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Aider la réforme et la régulation sociale et économique

– assurer la formation du citoyen,

– créer une forme de socialisation.

Aider la réforme et la régulation sociale et économique

Dans le cadre de l’étude, les actions d’éducation populaire en direction des enfants et adolescents à Lyon sont liées aux temps de loisirs. Ceux-ci peuvent être utilisés comme un temps de régulation et de préparation à la réforme sociale. Cette action recouvre plusieurs aspects.

Premier aspect : offrir une activité aux enfants en dehors du temps scolaire.

Il s’agit de lutter contre l’oisiveté que la « sagesse populaire » déclare « mère

de tous les vices ». En procurant des loisirs, on occupe les enfants et adolescents

dans le cercle familial. Les actions sont donc destinées à occuper les temps de loisirs. Il s’agit alors d’organiser des garderies post-scolaires, des colonies de vacances. Cette vision de l’action éducative se développe surtout au début de la période étudiée. Pour les organisateurs, le contenu éducatif et pédagogique n’est alors que secondaire. Ceci peut s’expliquer en partie par le choix qui est fait de favoriser des placements familiaux pour les enfants, cette solution étant plus économique qu’une colonie de vacances classique : les enfants étant isolés, les besoins éducatifs ne se manifestent pas. Il est significatif à cet égard que lors des premières colonies de vacances de la ville de Lyon, aucun programme éducatif ne soit mis en place34. Ce sont les problèmes de gestion du groupe d’enfants qui obligent les organisateurs à prévoir et construire un programme d’activités , lesquelles deviennent porteuses d’une fonction éducative. Cette dernière se développe progressivement durant la période étudiée, et induit le deuxième aspect de la fonction de régulation de l’éducation populaire.

Deuxième aspect : apporter ou compléter une éducation manquante ou lacunaire.

Cet aspect est lié à la fonction éducative pour offrir une éducation à des enfants issus de milieux sociaux ne pouvant la leur apporter ou leur en donnant une jugée comme incomplète, voire contraire à la morale. Cette conception apparaît dans le cadre des mouvements catholiques ; il s’agit alors d’apporter l’instruction religieuse aux enfants des écoles publiques laïques, qui ne fréquentent pas le catéchisme classique. Par des activités ludiques, sportives ou des colonies de vacances, ces enfants sont mis en contact avec la religion.

34 Documents Relatifs au projet de la ville de Lyon, recueil annuels des documents préparatoires au budget année 1895 et suivantes, Archives Municipales de Lyon.

Dans les mouvements laïques, le but est de lutter contre les influences de l’Église catholique sur la jeunesse, ’Église qui est assimilée dans les milieux militants aux adversaires de la démocratie jusqu’en 1939 et jugée comme une force réactionnaire freinant l’émancipation économique et sociale des classes populaires.

Il faut également apporter une éducation aux enfants que l’on juge en danger moral dans un milieu familial en manque de repères. Cette idée, présente dès l’origine, persiste pendante toute la période avec des accents variables dans le temps, elle peut rejoindre des préoccupations de santé publique dans le cadre de la lutte contre l’alcoolisme. Sur la fin de la période, elle est toujours présente, avec pour objectif d'atteindre les enfants issus de milieux familiaux comme celui que décrit Christiane Rochefort dans Les petits enfants du siècle35 . On

peut illustrer cette volonté dans le contexte lyonnais par un rapport des services de Jeunesse et des Sports, adressé au maire demandant un soutien pour une maison de jeunes du quartier Gerland en 194936. Il s’agit d'une aide financière pour l’achat du bâtiment abritant ladite maison. Cette demande est organisée en deux parties. La première partie décrit l’état sanitaire et moral de familles pauvres habitant des taudis du quartier de Gerland : l’état sanitaire des enfants est mis en avant, le défaut d’hygiène par manque de moyens est souligné. Ce rapport est rédigé par une infirmière scolaire qui visite ces familles ; elle en profite pour mettre en valeur les effets bénéfiques de la scolarisation et décrit ainsi une famille :

« La famille ******* qui comptait 12 enfants habite actuellement dans 3 pièces qui ont été construites pour servir de cave et de dépôts.

Cette famille a perdu plusieurs enfants, la plupart de tuberculose.

