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d) Les nouvelles initiatives d'appui aux organisations paysannes favorisées par le nouveau cadre réglementaire.

Dans le cadre de la nouvelle orientation de sa politique agricole, l’Etat Camerounais a mis en place dès 1990 un certain nombre de mesures visant à créer un environnement favorable à la relance des principales filières de production. Il s’agit en réalité de favoriser l’émergence d’acteurs nouveaux à travers les différentes formes d’associations. Les différents textes de loi servant de cadre législatif et règlement aux organisations paysannes et rurales sont les suivantes :

a. La loi N° 90/053 du 19 Décembre 1990 sur la liberté d’association, en remplacement de la loi N° 67/LF/19 du 12 Juin 1967. Cette dernière abrogeait la loi de 1901 et stipule que les associations sont constituées à partir d’au moins deux personnes et la légalisation s’obtient auprès de l’autorité préfectorale du département du ressort du siège social. Bien que souple dans sa conception, les associations sont limitées par le fait qu’elles ne peuvent pas recevoir des dons ou des legs. Il est vrai que dans la pratique, plusieurs associations constituées en majorité des groupements féminins et d’organisations dont les activités incluent à la fois les aspects économiques et socio-culturels, reçoivent des dons, y compris des autorités administratives.

b. loi N° 92/006 du 14 Août 1992 sur les sociétés coop ératives et les

Groupes d’Initiative Commune (GIC), en remplacement de la loi N° 73/15

du 7 Décembre 1973 portant statut des sociétés coopératives131. D’après cette loi, un groupe d'initiative commune peut être constitué à partir d’au moins cinq

personnes physiques désirant conduire ensemble des activités

socioéconomiques. La coopérative quant à elle se constitue à partir d’un regroupement d’au moins sept personnes physiques et/ou morales ayant la qualité de membres fondateurs. A travers ce concept, la coopérative est en fait une entreprise privée dirigée de manière démocratique et à laquelle les membres apportent leur part sociale pour constituer le capital initial de l’entreprise. Le statut de GIC présente l’avantage que le capital n’est pas exigé au moment de sa constitution, la comptabilité est simplifiée et les responsabilités des membres sont librement fixées par eux-mêmes dans leurs statuts. Les GIC et les Coopératives sont ainsi exonérés de l’impôt au sens classique du terme, mais ils doivent déclarer leurs résultats de manière à permettre à leurs membres de payer l’impôt sur les revenus au cas où leur organisation leur redistribue des bénéfices. Les GIC et les coopératives sont les formes juridiques les plus adoptées par les organisations paysannes.

Sur la base des textes règlementaires qui leur ont donné naissance, la légalisation des GIC et des coopératives s'effectue auprès du service régional du registre des sociétés coopératives et des groupes d'initiative commune (Service Régional des COOP/GIC), logé au sein de la délégation régionale du Ministère de l'agriculture et du développement rural la plus proche.

c. L’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives du 15 décembre 2010

adopté par l’Organisation pour l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique (OHADA). Cet acte communautaire apporte deux innovations

majeures dans la constitution des coopératives agricoles : (i) les agriculteurs peuvent choisir de s’organiser en Sociétés Coopératives Simplifiées (SCOOP)

131

Le décret n° 92/455/pm du 23 novembre 1992 fixe les modalités d'application de cette loi. Il a été modifié et complété par le décret n°2006/0762/pm du 09 juin 2006. De même, le décret n° 98/300 /pm du 09 septembre 1998 fixe les modalités d'exercice des activités des coopératives d'épargne et de crédit. Il a été modifié et complété par le décret n° 2001/023 / pm du 29 janvier 2001.

constituées de cinq personnes physiques au minimum ou en Société Coopérative avec Conseil d’Administration (COOP-CA) dont la constitution exige 15 personnes physiques ou morales au moins. Dans les deux cas, les sociétés coopératives ont l’obligation de déclarer leurs résultats. C’est dans cette voie que l’Etat voudrait orienter la transformation des Groupes d’Initiatives Communes qui fonctionnent actuellement sous la loi de 1992 évoquée ci-haut et dont les activités ne sont pas suffisamment suivies ou contrôlées; (ii) un Registre des Sociétés Coopératives est désormais tenu au niveau départemental par l’autorité administrative compétente et facilite de ce fait l’enregistrement des organisations ainsi créées.

