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Ces écueils repérés et pris en compte, quels objectifs s’assigner ? Tout d'abord faire ressurgir des archives un ensemble d'actions. La redécouverte de ces actions éducatives permet à son tour de mettre en lumière les bases politiques. Celles-ci se montrent particulièrement stables sur la période car comme nous le verrons le projet politique repose sur la volonté de mettre en place et surtout de 66 Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Le Seuil, Collection Point Histoire, Paris 2001

défendre une République laïque, démocratique et sociale. Cette ambition nourrit un militantisme puissant parmi les acteurs. Même si nous avons affaire à des associations laïques, conduites par des membres du parti radical, de la SFIO ou bien par la suite du parti communiste, on peut véritablement parler d'une foi dans l'action entreprise. Quand on étudie les parcours et les actions de certains militants, on peut discerner une vie organisée autour de principes moraux forts. Cette mise en lumière de ces bases politiques et morales qui nourrissent l'éducation populaire laïque conduit finalement à faire ressurgir en dernier lieu des figures de militants de cette éducation populaire. Un certain nombre d'entre eux sont mis en avant dans le cadre de cette étude. Pourquoi eux et pas d'autres ? La réponse repose sur une double forme d'arbitraire. Il y a en premier lieu l'arbitraire des archives, certains militants ayant laissé plus de traces archivistiques que d'autres. La deuxième forme d'arbitraire est celle, assumée, du chercheur car certains de ces militants sont mis en avant à cause de leur trajectoire au cours de la période ou d'autres simplement en raison de l’émotion et de l’empathie que leur destin suscite.

Dans le très vaste champ d'étude que forment les associations et les mouvements d'éducation populaire à Lyon durant la période 1896-1957, il est impératif d'organiser le résultat des recherches pour pouvoir livrer au lecteur une image de ce qu'a pu être l'éducation populaire à Lyon. Cette image est bien évidemment brouillée. Comme une photographie ancienne, par endroits elle s'est effacée suite à l'action du temps, mais elle n'en demeure pas moins porteuse d'informations et elle est également révélatrice de l'ampleur des pistes de recherches qu'il reste encore à parcourir pour approfondir la connaissance sur l'éducation populaire à Lyon.

Les mouvements de jeunesse laïques d'éducation populaire et les politiques de la ville de Lyon touchent un nombre important de domaines de la société. Leur

étude nous permet de prendre conscience de la place de l'enfant et de l'adolescent dans la société française de la première moitié du XXe siècle, mais elle est aussi révélatrice de l'importance du militantisme dans les sociétés urbaines de la même période. Ce militantisme est un phénomène social majeur dans la mesure où celui-ci joue un grand rôle dans la vie des personnes impliquées. Cet engagement dans les œuvres d'éducation populaire est pour les militants une manière de mettre en application leurs principes et idéaux politiques, ce qui permet aux sentiments républicains et aux comportements civiques de pénétrer la population, en touchant les enfants et adolescents au cours de leur scolarisation.

Nous pouvons ainsi faire réapparaître une société marquée par un militantisme très important dans les populations d’employés et d’ouvriers, ce qui constitue les classes moyennes au cours du XXe siècle. Il s'agit dans ce cas de reconstruire une histoire des anonymes, celle des militants de base qui n'ont laissé que très peu de traces dans les fonds d'archives. Le travail d'Alain Corbin sur Louis-François Pinagot67 peut constituer un apport méthodologique pour l'étude. À l'instar d'Alain Corbin, il s'agit en partie de reconstruire l'histoire d'anonymes militants de l'éducation populaire. Mais contrairement à Louis-François Pinagot, les militants lyonnais de l'éducation populaire ont laissé des traces abondantes dans les archives. Il y a plusieurs raisons à cela :

- Premièrement , nos militants ne sont pas des personnes illettrées des campagnes françaises de la première moitié du XIXe siècle, mais des personnes urbaines dans la double acception du terme et instruites.

67 Alain Corbin Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d'un inconnu

- Deuxièmement les principaux acteurs trouvent une tribune où exprimer leurs opinions et leurs souhaits à travers leurs articles, tribunes et éditoriaux du

Réveil du Rhône.

- Enfin troisièmement, leur action produit des traces dans les dépôts

d'archives publiques, leurs sollicitations permanentes auprès des pouvoirs publics, que ce soit pour des subventions, des prêts de locaux ou plus simplement pour une demande de soutien moral auprès d'un élu ont généré un important échange épistolaire. L'étude de leurs actions et de leurs motivations est finalement un moyen de connaître l'état d'esprit d'une partie de la population d'une des plus grandes agglomérations françaises pendant la première moitié du XXe siècle. Nous avons là un aperçu d'une partie de l'opinion publique sous la IIIe République et comprenons certaines pratiques sociales qui lui sont liées et se sont maintenues jusqu'à la fin des années 50.

La chronologie précédemment mise en place montre les évolutions de l'éducation populaire, mais son analyse montre aussi qu'un certain nombre de thèmes sont récurrents dans le discours des militants. Ces thèmes que nous avons déjà vus comme la défense de la République, la formation de citoyen et les questions d'hygiène publique, sont régulièrement réactivés en fonction des circonstances.