[…] Le père *******, qui a plus de 50 ans en paraît 70, ne reste pas à la maison. Il n’a jamais travaillé et a toujours vécu sur l’argent fourni par les allocations familiales.

La mère se livre à de menus travaux.

35 Rochefort Christiane, Les petits enfants du siècle, Grasset, 1961 36 Archives Municipales, carton 101WP 004.2

La maison n’est pas très mal tenue, les 3 lits ne sont pas propres, les sommiers sont défoncés, les matelas crevés, mais il y a des draps. […]

Les enfants ******** sont les seuls à l’école qui n’ont pu être débarrassés de leurs poux. L’infirmière a fait tout ce qui était dans ses moyens (coupe de cheveux à ras, poudre D.D.T., lavages répétés, nettoyage des vêtements) rien n’y a fait. Ces parasites doivent être partout et l’infirmière pense que ce sont les parents qui sont les foyers de propagation les plus actifs.

Il y a tout de même quelque chose de remarquable dans cette famille. Deux grandes filles ont quitté l’école depuis peu, après avoir fréquenté les classes adolescentes. Elles ont leur petit coin dans ce réduit et essayent de l’embellir. Les murs ont été blanchis, la table est nette, la chaise ne boîte pas, rien ne traîne, rien ne pend sur des cordes. Un premier pas a déjà été franchi. Dans cette famille la génération qui monte veut améliorer son sort. »

L’auteur du rapport met ainsi en évidence le résultat d’une éducation apportée à la famille par l’école.

Dans sa deuxième partie, le rapport expose les solutions possibles selon les auteurs, la première étant la suppression des allocations familiales, mais cette solution « n’est pas légale et les caisses d’allocations familiales ne peuvent pas

imposer de telles sanctions ». La deuxième solution est présentée de la manière

suivante :

« Éduquer les parents de demain. Donner aux jeunes gens et aux jeunes filles le culte du plein air. Habituer les jeunes apprentis, les jeunes ouvriers à mettre régulièrement de côté une partie de leur salaire pour leurs vacances d’été. C’est l’action entreprise par les Mouvements de Jeunesse et les Maisons de Jeunes. Malheureusement nous touchons trop peu d’usagers, les Maisons de Jeunes disposent de si faibles capitaux qu’elles ne sont pas, dans le quartier de Gerland en particulier, le pôle attractif qu’elles devraient être.

Cependant nous suivons de très près quelques jeunes ménages qui se sont fondés sous l’aile de la Maison. Ils tranchent sur les autres. [...] Les filles suivent les cours de puériculture qui leur sont régulièrement faits. Elles profitent des cours de coupe-couture. Quelques jeunes mariés suivent encore les activités de la Maison et participent aux sorties de week-end. Nous sommes persuadés que leurs enfants ne dormiront pas dans des chambres infectes. Ils ont compris que dans la hiérarchie des besoins des ménages le lit propre, les draps, la nourriture saine, passent avant le poste de T.S.F. »

Le rapport se termine par ce constat désabusé sur les résultats de l’École Publique en matière d’éducation domestique.

« Pour des gens qui ont vécu dans l’enseignement et pratiqué ce métier pendant plus de vingt ans, il est navrant de constater que sur le plan pratique l’École a dans presque tous les cas fait faillite. Nous pouvons dire que les leçons de soins ménagers que les maîtresses font à leurs jeunes élèves, sans pénétrer le milieu dans lequel elles vivent, sont une série de mauvaises notions.

Que doit penser la jeune fille de 14-15 ans à qui l’on a fait dessiner sur un cahier spécial une belle armoire, divisée en compartiments et pochettes destinés à recevoir le linge d’un ménage aisé ? Comment réagit-elle le soir en rentrant chez-elle, quand elle pénètre dans un des intérieurs que nous avons décrits ? »37

Le rapport se termine en demandant plus de moyens pour le développement d’ateliers de couture, de menuiserie afin de permettre à ces jeunes de s’habiller et de se meubler de manière plus économique. Cette volonté d’apporter l’éducation nécessaire et même indispensable à tous apparaît dans quasiment l’ensemble des mouvements de jeunesse.

Troisième aspect : Lutter contre la tuberculose.

