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CHAPITRE 1. QUELLES TRANSFORMATIONS DE L’ESPACE DES SOINS PRIMAIRES AU

II. Les soins primaires, un espace de pratiques sociales et professionnelles en pleine

II.2. Un objet médico-politique émergent pour repenser et transformer les soins

« L’expérience acquise au cour des dernières décennies pourra permettre, dans un proche avenir, de développer à grande échelle un exercice médical nouveau, l’exercice de la médecine en équipe médicale pluridisciplinaire. Cette forme d’exercice, tout en répondant pleinement à

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Mandin, F., 2013. Politique d’accès aux soins et conditions d'exercice de la médecine libérale : le contrat d'engagement de service public. Revue de droit sanitaire et social, (4), pp.591–598.

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Borgetto, M., 2013. L’exercice de la médecine face aux mutations du modèle libéral. Revue de droit sanitaire et social, 4, pp.573–574.

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l’attente des malades et des médecins, permettra une maîtrise des dépenses de santé, sans limiter d’aucune façon la réponse aux besoins modernes de santé » (Calisti & Rey 1977)355

Cette prise de position ne déparerait pas dans le paysage actuel de promotion d’un renouveau des soins primaires appuyé sur un exercice regroupé. Elle date pourtant d’il y a presque 40 ans, sous la plume d’un animateur du mouvement mutualiste de santé. Depuis lors, des pratiques de médecine en équipe, ou en cabinet dit de groupe ont vu le jour sous diverses formes, toujours à petite échelle, voire « institutionnalisées sous des formes dégradées » (Bourgueil, 2008), jusqu’au récent développement d’ampleur nettement plus grande de maisons et pôles de santé. Le président de la Fédération française des maisons et pôles de santé estime fin 2014 à 10% la part des professionnels de santé exerçant dans des structures d’exercice regroupé en soins primaires (en maisons, pôles et centres de santé), et pronostique son doublement d’ici un an au vu du nombre de créations de MSP annoncé356.

L’essor récent d’un exercice regroupé pluriprofessionnel libéral en soins primaires se présente comme une tentation récurrente dans le mouvement d’innovation sociale qui a accompagné en France la transition épidémiologique et l’essor des maladies chroniques. Il importe de situer le mouvement récent par rapport aux expériences plus anciennes, qui dessinent une géographie physique, sociale et politique particulière, et où la coopération et la prévention occupent une place singulière ; le rejet politique de ces expériences ayant paradoxalement induit la relégation simultanée et l’occultation des pratiques coopératives ou préventives.

II.2.1. D’une médecine « solitaire » vers une médecine coordonnée et partagée357 : aléas multiples et irrésistible invention d’une médecine sociale et regroupée dans des centres de santé

La médecine sociale, née dans la seconde moitié du 18ème siècle (Foucault 1994)358 et inscrite dans

le courant hygiéniste, requiert de multiples collaborations entre des groupes professionnels, y compris avec les pouvoirs publics, autour d’un enjeu sociopolitique commun : traiter un problème sanitaire susceptible d’affecter la population, et en cela source possible de désordre social. On assiste alors selon Monika Steffen à la mise à l’écart, puis à l’exclusion de la médecine sociale dans son contenu comme dans ses formes institutionnelles d’exercice collectif et salarié : elle devient une médecine « résiduelle », qui renvoie à une idée de « régulation » ou à des prises de positions

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Calisti, L. & Rey, J.-F., 1977. Santé et cadre de vie, l’expérience mutualiste de Marseille, Paris: Editions sociales.

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Intervention du Dr Pierre de Haas lors de la Matinée thématique du collège des économistes de la santé sur les Maisons de santé pluri-professionnelles, à Paris, le 20 novembre 2014.

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Selon les termes utilisés par la Mutualité sociale agricole dans un document présentant les maisons de santé rurales dont elle accompagne la création.