d. loi n° 93/015 du 22/12/1993 sur les groupements d’i ntérêt économique

(GIE). Cette loi apporte plus de souplesse et de flexibilité en ce qui concerne

l’importance du nombre de membres mais l’activité doit essentiellement être économique. En effet, un GIE peut être créé par au moins deux personnes, toutefois son activité ne doit pas être étrangère à celles de ses membres, ni absorber l’activité principale de ceux-ci, auquel cas il deviendrait une société de fait. La légalisation du GIE se fait auprès du greffe du tribunal de première instance. Si le GIE ne paie pas l’impôt sur les sociétés, il a par contre l’obligation de déclarer auprès des services en charge des impôts, la distribution des intérêts et bénéfices éventuels à ses membres afin de payer l’impôt sur le revenu. Le GIE paie une patente en fonction de l’activité réalisée et du chiffre d’affaires et ses membres sont solidairement responsables des engagements du groupe. Compte tenu de ces contraintes fiscales, les paysans ne sont pas attirés par cette forme juridique.

e. la loi n°99/014 du 22/12/1999 régissant les organis ations non

gouvernementales (ONG) qui sont des associations déclarées et autorisées

par l’administration territoriale, à œuvrer dans la réalisation des missions d'intérêt général conformément à la législation en vigueur. Pour cette forme d’association, l’agrément est donné pour une période de cinq ans renouvelable par tacite reconduction. En outre, toute association étrangère dûment autorisée et justifiant d'une contribution effective de trois ans au moins à des missions d'intérêt général, peut être agréée au statut d'ONG. Très peu

d’organisations paysannes prennent le statut d’ONG. On retrouve plutôt dans cette catégorie des organismes d’appui intervenant en milieu rural.

f. la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant code du tr avail et régissant les

syndicats. D’après cette loi, un syndicat peut être constitué par au moins

deux personnes. Les textes juridiques créant les syndicats stipulent que leur légalisation se fait auprès du ministère du travail et de la prévoyance sociale. En raison de l’image vindicative qui est souvent collée aux syndicats et par crainte d’être stigmatisées comme telle, très peu d’organisations paysannes ont adopté le statut de syndicat.

(i) Les initiatives étatiques d’accompagnement des organisations paysannes.

Parallèlement aux textes réglementaires, l’Etat met en place dès le début des années 90, avec l’appui de ses partenaires du développement, des programmes destinés à faciliter l’adaptation des nouvelles structures créées dans ce nouveau contexte. Il s'agit en particulier du :

• Fonds d'Appui aux Organisations Rurales (FONDAOR) qui est un programme destiné à financer des services : formations, études de faisabilité, appuis- conseils.

• Financement des Micro-réalisations Agricoles et Communautaires (FIMAC) qui octroie des petits crédits aux groupes de producteurs pour l’achat du petit matériel agricole ou de transformation (machettes, houes, porte tout, moulins, etc...)

• Projet Pilote de Crédit Rural Décentralisé (PPCRD) qui vient en appui à l’organisation et à la maîtrise par les groupements de producteurs de leurs systèmes d’épargne et de crédit.

• Projet de Diversification des Exportations Agricoles (PDEA) pour l’appui à l’organisation des filières fruits et légumes en vue de la conquête des marchés extérieurs.

• Projet d’Appui aux Stratégies Paysannes et à la Professionnalisation de l’Agriculture (ASPPA) qui accompagne les dynamiques d’organisation des producteurs au sein des filières de production agricole pour renforcer la prise en charge par les producteurs organisés, des fonctions économiques en vue de renforcer leurs capacités de négociation vis-à-vis des autres partenaires.

(ii) Les initiatives des ONG et des autres structures privées.

Dans la mouvance de ce qui précède, plusieurs structures privées d’origine nationale ou étrangère vont intervenir en appui aux organisations de producteurs. Dans ce processus, les structures étrangères interviennent soit par l’intermédiaire des coopérants volontaires (Peace corps, AFVP, SNV, VNU,)132, soit indirectement en finançant les services d’appui aux ONG locales avec lesquelles ils ont signé des contrats de partenariat (Coopération canadienne, coopération suisse, coopération Italienne, CARE International,...).