Dans Créer38, Herriot consacre une partie du chapitre « La protection de la Race » à la lutte contre la tuberculose. Il dénonce le manque de lutte sérieuse

contre la tuberculose avant 1914 ; il utilise même l’exemple allemand pour mettre en évidence les insuffisances des mesures sanitaires françaises. Pour Herriot, la lutte contre la tuberculose passe par une organisation et une planification des moyens de lutte et de prévention.

La lutte contre la tuberculose est le premier argument avancé en 1895 lors de l’organisation de la première colonie de vacances de la ville de Lyon au Serverin.

Les archives municipales39 permettent de connaître le mode de sélection des enfants pour ces colonies de vacances. Les critères sont sociaux (familles les plus pauvres, nombre d’enfants, situation des parents etc.), mais surtout physiques ; les enfants sont choisis en prenant en compte leur taille, leur poids, leur périmètre thoracique, leur état de propreté.

Dans le contexte lyonnais il faut également noter l’action déterminante de deux élus d’importance, Georges Beauvisage et Justin Godart.

38 Édouard Herriot, Créer, Payot, Paris 1919

39 Documents Relatifs au projet de la ville de Lyon, recueil annuels des documents préparatoires au budget année 1895 et suivantes, Archives Municipales de Lyon.

Georges Beauvisage (1852-1925), est sénateur du Rhône de 1909 à 1920. En 1901, il crée l’Œuvre municipale des Enfants à la montagne et à la mer et de 1906 à 1910 il fait, au cours de différents congrès, une série de communications sur l'éducation des enfants anormaux, qui aboutit à la fondation de l’œuvre de

l'enfance anormale et à l'institution de classes spéciales dans les écoles

municipales de Lyon. Il s’inspire de l’Œuvre des Enfants à la Montagne de la région stéphanoise, création du Pasteur Louis Comte en 1893. Cette œuvre envoie les enfants quarante-cinq jours dans les montagnes de la Haute-Loire avec des placements dans des familles paysannes. Les enfants subissent une visite médicale avant, pendant et après le séjour, pour vérifier si leur état de santé s’est amélioré. C’est en s’inspirant de l’exemple stéphanois que la ville de Lyon décide la création de ses propres œuvres de vacances.

L’Œuvre Municipale Lyonnaise des Enfants à la Montagne et à la Mer est créée pour répondre aux besoins des enfants qui ne sont pas admis au Serverin, car n'entrant pas dans les critères de sélection (rapport poids/taille). En 1901, une pétition provenant des électeurs du 4e arrondissement, des membres de la délégation cantonale, de la commission scolaire, du comité radical-socialiste et de l’Union des travailleurs socialistes, exprime le souhait de la création d’un sanatorium ou le placement dans des familles à la campagne ou en montagne.

La deuxième personnalité marquante est Justin Godart (1871-1956) député du Rhône de 1906 à 1926, sénateur du Rhône de 1926 à 1940, sous-secrétaire d’État du Service de Santé militaire au Ministère de la Guerre du 1er juillet 1915 au 19 janvier 1920, ministre du Travail, de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociales du 14 juin 1924 au 17 avril 1925, ministre de la Santé publique du 3 juin au 18 décembre 1932. Son action, et celle de son Parti Social de la Santé Publique, apparaissent dans la

participation à un numéro spécial commun40 à tous les mouvements de scoutisme sur l’hygiène dans le scoutisme et dans la société de manière générale. Justin Godart organise également une conférence en soirée à la Sorbonne sous la présidence de Gustave Monod. Les revues des mouvements scouts, en particulier celle des Éclaireurs de France, font dans la foulée des appels à la croisade contre les microbes, pour le tout-à-l’égout.41

Les manuels de scoutisme développent des chapitres sur l’hygiène et la santé avec des exercices de gymnastique à faire à domicile en s’aidant de meubles simples comme une chaise, un lit, une armoire, en donnant des tableaux de mensuration et de résultats sportifs à atteindre.42

La lutte contre les inégalités sociales passe aussi par une lutte contre les inégalités culturelles. Alain Corbin, dans son introduction à L’avènement des

loisirs43, nous donne une grille d’analyse. Le fondement de l’action repose sur

une conception de loisirs culturels, promus par les membres de l’éducation populaire comme un moyen d’accès pour tous à des pratiques qui peuvent apparaître réservées à une élite (musique, sports, théâtre etc.). Ceci explique le développement, par de nombreux patronages scolaires, après la première guerre mondiale, de cours de solfège et de musique avec apprentissage d’un instrument, de gymnastique, de sports collectifs, de théâtre etc. Le projet est de favoriser l’épanouissement de l’individu par une ouverture culturelle et ainsi de lui permettre de s’intégrer dans la société.

