• Aucun résultat trouvé

II. Matériel et méthode : une démarche qualitative articulant plusieurs approches

II.1. Construction problématique de l’objet d’étude

L’objet d’étude choisi se trouve doublement à risque, premièrement par son inscription dans un parcours individuel dont l’influence est à prendre en compte, et deuxièmement par l’actualité dans laquelle il se situe, à la croisée d’enjeux politiques, professionnels et académiques.

II.1.1. Déjouer les risques d’un questionnement inscrit dans un parcours individuel

Dans une démarche qui se veut réflexive, la description de mon parcours met en évidence mon apport à la construction de cet objet de recherche. Mon point de vue est celui d’un acteur (une actrice) du champ de la prévention et d’un(e) chercheur(e) en santé publique et en sciences sociales, doublement intéressée à ce que ce domaine de pratiques et ce domaine de recherche se développent.

Ce projet de recherche s’inscrit dans mon parcours de formation initiale en médecine, spécialisé en santé publique autour des questions de prévention et d’éducation en milieu de soin.

Lors de mes études de médecine, j’ai été particulièrement interpellée par les pratiques éducatives innovantes proposées aux patients dans un service de diabétologie, fondamentalement différentes de la pratique du soin que j’observais dans la plupart des autres services du centre hospitalo- universitaire où je faisais mes études. J’ai choisi de me former à la santé publique, avec pour objectif de prendre pour objet de recherche ces pratiques éducatives en décalage avec la formation médicale reçue (Lefève & Mino 2011)22. Soucieuse d’interroger la posture médicale dans la relation de soin, dont je percevais les tensions - entre intérêt individuel et intérêt collectif, entre culture médicale et culture profane, ou encore vis-à-vis d’une santé à la fois publique et privée - la formalisation émergente d’une démarche dite « éducative » en santé, encore peu définie, m’intéressait en tant que possible lieu de dialogue - entre patient(s) et soignant(s), entre usagers et institutions - semblant porter en germe une remise en cause du modèle traditionnel médical auquel j’avais été formée.

Mon expérience professionnelle en santé publique a débuté au Ministère de la santé à la fin des années 1990, au moment où la question de l’« éducation du patient » (selon les termes de l’époque) était mise à l’agenda politique par le Professeur Joël Ménard, alors directeur général de la santé. Cette expérience s’est prolongée au sein du Comité français d’éducation pour la santé puis de l’Institut national de santé publique (INPES) qui lui a succédé en 200223. Ces positions

22

Lefève, C. & Mino, J.-C., 2011. Former de vrais thérapeutes. La place des sciences humaines et sociales dans les études de médecine. Etudes, 2(414), pp.187–198.

23

professionnelles m’ont amenée à participer à divers travaux éclairant le développement de pratiques préventives et éducatives dans les soins, d’abord en milieu hospitalier, puis dans des réseaux et plus récemment en soins primaires.

J’ai notamment été impliquée dans des recherches ayant pour objectif de décrire et analyser les pratiques préventives et éducatives développées par des professionnels de santé, auprès d’une diversité de publics et dans des lieux de soin variés24. En raison d’une formation parallèle en

sociologie, une part importante de ces travaux a fait appel à des approches qualitatives issues des sciences sociales, qui apparaissent particulièrement utiles pour questionner le développement de pratiques sociales émergentes ou en transformation. Prise dans l’action de santé publique, j’ai également participé à des travaux qui visaient à soutenir la reconnaissance et la structuration des pratiques éducatives25.

En tant que témoin et actrice depuis une vingtaine d’années de certaines évolutions de la médecine et du système de santé, j’ai observé, d’une part, que malgré la reconnaissance législative des pratiques éducatives tournées vers les personnes atteintes de maladies chroniques (sous le terme d’éducation thérapeutique du patient, ou son acronyme ETP), leur portée réformatrice restait limitée et leur potentialité « subversive » s’exprimait peu dans les pratiques ; d’autre part, que le développement de la prévention « en général » et de la « promotion de la santé » en particulier restaient difficiles dans le système de santé français en dépit des discours récurrents sur leur nécessité (IGAS 2003; SFSP 2014a)26.

