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La formation du citoyen est un des objectifs de l’éducation populaire. Dans un premier temps, avant la première guerre mondiale, il s’agit de développer le sentiment républicain dans la population. Après 1918 et jusqu’à la fin de la période étudiée, le but est de lutter contre les influences sur la jeunesse des mouvements jugés antidémocratiques. Le contexte local qui permet d’illustrer cette vision de l’éducation populaire est marqué par l’influence d’Édouard Herriot sur la vie politique et associative dans la ville de Lyon. Si aujourd’hui la personnalité politique d’Herriot semble un peu oubliée du grand public, il fut durant l’entre deux guerres un personnage politique de tout premier plan. De

plus, il occupa pendant 50 ans la place de maire de Lyon, ce qui lui laissa le temps de marquer profondément la ville.

Édouard Herriot devient maire de Lyon en 1905, il est jeune (33 ans) pour une ville de la taille de Lyon et, en tant que professeur, il accorde beaucoup d’importance aux questions liées à l’enseignement et à l’éducation. Édouard Herriot, qui est un homme politique dont la carrière débute à la charnière des XIXe et XXe siècles, joue, bien évidemment, un rôle prépondérant dans le développement de l’éducation populaire à Lyon dans la première moitié du XXe siècle. Le souvenir indirect de la Seconde République et l’analyse faite de l'échec de cette dernière dans les milieux républicains ont contribué à forger ses convictions. Pour les républicains, on l'a dit, cet échec est lié au manque d’instruction de la population qui a porté au pouvoir Louis Napoléon Bonaparte. Herriot adhère à l’idée que l’émancipation du peuple passe obligatoirement par l’instruction de tous. Il déclare, dans ses mémoires Jadis, que son modèle est l’école décrite dans le rapport Condorcet. Sa politique scolaire s’inspire donc de cet ensemble d’idées en circulation dans les milieux républicains des années 1880-1890, période qui correspond à sa formation politique et universitaire. Ce programme peut être résumé par cet extrait du discours de Georges Beauvisage lors d’une remise des prix46

" L'éducation, a dit Legouvé, est l'art d'apprendre à nos enfants à se passer de nous." Cette belle formule résume bien l'esprit de l'éducation laïque ; elle a été résumée elle-même par notre éminent recteur de l'académie de Lyon, M. Gabriel Compayrè, en une définition d'une concision lapidaire : « C'est l'enseignement de la liberté. » Ailleurs, dans les écoles qui ne sont pas laïques, on adopterait plus volontiers, sans l'avouer trop haut une formule inverse qui serait : "L'éducation est l'art d'apprendre aux enfants des autres à ne pas pouvoir se passer de nous". C'est l'enseignement de l'esclavage.

Plaignez les pauvres enfants qui sont livrés aux mains de tels maîtres et qui sont menacés de ne jamais savoir ce que c'est que la liberté, c'est-à-dire le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ou l'exercice de leurs droits naturels définis par la Déclaration des Droits de l'Homme. "

46 Discours prononcé à la distribution des Prix des Écoles primaires de Filles du 3e

arrondissement de Lyon, le 28 juillet 1900 par le docteur G. Beauvisage, adjoint au maire de Lyon.

L’idée d’éduquer la population n’est pas exprimée nettement, mais l’aspect politique est clairement admis et affiché. Il s’agit de former de futurs citoyens pour assurer la stabilité de la République. Pour Georges Beauvisage47 , le projet éducatif et le projet politique ne font qu'un :

« En nous efforçant ainsi de faire de nos jeunes auditeurs des hommes éclairés, indépendants et libres, nous travaillerons utilement à compléter l’œuvre, forcément imparfaite, de l’école primaire laïque et à préparer, pour l’avenir de notre démocratie, une génération nouvelle supérieure à la précédente, mieux armée pour les luttes de la vie, capable de collaborer utilement au progrès de la société moderne en général et de la République française en particulier ».

Cette idée est exposée avant même que se pose la question de l’embrigadement de la jeunesse par les mouvements politiques totalitaires. Elle réapparaît dans les écrits et discours des militants pendant les périodes de crise politique, que ce soit à la fin de la première guerre mondiale avec la crainte de la contagion révolutionnaire ou lors de la deuxième moitié des années trente avec la montée des mouvements fascisants. L’expression « éducation populaire » apparaît dans les discours des militants laïques de Lyon après le 6 février 1934 ; il s’agit alors de mettre en place un programme d’éducation de la population pour faire barrage au fascisme.

Cet aspect politique des actions d’éducation populaire est clairement affiché dans les différentes tribunes du Réveil du Rhône, et ce sur l’ensemble de la période 1923-1940. On constate cependant des variations dans l’importance donnée à cette question. Un véritable changement de ton apparaît après le 6 février 1934, en réaction à l’émeute parisienne perçue comme une tentative de coup d’État fasciste. Ce changement de ton ne semble pas s’être fait sans tension à l’intérieur des mouvements laïques de Lyon. Le Réveil du Rhône se fait l'écho d'un certain nombre de démissions de personnes estimant qu’il ne fallait pas faire de politique. Néanmoins ces annonces de démissions restent 47 Georges Beauvisage, Maintenant réformons l’éducation nationale, 1919, Paris, éditions Figuières, préface d’Édouard Herriot.

rares, ce qui montre un attachement très majoritaire de ce milieu au programme de lutte antifasciste.

En mai 1946, Le Réveil du Rhône, dans un article de compte rendu du congrès départemental, sous le titre Une question mise à l’étude « La formation civique

de la jeunesse républicaine », expose un véritable programme de formation du

citoyen. Pour l’auteur de l’article, la formation du citoyen ne peut aboutir que par la mise en place de méthodes d’éducation active : il s’agit de donner envie d’agir pour conquérir de nouvelles libertés et de nouveaux droits et non pas de se limiter à la défense des droits déjà acquis. D’après l’auteur, la formation des jeunes citoyens ne peut se faire qu'en pratiquant des méthodes d’éducation actives, en évitant le moralisme et le prêche. Elle doit commencer par l’instruction qui allie théorie et pratique. La formation civique passe par le développement de la culture politique, et surtout par la pratique de la vie collective qui permet de développer savoir-être et savoir-vivre.

Concernant cette formation du citoyen, on relève dans le rapport sur la maison des jeunes du quartier de Gerland la description de jeunes semblant les plus prometteurs :

« Ce sont des révoltés, ils refusent d’accepter le sort qu’ont connu leurs parents, leurs frères aînés parfois. Ils veulent vivre dans des maisons nettes et élever leurs enfants proprement »

Il apparaît que l'on attend de ces jeunes un véritable engagement politique pour changer les conditions de vie des classes les plus pauvres de la société. La citoyenneté est pensée comme allant au-delà d'un simple exercice des droits politiques : comme un engagement de l'individu dans la société, pour la faire changer et lutter contre ses déséquilibres et inégalités.