va lire le processus dans l’objet.

Si c’est au cristal qu’a recours Viollet-le-Duc comme modèle de processus naturel, c’est parce que jugement – et là est toute l’ambigüité – cet objet est (ou semble être) transparent quant à sa loi de formation.

La répétition de la forme fait soupçonner la loi, donc le principe « pour faire la croute de corps cristallisés suivant une forme unique ». De sorte que Viollet-le- Duc lit dans le cristallisé la cristallisation, dans l’objet le processus alors même

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qu’il a posé la différence entre objet et processus. Des lors la cristallisation devient le point aveugle de son analyse, tout en englobant son objet, même lorsqu’il parle du :

« Système de cristallisation, c’est-à-dire de répétition à l’infini du principe admis que nous voyons appliqué rigoureusement des la fin du XIIe siècle. » (Tome VI, p.323, art. « Meneau »)

Dans le fond, c’est la répétition dans le cristal et du cristal qui suggère la loi naturelle, et assigne le processus à un principe, mot-clé de Viollet-le-Duc. Mais, de manière tautologique, le principe n’est autre, ici, que la répétition elle- même. D’où la fascination pour le cristal qui semble rendre l’objet transparent à son processus.

La cristallisation, du style d’une époque ou bien celle du cristal ou de croute terrestre, reste un objet énigmatique qui renvoie bien à une incertitude quant à l’objet du discours, indécis qu’il est, entre l’attention portée aux raisons internes des formes et à leur détermination externe. Du global – la nature, l’époque (la croute terrestre) – à une focalisation de l’attention sur la géométrie des cristaux, c’est l’absence d’une focalisation postulée sur un objet théorique qui empêche Viollet-le-Duc d’accomplir le pas Théorique, aussi « théoricien) soit-il. Pourtant le dictionnaire aurait pu l’amener à de telles focalisations. Mais justement l’article « architecture » à lui tout seul tient 200 pages. Tant il est difficile, quand on parle d’architecture, de na pas tout dire même si, faisant un dictionnaire, on est confronté à la question d’un découpage de la globalité. (50)