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Foucault, M., 1994. La naissance de la médecine sociale. In Dits et écrits 1954-1988 (III 1976-1979). Paris: Gallimard, pp. 207–228.

considérées comme contestataires (dimensions que l’on retrouvera dans les centres de santé), alors même que le « dispensaire » ou le « centre de santé » pourraient constituer une réponse sélective à la crise latente de la médecine libérale. Invoquer une médecine sociale, collective ou salariée représente alors soit un moyen de pression pour les caisses de sécurité sociale, le patronat et les pouvoirs publics ; soit une « structure complémentaire » pour les libéraux ; une structure d’accueil pour les « nouveaux médecins » d’une profession en crise ; ou encore pour les forces politiques de gauche, un outil pour changer la politique de santé (Steffen 1983)359.

II.2.2.1. De la fin du 19ème siècle jusqu’en 1960 : une expérimentation foisonnante dans des zones

défavorisées (dispensaires municipaux, centres de santé mutualistes…) mais sans postérité.

Les premiers « dispensaires », apparus au 17ème siècle à la confluence entre hygiénisme, assistance sociale et charité (Pinell & Steffen 1994)360, prennent un certain essor à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, dans le contexte de montée en puissance des communes. Ils visent à

répondre, dans des territoires défavorisés, aux insuffisances de l’offre de médecine libérale et à l’inaccessibilité de la médecine hospitalière pour toute une frange de la population (Le Corre 1999)361). Initialement destinés aux plus démunis et à ceux qui bénéficient de l'assistance médicale gratuite mise en place en 1893, ils sont ouverts par la suite à toute la population, posant rapidement à la médecine libérale, une question mal résolue de concurrence.

Un conventionnement des dispensaires avec les caisses de sécurité sociale est mis en place à partir de 1930, à des tarifs toutefois inférieurs à ceux de la médecine privée. A partir de 1945, où sous l’impulsion du socialisme et du communisme municipal, des dispensaires municipaux sont créés dans les villes ouvrières de la région parisienne, ces structures parviennent à se défaire en partie de l’étiquette d’assistance sociale qui leur est associée pour s’inscrire dans la réponse à un « droit de la santé ». Leurs médecins chefs se regroupent pour créer en 1946 le Syndicat national des médecins de dispensaires, qui adhère à la Confédération syndicale des médecins français (CSMF). Cependant les syndicats et l’Ordre des médecins libéraux restent hostiles aux dispensaires, les accusant de « concurrence déloyale », et les pouvoirs publics gardent une position ambiguë à leur égard, facilitée par l’absence de textes régulant leur activité. En 1951 on dénombre 96 dispensaires en France, dont 54 dans les 80 communes suburbaines de la Seine. Autour de quelques figures, comme celle de Jean- François Rey, médecin chef du Centre médical social du Blanc Mesnil, et Jean Reigner à sa suite, la réflexion s’organise entre les médecins des dispensaires, qui optent à partir de 1950 progressivement pour l’appellation de « Centres de santé », porteuse d’un projet politique correspondant à celui des centres médico-sociaux municipaux de la région parisienne : un modèle reposant sur des relations étroites entre les maires et les médecins-chefs, et où l’intégration des fonctions de soins, de prophylaxie, de prévention, de réhabilitation a été objectivement recherchée » (Le Corre 1999 : 21).

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Steffen, M., 1983. Régulation politique et stratégies professionnelles : médecine libérale et émergence des centres de

santé, Thèse de doctorat de science politique, Université des sciences sociales de Grenoble.

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Pinell, P. & Steffen, M., 1994. Les médecins français, genèse historique d’une profession divisée. Espace social européen, (258), pp.41–55.

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L’histoire des dispensaires relatée ici s’appuie sur le travail historique de J. Le Corre publié en 1999 dans un numéro spécial de la revue Prévenir, intitulé « Les centres de santé, missions et pratiques ».

En 1952 est créé le Comité de liaison des dispensaires et centres de santé, en 1954 la revue « Le centre de santé », et à partir de 1961 se met en place un Congrès national des médecins de dispensaires et centres de santé, sur un rythme annuel.

