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Christopher Alexander ou la synthèse du processus

CHAPITRE I : LA CONCEPTION ARCHITECTURALE ET SES PROCESSUS

II. 7 1 Les référents formels comme outils d’aide à la conception

II.14. Christopher Alexander ou la synthèse du processus

En posant la communication, la signification comme réalité de l’architecture, Norbert-Schultz la rend objet possible d’une sémiologie. Sans nier qu’elle puisse l’être, on est en droit de penser qu’il s’agit là seulement d’un des aspects de l’architecture et non de sa réalité ultime.

Avec la recherche de Christopher Alexander il semble qu’on échappe à ce que j’ai appelé l’ « applications » en approchant d’un objet spécifique relatif à l’architecture et non plus d’un objet fourni par une discipline extérieure à elle, vis-à-vis duquel elle constitue un champ d’étude plutôt qu’un objet propre.

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Alexander a sans doute été un des premiers à poser la question de la conception qu’il appelle « Synthèse de la forme » :

« Cet essai porte sur le processus de la conception (…) l’objet final de la conception est la forme.»

Tout l’ouvrage d’Alexander nous fait découvrir ce qu’il propose comme processus de conception et à quelle forme, à quelle organisation de la forme il aboutit. Son idée majeure consiste à considérer que tout problème de conception est un enchévement de multiples problèmes. Ceux-ci renvoient les uns aux autres dans une complexité telle que, bien souvent, la solution de l’un d’eux entraine par quelconque liaison, de nouveaux problèmes. Il donne de cette situation une idée par la comparaison suivante : imaginons un tableau de cent lampes allumées. Chacune d’elles peut être éteinte par un interrupteur qui la concerne. L’objectif est d’éteindre le tableau. Toutefois les lampes sont connectées à l’arrière du tableau – sans que l’on sache comment- de telle manière qu’éteindre l’une d’elles peut en rallumer plusieurs autres. Le système proposé par Alexander pour améliorer cette situation est de faire la liste des problèmes et de leur liaison. Puis par un procédé mathématique, de structurer l’ensemble des problèmes en sous-ensemble de sous problèmes, tels que ceux- ci comportent de fortes liaisons internes et de faibles liaisons entre eux. Ainsi peut-on espérer, en travaillant sur un ensemble de sous-problèmes (c’est-à-dire un ensemble plus simple) résoudre les difficultés qui sont les siennes, sans pour autant répercuter sur les autres sous-ensembles de nouvelles difficultés, et ce, grâce au petit nombre de liaisons existant entre les sous-problèmes.

On voit que le processus, c'est-à-dire les problèmes que résout le concepteur, est bien posé comme objet de la théorie et qu’un modèle en est même proposé. Toutefois processus et forme ne sont pas vraiment autonomisés car ils sont en rapport de miroir. D’une part la forme reproduira le processus manifesté par des diagrammes :

« La décomposition hiérarchique des diagrammes conduit à un objet physique dont la hiérarchie structurelle sera l’exacte contrepartie de la hiérarchie fonctionnelle dégagée par l’analyse du problème. »

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Quant au problème il est dégagé par l’analyse de l’objet. Ce n’est donc que la description d’un objet supposé existant (Alexander prend l’exemple d’une bouilloire) qui permet de se représenter les problèmes de conception. Or dans le cas d’un objet véritablement à concevoir il ne saurait y avoir de description préexistante au problème, fondé sur une représentation de l’objet puisque, par définition, celui-ci n’existe pas !

Enfin le travail de l’architecte comporte tout autant de problème à poser que de problèmes à résoudre et on ne saurait donc, dans le cas des premiers, les structures à l’avance.

En d’autre terme, si Alexander effectue bien un déplacement de la forme vers le processus, c’est la forme qui indique les problèmes du processus. Les problèmes de celui-ci ne sauraient être cherchés ailleurs que dans cette forme. Et le processus est lu (fut-ce avec une grande sophistication analytique et un outillage mathématique) dans la forme, supposée donc déjà exister. Ceci revient à nier le problème de la conception déjà formulé par Plaute, rapporté par Quat rémére de Quincy comme l’a utilement pointé Jean-Louis le Moigne: « le poète cherche quelque chose qui n’est nulle part et pourtant il le trouve ». Dans le fond, l’image du tableau des lampes, pour suggestive qu’elle puisse être de la complexité des problèmes de conception, n’est-elle pas fausse ? Les connexions sont supposées être données derrière le tableau, alors que la conception fait et défait des connexions en permanence… !

Et il se peut que la complexité des problèmes de conception provienne de ce qu’ils ne sont pas des problèmes au sens canonique du terme, c'est-à-dire posés en termes explicites, mais qu’ils doivent être posés.

Alexander en cherchant à appliquer l’outil mathématique l’applique à un problème, ou un ensemble de problèmes (peu importe finalement) supposés posés. Ce faisant il confond complication et complexité :

« Entre le problème d’additionner deux à deux, et le problème de calculer la racine septième d’un nombre de 50 chiffres, nous résoudrons facilement de tète le premier problème, nous échouerons devant la complexité du second, à moins de découvrir une manière simple de l’écrire, qui nous permettre de décomposer le problème en problèmes plus petits. »

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On voit qu’ici la complexité de la conception architecturale est réduite à une complication que l’outil mathématique est censé pouvoir gérer.

Une fois reconnue cette complexité, l’ambition semble devoir être beaucoup plus modeste. Avec l’architecturologie, nous verrons qu’il s’agit de se donner des outils conceptuels permettant de parler de la conception et de tenter de la décrire pour autant que cela est possible, afin de mieux la connaitre plutôt que d’avoir la prétention de découvrir ou de formuler ce processus.

Cela mène à énoncer un point de vue constructiviste de l’architecturologie : il ne s’agit pas tant de montrer un processus ou le processus de la conception, la fameuse boite noir (R. Horde, 1988), que de chercher à se constituer des outils permettant d’en parler, c'est-à-dire des concepts. (51)