Porteuses en germe d’un nouveau paradigme de la santé - que certains auteurs promeuvent27

(Bury 1988; Sandrin-Berthon 2000)28, tandis que d’autres en dénoncent le caractère utopique ou

24

Parmi ces travaux figurent deux enquêtes nationales quantitatives sur l’éducation du patient dans les établissements de santé français, en 1998-1999 et en 2007 (Fournier 2001b; Fournier & Buttet 2008) ; une recherche qualitative sur les enjeux autour du développement de l’éducation du patient en France (Fournier, Pélicand, et al. 2007), deux enquêtes nationales quantitatives de type « Baromètre santé » auprès de 2 000 médecins et 1 000 pharmaciens en 2004 et 2 000 médecins en 2009 » (Buttet & Fournier 2005; Fournier et al. 2011) ; une enquête quantitative auprès de 9 000 personnes diabétiques et de leurs médecins (Fournier, Gautier, et al. 2009; Fournier, Gautier, et al. 2014) ; une enquête qualitative auprès d’associations de patients atteints de maladies chroniques sur leurs besoins et attentes dans le champ de la prévention et de l’éducation pour la santé (Labalette et al. 2007) ; deux enquêtes qualitatives sur les pratiques éducatives auprès des patients diabétiques - en 2000 dans 3 services hospitaliers puis en 2001-2002 (Fournier 2001a), dans 10 lieux de prise en charge (services hospitaliers, réseaux, structure paramédicales d’aide à l’éducation et association de patients) (Fournier, Jullien-Narboux, et al. 2007)(Fournier, Jullien-Narboux, et al. 2007).

25

Contribution à l’élaboration du « Plan National d’Education pour la Santé » (Secrétariat d’état à la santé, 2000) ; contribution à l’élaboration du « Plan national d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques » (Ministère de la santé et des solidarités, 2005) ; participation à l’élaboration de recommandations de pratiques cliniques sur les « stratégie d’aide au choix en matière de contraception » (Anaes et al. 2004) et d’un guide méthodologique sur l’« éducation thérapeutique du patient » (HAS & INPES 2007) ; contribution au Rapport du Haut comité de la santé publique sur « L’éducation thérapeutique du patient intégrée aux soins de premier recours » (HCSP 2009a).

26

IGAS, 2003. Santé, pour une politique de prévention durable. Rapport annuel, Paris: La Documentation Française. SFSP, 2014. Pour une stratégie de prévention articulant la santé dans toutes les politiques, la promotion de la santé et les pratiques cliniques préventives, intégrée à la Stratégie nationale de santé. Propositions. Rapport de la Société française de santé publique, Laxou : SFSP.

27

Jacques Bury met en évidence la transformation progressive à la fin du 20ème siècle d’une conception biomédicale de la santé vers une conception bio-psycho-sociale. Cette transformation passe pour Brigitte Sandrin-Berthon par une « triple révolution » selon laquelle le patient n’est plus « passif » dans la relation de soins mais au contraire « acteur de sa santé »,

fictif29 (Sfez 1995; Pinell 1999)30, les pratiques préventives et éducatives peinent notamment à se

développer en milieu de soin, dans un système peu enclin à s’emparer de problématiques de santé, et où les faiblesses et difficultés d’organisation de la coopération entre les professionnels dans les prises en charge tant sanitaires que médico-sociales et sociales (Hénaut & Bloch 2014)31 génèrent de nombreux freins.

Après avoir étudié les transformations qui accompagnaient le développement de pratiques éducatives (ETP) en milieu hospitalier ou dans des réseaux de santé, je souhaite ici comprendre comment des pratiques éducatives « élargies » (c’est-à-dire pas seulement centrées sur la prise en charge de la maladie advenue (ETP), mais aussi sur la prévention primaire et secondaire de sa survenue) prennent place en soins de premier recours (point d’entrée dans le système de santé français), à un moment de forte instabilité de ceux-ci. Une grande diversité de causes peuvent être repérées comme à l’origine simultanée de cette instabilité actuelle : évolutions des besoins des usagers (vieillissement, accroissement des maladies chroniques et des polypathologies liées à des comportements évitables, inégalités sociales…) ; situation démographique des professionnels de soins primaires délicate, voire critique dans certains territoires ; tentatives de réorganisation et d’évolution portées par des professionnels en réaction à une transformation des interventions régulatrices de l’Etat et de l’Assurance maladie, à la fois au niveau national, régional et local.