Ces instances permettent de faire converger la réflexion avec celle d’autres modèles de centres, aux statuts mutualistes, associatifs ou congréganistes, qui se sont développés simultanément. La réflexion du mouvement mutualiste a notamment connu en parallèle des développements importants. En effet, les Mutuelles, dès la fin du 19ème siècle, avaient commencé à organiser la

distribution de soins médicaux à leurs adhérents sur la base d’une rémunération des professionnels de santé à la fonction (Calisti 1999)362. La modification du statut juridique de la Mutualité en 1945 lui permet de s’investir dans son rôle complémentaire de la sécurité sociale, tant pour la prise en charge des dépenses de santé que pour la distribution des soins. Ainsi l’article premier du code de la Mutualité indique : « Les sociétés mutualistes sont des groupements qui, au moyen des cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité ou d’entraide, visant notamment 1) la prévention des risques sociaux et la réparation de leurs conséquences ; 2) l’encouragement de la maternité et la protection de l’enfance et de la famille ; 3) le développement moral, intellectuel et physique de leurs membres » (cité par Calisti 1999 : 32). L’Union départementale mutualiste des travailleurs des Bouches-du-Rhône (UDMT) constitue un exemple inédit du développement de la médecine d’équipe qui a pu avoir lieu dans certaines régions : elle soutient un cabinet médical pluriprofessionnel créé en 1936 par la Mutualité des travailleurs, puis investit dans la Polyclinique de la Feuilleraie créée par une équipe pluridisciplinaire médicale en 1956 à Marseille, et va jusqu’à gérer en 1977 à la fois cette Polyclinique, 7 maisons médicales, 2 centres dentaires, un centre de Protection maternelle et infantile, un magasin d’optique et 2 centres sociaux (Calisti & Rey 1977). Dans l’exercice de la médecine d’équipe des centres mutualistes, les médecins impliqués expriment leur attachement à toutes les caractéristiques fondamentales de la médecine libérale traditionnelle, à l’exception du paiement à l’acte, défendant au contraire l’intérêt du paiement à la fonction pour exercer une médecine « lente ». Ils revendiquent une « pratique d’équipe » qui, sur le plan médical, facilite l’accès du patient aux spécialistes et à des avis collectifs363, améliore l’organisation de l’activité professionnelle et extra-professionnelle pour les médecins, et facilite l’enseignement post- universitaire, toutes thématiques que ne renieraient pas leurs confrères en 2014. Sur le plan de l’organisation administrative, ce travail d’équipe s’appuie sur une coopération étroite entre responsables élus du mouvement, administrateurs et médecins, pour une gestion toujours singulière, tentant de s’adapter aux besoins et contraintes locales. Poursuivant l’objectif tout autant actuel de dépasser « la dichotomie fondamentale entre médecine de prévention et médecine de soins » (Ibid: 25) et d’« intégrer la prévention, dans sa conception la plus large et la plus efficace, dans la pratique de santé » (ibid: 36), l’UDMT mène l’expérience de l’articulation de deux structures, une « structure technique» et une « structure humaine », que ses promoteurs décrivent comme suit :

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Calisti, L., 1999. Les centres de santé mutualistes dans les Bouches-du-Rhône (1936-1982). Prévenir, n°36 « Les centres de santé, missions et pratiques, pp. 31-37.

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Pour ses promoteurs, « la médecine de groupe apporte une première réponse et permet, à son niveau, de surmonter l’émiettement de la médecine. » De plus, il s’agit à la fois de « partager son travail » et « sur » son travail, en acceptant quotidiennement le regard de ses confrères (Calisti & Rey 1977: 22).

« La structure technique. Ce sont les maisons médicales. Celles-ci ont pris en compte tout ce qui faisait la richesse de la médecine traditionnelle, mais en l’adaptant à une pratique en équipe et à une pratique décommercialisée. Le médecin des maisons médicales de l’UDMT connaît ses malades à son cabinet, mais aussi dans leur cadre de vie social, familial et professionnel. Il est authentiquement un médecin de famille dans la cité. Son mode de rémunération lui facilite le dépassement d’une pratique médicale « en tranches » et lui permet de l’envisager toujours d’une façon globale. La pratique en équipe permet un développement des connaissances et une réflexion en commun.

