• Aucun résultat trouvé

Langages singuliers et partagés de la conception

CHAPITRE I : LA CONCEPTION ARCHITECTURALE ET SES PROCESSUS

I. LA CONCEPTION ARCHITECTURALE

I.6. Langages singuliers et partagés de la conception

« Considérations.

Il y a en art, des problèmes de circonstance et des problèmes essentiels. Les premiers se renouvellent tous les quinze ans, tous les trente ans ou tous les demi-siècles, selon qu’ils sont affaire de mode, de gout ou de mœurs. Plus ils sont éphémères et plus ils absorbent l’attention. Quant aux problèmes essentiels, ils ne sont jamais à l’ordre du jour » Jean Schlumberger.

Les pages qui suivent considèrent des écrits récents d’architectes et de scripteurs se réclamant de l’architecture. Qu’ils concernent l’analyse de la pratique, son élucidation doctrinale ou sa construction comme discipline, ces écrits rendent compte à leur façon de l’architecture contemporaine comme acte et comme pensée.

Il s’agit de contribuer à la compréhension des rôles et des statuts de ces écrits, parallèlement aux histoires de l’architecture et de ses faits (projet ou réalisation) et à celles de ses philosophies. En relevant que l’exposition des œuvres, mode privilégié de démonstration, constitue une modalité autre mais importante de la présentation des thèses et des positions en présence. L’exposition professionnelle ou muséale est susceptible d’entrainer des

45

mobilisations collectives et militantes. Dans ce sens, elle a connu et connaitra encore des heurts fortes, bien qu’il faille noter l’importance croissante de l’exposition des projets et des leurs esquisses, au détriment de celles de leurs réalisations. (15)

I.6.1.1. Le discours doctrinal en conception architecturale:

D’un point de vue pratique le discours doctrinal est au service de l’objet architectural. Il le représente, le valorise, le rend compétitif. Mais le discours doctrinal à également pour vocation de sécuriser le concepteur, de lui fournir des certitudes, de le guider dans son cheminement créatif. C’est là selon Valéry (1929) la raison d’être de toute théorie artistique.

Le discours doctrinal est nécessaire en ce sens qu’il légitime et fonde le point de vue de l’architecture : celui-ci élabore sa théorie, méthode de travail qui lui permet de faire. C’est un discours souvent séduisant car il est argumenté ou offre l’apparence de l’agrémentation. Mais c’est un discours particulier, propre à chaque architecte, à tel groupe d’architectes ou à telle école, malgré sa prétention à l’universel.

Les mots d’ordre, slogans, aphorismes qui émaillent ces discours, sont de l’ordre du précepte, de règles ou d’enseignement à suivre, et valent avant tout pour leur valeur descriptive.

Définir le statut et la fonction des divers discours (traité, manifeste, concept, ….) permet d’appréhendiez le rôle du langage dans la conception. Le concept ou précepte fixe des objectifs, balise un champ de contraintes abstraites et générales, apporte une apparence de cohérence à l’errance de la démarche créatrice. Un ensemble de préceptes peut avoir valeur de programme opératoire pour un artiste. (16)

I.6.1.2. Les mots dans la conception:

Si l’on peut s’interroger sur des notions qui lèvent un coin du voile sur le travail de l’architecte, comme nous venons de le faire à propos des mots idée, perception, usage, système et discours, ce serait une autre chose encore que d’analyser l’impact de mots courants dans le travail de l’architecte. Car l’architecte s’imagine également l’architecture du projet au moyen de mots. Il

46

nommera tel cercle : place, tel polygone : amphithéâtre, etc. … il lui arrivera de parler d’escalier avant même d’en faire le dessin.

De même, le langage peut intervenir dans la conception sous la forme du récit qui se place à côté du programme, parallèlement à lui. Autant de modalités d’existence du langage dans le travail de conception qui nécessitent, pour en élucider la signification, d’en faire un objet d’étude donc de discours, c'est-à- dire d’adopter un point de vue métalinguistique.