La réalisation d’une thèse de santé publique en sciences sociales vient ainsi prolonger mes travaux antérieurs et me permet d’aborder des questions cruciales pour comprendre comment aujourd’hui le système de santé français se transforme, notamment dans – et par – ses dimensions préventives et éducatives, et pour nourrir le débat en cours sur les réorientations qu’il serait nécessaire de lui imprimer pour qu’il offre une meilleure réponse aux besoins de la population.

Ce travail a été rendu possible par la conjonction de plusieurs opportunités : la proposition faite par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) de m’intégrer à l’équipe de recherche PROSPERE32, pour contribuer avec une approche qualitative aux projets

quantitatifs engagés par cette équipe ; l’acceptation par une directrice de recherche du CERMES3 d’encadrer ce travail dans le cadre d’une thèse de doctorat de santé publique, option sociologie ; et le financement de ce projet de thèse par l’INPES au travers d’une subvention de recherche attribuée à l’Inserm pour le CERMES3.

l’objectif n’est plus de lutter contre la maladie mais de promouvoir la santé, et où la démarche de prescription laisse place à une démarche d’éducation.

28

Bury, J.A., 1988. L’éducation pour la santé. Concepts, enjeux, planification, Bruxelles: De Boeck Université. Sandrin-Berthon, B., 2000. L’éducation thérapeutique au secours de la médecine, Paris: PUF.

29

voir l’utopie de « la santé parfaite » dénoncée par Lucien Sfez et la fiction de l’« homo medicus » décrite par Patrice Pinell à travers les premières campagnes de lutte contre le cancer en France.

30

Sfez, L., 1995. La santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, Paris: Le Seuil.

Pinell, P., 1999. Du patient à l’acteur : le malade et la division du savoir médical. Environnement et société, (23), pp.65–73.

31

Hénaut, L. & Bloch, M.-A., 2014. Coordination et parcours. La dynamique du monde sanitaire, social et médico-social, Paris: Dunod.

32

L’équipe PROSPERE (Partenariat pluridisciplinaire de recherche sur l'organisation des soins de premiers recours) a été reconnue et financée entre 2009 et 2013 en tant qu’équipe émergente dans le cadre d’un appel à projets de l’Institut de recherche en santé publique (Iresp).

L’évolution de ma manière d’appréhender les pratiques éducatives proposées aux patients, peut être analysée de la façon suivante : mon questionnement s’est déplacé d’un objet dont s’était emparé le monde médical à la fin du 20ème siècle (l’ETP), perçu parfois comme permettant de

repenser la relation médecin patient, dans une approche tendue entre entreprise de morale et soutien à l’émancipation (Pélicand et al. 2009)33 ; vers un objet dont s’est emparé le monde de la santé publique (la prévention et les pratiques éducatives comprenant l’ETP), permettant plus largement de repenser la relation Etat - assurance maladie - professionnels - usagers (et en soins de premier recours, la relation entre les usagers et les professionnels constituant la première entrée dans le système de santé). Si l’approche de ce second objet conserve les tensions du premier (Demailly 2013)34, elle s’inscrit aussi dans les tensions qui s’exercent entre contrôle social, responsabilité individuelle, médicalisation et démocratie sanitaire (Foucault 1997; Berlivet 2004; Berlivet 2011)35.

Afin d’adopter une position distanciée vis-à-vis de cet objet de recherche, je mobilise une approche critique de la santé publique, telle que celle proposée par Jean-Pierre Dozon et Didier Fassin, qui définit et étudie la santé publique en tant que phénomène culturel et qui s’interroge « moins sur les bienfaits et les périls de la santé publique que sur les conditions de sa mise en œuvre, les logiques qui la sous-tendent et les effets qu’elle produit » (Dozon & Fassin 2001: 348)36,37, en particulier dans l’espace social des soins primaires.

Quant à la manière de regarder le système de santé, je choisis - en m’appuyant sur les perspectives interactionnistes ouvertes par Anselm Strauss (Strauss 1992)38, puis en cherchant à

suivre l’incitation de Marianne Binst et François-Xavier Schweyer à « changer d’optique » et à dépasser la conception normative et juridique de son fonctionnement, prédominante en France - de m’intéresser essentiellement aux équilibres microsociaux, aux « arrangements négociés entre les professionnels de santé (pris au sens large, c’est-à-dire les médecins, les soignants, les diverses professions paramédicales, mais aussi les gestionnaires des établissements de soins, les tutelles et les représentants de l’assurance maladie, arrangements à l’échelon d’une ville ou d’un secteur sanitaire […], déterminants dans une perspective de maîtrise des dépenses » (Binst et Schweyer, 1994 : 2)39.