A cette structure, outil technique et scientifique, s’articule une structure humaine : la société mutualiste. Celle-ci existe sur la base de la localité, des quartiers, des entreprises […]. Elle permet d’établir entre les responsables des sociétés mutualistes, ou les mutualistes en général, un dialogue avec l’équipe soignante […] par là, l’équipe soignante peut faire une approche très concrète des conditions de vie et des conditions de travail […] [Il s’agit pour] la prévention [d’être] partie intégrante de la pratique médicale et de la pratique sociale de l’UDMT ». (Ibid.: 36-37)

Cette expérience multiforme se pose comme une « expérimentation sociale » fondée sur une vision de la santé très large, proche de celle donnée par l’OMS en 1946, avec une forte dimension politique et militante, et se démarquant de la médecine « marchande ».

Elle rejoint la vision des centres de santé municipaux, construite autour d’objectifs similaires, toujours affichés aujourd’hui par certains directeurs des centres de santé : donner des soins, faciliter l’accès aux soins (et à des soins de qualité), et rechercher l’économie optimum dans ce cadre. Les caractéristiques mises en avant sont celles d’un travail en équipe, adossé à un plateau technique moderne et un dossier médical commun ; celles d’une permanence et d’une continuité des soins dans le libre choix des prestataires, avec l’application du tiers payant et le respect du tarif conventionnel ; enfin celles d’un « centre inséré dans la vie de la cité et développant des activités de prévention », correspondant à l’un des quatre modèles professionnels retrouvés et décrits au début des années 80 par Isabelle Baszanger parmi les jeunes médecins généralistes (Baszanger 1983).

II.2.1.2. De 1960 à 1980 : une médecine de marge, combattue par les syndicats de médecins, confinée à des zones particulières : les « banlieues rouges », puis les zones rurales

Les réflexions sur le modèle économique des centres de santé formalisent rapidement l’idée d’une propriété partagée de l’outil de travail, avec des projets de Sociétés d’économie mixte, reposant sur une cogestion impliquant les communes, des fonds d’action sociale de la sécurité sociale, la Caisse d’allocations familiales, des sociétés mutualistes et des sociétés civiles de médecins. Certains projets voient le jour grâce à des mobilisations et parfois des souscriptions ouvertes aux usagers et aux médecins364. L’unité de la réflexion masque les disparités importantes de formes, de gestions et de politiques de ces centres et dispensaires.

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C’est le cas de la Polyclinique de la Feuilleraie, née de la constitution en 1955 d’une société anonyme à personnes et capital variables. Les actions émises, achetées par des médecins et des malades, permettent l’acquisition d’un terrain et

Du fait du lobbying opposé des syndicats de médecins et de la frilosité des caisses de sécurité sociale, les centres de santé se heurtent toujours à des obstacles importants, d’ordre réglementaire et financier. Deux exemples en sont illustratifs : en 1960, lors de l’établissement des conventions départementales entre les caisses de sécurité sociale et les syndicats de médecins, un abattement des tarifs des actes médicaux de 10 à 30% est imposé aux centres de santé ; en 1971, lors de la signature de la première convention nationale entre ces mêmes acteurs, est décidée l’interdiction de subventionnement des centres de santé par les caisses sans l’accord des syndicats médicaux. La dépendance dans laquelle sont maintenus ces centres vis-à-vis du paiement à l’acte, alors même qu’ils garantissent l’accès aux soins à des populations démunies, pratiquent le tiers payant et rémunèrent en secteur 1 tous les médecins, généralistes et spécialistes, rend impossible le maintien de leur équilibre financier, qui reste à la charge des financeurs associatifs, mutualistes et communaux. Cette situation constitue également un frein au contenu même du projet puisqu’il compromet le développement des pratiques préventives et éducatives qui en sont un élément constitutif.

Les centres de santé sont alors concernés par trois catégories de pratiques préventives (Steffen 1983):

- des services publics institutionnels (comme par exemple la PMI, la médecine scolaire, des dépistages et vaccinations divers), qui peuvent s’exercer sur une base contractuelle avec les organismes publics compétents, mais sont restés longtemps entravés par l’opposition des administrations centrales à la formule « centre de santé » ;

- des activités de prévention individuelle, dépistage et conseil, dans le cadre des consultations médicales, qui se heurtent pour leur part à la tarification qui ne reconnaît pas les « consultations longues », c'est-à-dire le temps socio-pédagogique compris dans l’acte ;

- et des expériences menées auprès de groupes en fonction des problèmes de santé des sujets collectifs, à un niveau « social » (ce sont par exemple des études d’épidémiologie locale, des séances d’éducation sanitaire en groupe, une recherche de risques, une expertise médicale auprès d’autres organisations comme les syndicats ouvriers), qui ne bénéficient d’aucune source régulière de financement.