40 Sois propre, N° spécial sur l’hygiène édité en commun par l’Alouette (Journal de la Fédération Française des Éclaireuses), le bulletin des Éclaireurs Israélites, l’Éclaireur de France, et Sois

Prêt (Journal des Éclaireurs Unionistes), la couverture est illustrée par le Scout de France Pierre

Joubert

41 Nicolas Palluau, La formation des cadres du scoutisme chez les Éclaireurs de France

(1914-1918), Mémoire de DEA d’histoire contemporaine sous la direction de Pascal Ory, Université

Paris I Panthéon- Sorbonne, 1999

42 Manuel de l’Éclaireur, édition Éclaireurs de France de 1944, page 83 et suivantes et Le Manuel

de l’Éclaireur, édition des EUdF de 1947, page 97 et suivantes.

De manière assez paradoxale, la réussite de ce projet de loisir éducatif peut expliquer le déclin des mouvements d’éducation populaire à partir des années cinquante. Cette réussite permet à l’individu une pleine intégration dans la société ; celui-ci pourra alors émettre l’envie d’un désir qui lui est propre pour son activité de loisir. La réalisation de ce désir passe par l’obtention de temps disponible pour soi uniquement, ce qui l’éloigne des mouvements et actions collectifs. Une pratique de loisirs, assimilable à la culture de masse, se développe alors en France à partir de 194544, en contradiction avec le projet de l’éducation populaire. Pour celle-ci, les loisirs doivent être porteurs d’une culture populaire fondée sur l’éducation et devant réduire l’écart avec la culture des élites. Au contraire, la nouvelle pratique du loisir est assimilable à une culture de masse et les acteurs de l’éducation populaire lui reprocheront son mercantilisme, son asservissement aux professionnels des loisirs et enfin la standardisation des modes de pensée.

Quatrième aspect : La lutte contre l’alcoolisme

L’alcoolisme est décrit par Édouard Herriot comme « un agent de déchéance

nationale dans une démocratie »45. Il le dénonce également comme un fléau contre lequel il faut lutter. Les élèves reçoivent régulièrement au cours de leur scolarité des mises en garde contre les méfaits de l’alcool. Ces mises en garde se font dans le cadre de nombreux cours comme les leçons de choses ou les leçons de morale. De nombreux exemples de planches illustrées sur les méfaits 44 Ce développement du loisir comme pratique de consommation apparaît dans des œuvres produites à la fin des années 50 comme Les petits enfants du siècle ou le film de Marcel Bluwal

Carambolage de 1963. Ce film décrit l'ascension d'un ambitieux au sein d'une grande agence de

voyage inspirée par le club Méditerranée. On peut également ajouter le film de Jacques Tati,

Mon Oncle, sorti en 1958 et qui montre une opposition entre le mode de vie traditionnel de

Monsieur Hulotet le monde moderne en train de se développer. 45 Édouard Herriot, Créer, op. cit.

de l’alcool sont connus. Cette lutte contre l’alcoolisme n’est pas limitée aux milieux scolaires, elle est partagée par le mouvement ouvrier, mais aussi par les mouvements confessionnels. Il s’agit là d’un véritable consensus au sein de l’opinion publique de la IIIe République, consensus qui existe toujours sous la IVe République. Il est donc tout à fait logique que les organisateurs de colonies de vacances, garderies, etc., pensent leur action comme un moyen de lutter contre l’alcoolisme. C'est le cas de Gustave Cauvin, directeur du Cinéma Éducateur Laïque, qui débute sa carrière de militant comme organisateur de campagne anti-alcooliques et « néo-malthusiennes ». Pour lui, le cinéma est le meilleur outil pour la propagande antialcoolique et le contrôle des naissances. On peut reprendre l’exemple du rapport sur les familles pauvres du quartier Gerland : pour les auteurs de ce rapport, l’alcoolisme est bien évidement un facteur qui aggrave les méfaits de la pauvreté.