33

Pélicand, J., Fournier, C. & Aujoulat, I., 2009. Observance, auto-soin(s), empowerment, autonomie : quatre termes pour questionner les enjeux de l’éducation du patient dans la relation de soins à travers l’éducation du patient. Sous chacun de.

Actualité et dossier en santé publique, pp.21–23.

34

Demailly, L., 2013. La santé : affaire privée ? affaire publique ? De la domination dans la santé à la domination par la santé. Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 8(277).

35

Foucault, M., 1997. « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France 1976, Paris: Gallimard.

Berlivet, L., 2004. Une biopolitique de l’éducation pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention. In D. Fassin & D. Memmi, eds. Le gouvernement des corps. Paris: Editions de l’EHESS, pp. 37–75.

Berlivet, L., 2011. Médicalisation (numéro spécial). Genèses, sciences sociales et histoire, 82(1).

36

Dozon, J.-P. & Fassin, D., 2001. Critique de la santé publique. Une approche anthropologique, Paris: Balland.

37

Plus largement, on souhaite « moins s’interroger sur les dangers de l’idéologie ou les insuffisances de l’utopie dont on accuse tour à tour la santé publique que sur la signification du transfert symbolique et politique qui s’opère aujourd’hui sur les objets sanitaires » (Dozon & Fassin 2001: 349).

38

Strauss, A.L., 1992. La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, Textes réunis et présentés par Isabelle Baszanger I. Baszanger, ed., Paris: L’Harmattan.

39

Cette auto-socioanalyse concerne ma position théorique vis-à-vis de l’objet étudié, je précise plus loin ma position au cours de la recherche et en quoi celle-ci a pu influer sur les analyses menées.

II.1.2. Déjouer les risques d’une actualité prégnante de l’objet étudié : resserrer le questionnement à la croisée d’enjeux multiples

Le titre déposé lors de l’inscription en thèse : « En quoi l’exercice regroupé en soins de santé primaires favorise-t-il la mise en œuvre de pratiques de prévention et d’éducation ? » disait fortement le souci d’opérationnalité souhaité par les multiples acteurs politiques et professionnels engagés dans ces nouveaux processus et dans le déploiement de pratiques nouvelles.

La construction problématique de l’objet d’étude a dû composer avec des enjeux multiples, ceux d’un agenda d’actualité lié à la réforme de santé et à l’élaboration récente d’une Stratégie nationale de santé, et ceux d’un pragmatisme éclaté à l’intersection d’univers distincts : dans le domaine académique, mais aussi dans le domaine professionnel, marqué en particulier par une profession (la médecine générale) en situation de doute.

II.1.2.1. Un enjeu d’actualité : une mise sur agenda politique affirmée

A un moment où est soulignée avec de plus en plus de force la nécessité du développement, dans le système de santé français, de pratiques préventives et éducatives, et où parallèlement une réflexion est engagée sur la réorganisation du système « de premier recours », il y avait une certaine pertinence à tenter d’associer ces deux aspects, ce qui m’a conduit à formuler l’hypothèse que des pratiques de prévention et d’accompagnement pourraient être développées plus facilement dans le cadre de lieux d’exercice dit « regroupé », comme les maisons de santé pluriprofessionnelles dont le nombre va croissant depuis quelques années, que dans les conditions d’exercice « dispersé » aujourd’hui majoritaires.

II.1.2.2. Un enjeu pragmatique à l’intersection d’univers distincts

Au fil de l’analyse bibliographique menée pour la thèse, et des avancées liées aux enquêtes de terrain, il s’est avéré nécessaire, pour soutenir et explorer cette hypothèse, d’analyser d’abord et plus largement comment les pratiques de soins de premier recours se construisent et de quelle manière elles peuvent se transformer, induisant un déplacement et un élargissement de la démarche entreprise en direction des nombreux débats traversant l’exercice médical et en particuliers les pratiques de soins primaires.