Ainsi pour ses promoteurs « la médecine préventive spécifique des centres de santé va à l’encontre des cloisonnements administratifs, elle contredit la division sociale du travail » (Steffen, 1983 : 51) et les cloisonnements administratifs entérinent la stricte séparation entre actes curatifs et actes préventifs, consacrant les divisions corporatistes. La démarche des centres de santé contredit non seulement la hiérarchie interne du système professionnel (avec une lutte entre la médecine

d’un bâtiment, et sa transformation en clinique d’hospitalisation médicale et chirurgicale et en cabinets médicaux. La création d’une association loi 1901, « Les amis de la médecine sociale », permet de salarier les professionnels de santé (5 médecins généralistes, 2 chirurgiens, 1 ophtalmologiste, 1 ORL, plusieurs médecins à temps partiel, des infirmières et des secrétaires) et de louer les locaux, le terrain et le matériel à la société anonyme. En 1962, la Mutualité des travailleurs prend la place de l’association « Les amis de la médecine sociale » et s’investit dans le projet qui devient son centre le plus important, amené à se développer fortement dans les années qui suivent.

libérale et son concurrent, le centre médical des collectivités), mais interpellent également les intérêts socio-économiques dominants, en interrogeant les problèmes d’organisation de la vie sociale (conditions de travail, de logement…), dans un contexte de crise économique.

Revendiquant la dimension politique des pratiques médicales ces projets tendent à une redéfinition des frontières du secteur médical et à une affirmation du rôle social global de la médecine. Or « paradoxalement, le projet préventif des centres de santé dépend de leur dimension curative. Cela pose des limites au pouvoir des politiques ainsi qu’aux tentatives de « démédicaliser » ou « dé-professionnaliser » les services de santé et conduit les centres de santé à demeurer des maisons « médicales » » (Ibid.: 708).

Pour Steffen, ce sont des possibilités locales qui permettent à chaque centre de santé de se développer, à l’initiative de professionnels politisés développant des alliances et promouvant un nouvel appareil politique et de gestion, qui prend une forme différente dans chaque expérience.

Le débat engagé sur le caractère alternatif ou complémentaire des centres de santé, au niveau local ou au niveau national, n’est cependant pas tranché. Les partis politiques prennent position, le Parti communiste défendant l’idée d’une pluralité de formes d’exercice et le Parti socialiste le développement du concept de « Centre de santé intégré », inspiré des Centres locaux de santé communautaires (CLSC) développés à l’époque au Québec. Mais l’accession du parti socialiste au pouvoir en 1981 ne s’accompagne pas d’un soutien franc à ce type de structures, et les expériences mises en place périclitent, à l’instar du Centre de santé intégré de Saint-Nazaire, imaginé en 1976 et fermé en 1986 (Coutant & Lacaze 1989 ; Coutant, 2008). Cet échec fait dire à Claude Evin, alors ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale, dans la préface de l’ouvrage décrivant cette expérience en 1989 : « Il nous reste à résoudre les problèmes qui étaient à l’origine de l’expérience du centre de santé de Saint-Nazaire [en 1981], qu’il s’agisse de l’évolution des dépenses de santé et des modes de financement de la médecine ambulatoire, de l’installation des jeunes professionnels de santé, notamment des jeunes médecins, ou de la mise en œuvre d’une réelle politique de prévention sur le terrain » (Coutant & Lacaze 1989)365.

II.2.1.3. 1980-1990 : Le tournant décisif des pratiques de groupe et de la santé communautaire Malgré ces difficultés, la vision péjorative des centres de santé devient moins prégnante dans le courant des années 80, marquées par au moins quatre mouvements concomitants (Garros, 2009).

Premièrement, dans le processus qui conduit à la signature de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (OMS, 1986366), une certaine vision de la « santé communautaire » se