Comme nous pouvons le constater, s’interroger sur l’architecture peut entrainer très loin de l’espace construit, l’espace architectural. Cela peut amener à réfléchir sur les discours, les écrits, les mots. Car l’architecture n’est pas seulement une chose construite. Avant de l’être, elle relève d’un travail complexe qui est celui de l’architecte et qui en définit le champ de compétence propre : concevoir. (17)

I.6.2. L’Oral:

Le dialogue de l’Architecte Mies van der Rohe avec son client de la maison Tugendhat, est raconté de la manière suivante par H. A. Simon : « je demandais un jour à Mies van der Rohi, Alors mon collègue de faculté à l’institut de technologie de l’Illinois, comment il avait eu l’occasion de construire la maison Tugendhat, une conception moderne sensationnelle à l’époque de sa construction. Le futur propriétaire était venu voir Mies après avoir vu quelques-unes des maisons tout à fait conventionnelles qu’il avait conçues autre fois aux Pays-Bas, alors qu’il était encore un débutant. « Le client n’était-il pas choqué, demandai-je, quand tu lui présentas ton projet de verre et de métal ? » « Si », me dit Mies van der Rohi en regardant le bout de son cigare d’un air pensif, « il ne fait pas très heureux. Mais nous fumâmes alors quelques bons cigares,….. Et nous bûmes quelques verres d’un bon vin du Rhin …. Et alors il commença à l’aimer beaucoup ». Dans cet espèce de dialogue supposé entre un architecte et son client, quelque chose d’indicible est à la fois exprimé et communiqué.

Aux situations relatives aux positionnement ou aux rôles des acteurs au sein d’un processus de conception toutes choses qui viennent d’être abordées par la plupart des exposés de la journée, viennent s’adjoindre la nécessité de

47

considérer, d’une part, les questions soulevés par les comportements de ces mêmes acteurs au sein de processus d’échange d’information et, plus largement, de communication et, d’autre part, les modalités mêmes de l’échange et de la communication entre ces acteurs.

Sans préjuger des comportements des acteurs, je voudrais m’attarder ici sur les modalités de l’échange et de la communication entre acteurs et envisager trois aspects clefs de cet échange inscrit dans un contexte d’action. (18)

I.6.3. L’Image:

« Nos pères n’ont construit leurs cabanes qu’après en avoir conçu l’image » Etienne-Louis Boullée

« L’image est comme une mesure de la réalité.» Ludwig Wittgenstein

On ne peut chercher à comprendre la conception architecturale sans passer peu ou prou par un questionnement relatif aux images, les quelles sont nombreuses, et de catégories si diverses qu’il faudrait poursuivre un questionnement d’ordre sémiotique pour mieux cerner ce qui s’y joue de la conception, que l’en entende celle-ci comme processus cognitif ou comme processus social, mettant en jeu divers acteurs communiquant entre eux à propos d’images, sur des images ou par des images. Mon propos visera cependant à montrer, en même temps que la nécessité de l’approche sémiotique, la nécessité non moindre d’associer à une telle approche ce qui fait des images en architecture une particularité qui leur est propre, savoir qu’elles ont fonction d’embrayage, concept posé comme central par l’architecturologie, en d’autres termes je m’acheminerai vers l’idée d’une sémiotique architecturologique. (19)

I.6.3.1. Des images stimulantes:

Si l’architecte peut percevoir, dans l’espace construit, la logique de conception des édifices, il peut également percevoir ailleurs des images et des signes qui non seulement informeront sa production à venir, mais encore susciteront cette production.

48

Qu’une attitude réceptive porte en elle un potentiel productif est un phénomène désormais connu. Dans le domaine de l’architecture, un architecte comme Venturi a souligné l’impact des images sur le projet. R. Barthes (1973), dans le champ littéraire. A souligné le lien entre lecture et écriture : « il y a une ouverture de la lecture (…) c’est si l’on peut dire celle de l’écriture. (…) la lecture est véritablement une production : non plus d’images intérieures, de projection, de fantasmes, mais, à la lettre, du travail : le produit consommé est retourner en production, en promesse, en désir de production (…) ». Les images lues dans l’espace construit, mais aussi l’acte même de leur lecture sont potentiellement générateurs pour le projet. Il convient d’ailleurs, à cet égard, d’insister sur la diversité des images ou signes pouvant potentiellement être perçus de manière stimulante pour la conception. D’un architecte à un autre, non seulement de l’inspiration mais, au de la, de perspective effectives de conception. (20)