Selon Stéphane Beaud et Florence Weber, toute question de recherche se décline différemment selon les « univers » dans lesquels un chercheur en sciences sociales doit naviguer (Beaud & Weber 2010 : 34-35)40 : notamment ici entre « l’univers politico-médiatique » (celui de la demande sociale,

où l’on s’intéresse à des thèmes), « l’univers académique » (on l’on s’empare de sujets) et « l’univers du terrain » (où l’on construit un objet à tester empiriquement). Concernant un objet de recherche

40

tel que celui-ci, très fortement positionné et questionné dans chacun de ces univers, il a été indispensable d’effectuer un travail de traduction et de sélection des problématiques existantes d’un univers à l’autre.

a) Dans l’univers politico-médiatique, le thème qui intéresse mon objet d’étude est celui du renouveau des soins primaires, et en particulier de la place possible de la prévention dans les pratiques de soins primaires. La question politique est de savoir comment favoriser ce renouveau des soins primaires en accroissant leur dimension préventive, dans un contexte où ce renouveau doit pouvoir répondre à un certain nombre de difficultés rencontrées par les usagers, les professionnels de santé et les personnels politiques (accroissement du besoin de soin et de santé, réponse inadaptée et non régulée dans un contexte de crise de la démographie des professionnels et de dépenses non soutenables pour le système solidaire de protection sociale). Ce thème s’inscrit dans une approche plus large, que l’on peut qualifier de « santé publique »41, qui porte le projet d’un

renouveau du système de santé dans plusieurs dimensions décrites par Bertrand Garros (Garros 2009) : la transition d’un système curato-centré vers un système prévento-centré, d’un système hospitalo-centré vers un système ambulo-centré, et d’une logique structuro-centrée vers une logique centrée sur le patient, à laquelle on pourrait ajouter la transition d’une logique individu-centrée vers une logique centrée sur une population, liée à un territoire, et encore d’une approche centrée sur la lutte contre la maladie vers une approche centrée sur la promotion de la santé. Derrière cette transition, plus ou moins rêvée ou idéalisée, opère toute une série d’intérêts - économiques, politiques, sanitaires, sociaux - qui doivent être pris en compte, et que nous décrivons dans le premier chapitre du rapport du thèse.

b) Dans l’univers académique, ce thème du renouveau des soins primaires peut être exploré à travers un ou plusieurs sujets. Il prend déjà une forme d’actualité du fait de l’émergence et du développement récent mais irrésistible d’une recherche en médecine générale longtemps inexistante en France. Par ailleurs, dans le domaine des sciences sociales, confrontées aux priorités données par les stratégies nationales de recherche et de santé récemment décrites, et en suivant les recommandations du rapport thématique de l’Alliance Athéna42, on s’intéresse ici aux « enjeux

41

En tant qu’elle constitue un domaine de pratiques. Selon la définition de l’OMS en 1952, adaptée de Winslow (1920) : « la santé publique est la science et l’art de prévenir la maladie, de prolonger la vie et d’améliorer la santé et la vitalité mentales et physiques des individus par le moyen d’une action collective concertée visant à assainir le milieu, à lutter contre les maladies qui présentent une importance sociale, à enseigner à l’individu les règles de l’hygiène personnelle, à organiser des services médicaux et infirmiers en vue du diagnostic précoce et du traitement préventif des maladies, ainsi qu’à mettre en œuvre des mesures sociales propres à assurer à chaque membre de la collectivité un niveau de vie compatible avec le maintien de la santé, l’objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité ». La santé publique se différencie de la médecine par son objet - la santé et non la maladie - et par son approche - collective et non individuelle. Cette définition reflète mal la polysémie de l’expression, à la fois réalité épidémiologique (l’état de santé d’une population), mode de gestion (caractérisé le plus souvent par l’administration étatique de la santé), domaine d’activité (correspondant à une spécialité professionnelle et institutionnelle) et champ disciplinaire (avec ses savoirs, ses règles, ses manuels, se revues, ses sociétés savantes). C’est donc un territoire vaste (il n’existe pas de limites à l’état de bien-être physique, psychique et social recommandé par l’OMS) et vague (dont il existe de nombreuses manières de cerner les contours) (Fassin & Hauray 2010).

42

L'Alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna), créée en juin 2010 par le ministère de la