Vers la fin des années 80, certaines ONG intervenant en milieu rural, dont les plus connues sont : l’INADES, le CERFAP, le SAILD133, ont œuvré pour la mise en place des organisations paysannes plus indépendantes vis-à-vis de l’Etat et évoluant en marge des coopératives, avec pour objectif assigné l’organisation et la vente des produits agricoles vivriers. Ces ONG qui disposent d’une assise nationale ont pu mobiliser directement des financements des bailleurs de fonds étrangers sans passer par l’Etat. Parmi ces structures, le SAILD est considéré comme pionnier dans le domaine de l’accompagnement des dynamiques d’organisations paysannes au Cameroun. A travers la formation, l’information, l’organisation des voyages d’échanges à l’intérieur du pays et dans les pays africains, le SAILD a accompagné la création de plusieurs organisations paysannes dans la partie Sud et dans l’Extrême Nord du Cameroun. Cette dynamique a abouti en 1991 à la création de la première organisation paysanne faîtière nationale dénommée « Conseil des

132 Peace Corps : organisme d’appui au développement de l’Ambassade des Etats Unis d’Amériques ; AFVP : Association Française des Volontaires du Progrès ; SNV : organisme d’appui Néerlandais ; VNU : Volontaire des Nations Unis.

133 INADES : l'Institut Africain pour le Développement Economique et Social; CERFAP : Centre d'Etudes, de Recherches et de Formation à l'Auto Promotion – Mbalmayo, Cameroun ; SAILD : Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement – Organisation Non Gouvernementale de droit Suisse.

Fédérations Paysannes du Cameroun (CFPC) ». Malgré la dislocation du CFPC au début des années 2000, les organisations de base de cette structure restent actives à l’instar du BINUM dans la région de l’Ouest du Cameroun. En 1988, le SAILD a mis en place un journal mensuel d’information sur l’agriculture et la diffusion des expériences des organisations paysannes au Cameroun : « la Voix du Paysan ». Ce journal fait encore référence aujourd’hui.

A partir de 1990, à la faveur des nouveaux textes règlementant les associations au Cameroun, des opportunités de financement offertes par les bailleurs de fonds ainsi que la survenue des compressions de personnel dans les services publics et dans les entreprises parapubliques nationaux, on assiste à la création d’une multitude d’ONG dont la raison d’être est d’aller à la « chasse » aux organisations paysannes et aux financements. Ces structures sont parfois à l’initiative de la création d’organisations paysannes. Leur champ d’action s’est quelque fois limité à la plus petite unité administrative (l’arrondissement) dans laquelle elles sont implantées, faute de ressources financières et de cadres pour étendre leur zone d’intervention. Les thèmes qu’elles développent sont généralement calqués sur les orientations des projets pour lesquels les ONG sont des organismes d’appui à la mise en œuvre de leurs activités. Des discours et des slogans relatifs à l’autopromotion et les initiatives dites endogènes des paysans et/ou de leurs organisations sont adoptés et présentés par les responsables paysans en vue de leur reconnaissance sociale et de la captation des financements. Dans ce contexte, il n’a pas été rare d’observer des affrontements entre structures opérant dans les mêmes territoires, chacune voulant garder « ses » organisations paysannes.

Ce nouvel environnement réglementaire a permis l’éclosion et l’essor de nombreuses organisations de producteurs, en dépit de leur niveau de développement inégal. Ainsi, deux schémas spécifiques ont été observés :

a. dans les zones proches des centres urbains tels que Douala, Yaoundé, Garoua, Bafoussam, Bamenda, on rencontre des OP ayant une structuration avancée (unions de GIC, fédérations régionales, etc.). La présence de multiples intervenants (ONG, structures étatiques, etc.) et

l'accessibilité de ces zones rurales explique ce développement rapide134 ;

b. dans l'arrière-pays, le tissu organisationnel est beaucoup plus réduit, généralement à cause de l'enclavement et du manque d’infrastructures de transport permettant d’avoir accès à une population aussi large que possible. Les organisations dans ces parties du pays sont généralement des groupes d’entraide, informels et peu ou pas structurés.

Dans cette mouvance globale, les régions du Centre, du Littoral, de l'Ouest, du Nord- Ouest et de l'Extrême Nord ont été identifiées comme les plus avancées en matière d'organisations de producteurs mieux structurées (existence d'un important tissu d'OP de type union, fédération, ou coopératives spécialisées par filière ou à vocation multifonctionnelle).

Toutefois, et sur un plan plus concret, il serait utile de préciser que les divers programmes d’appui mis en place par l'Etat ont permis de redynamiser le secteur associatif et de jeter les bases d’une organisation plus autonome des producteurs. Ainsi, les GIC et leurs unions mènent des opérations économiques qui permettent de sécuriser et d’améliorer les revenus des producteurs : achats groupés d’intrants, ventes groupées de la production, organisation de la lutte sanitaire des troupeaux et phytosanitaire des vergers, voire transformation primaire de la production. Dans ce cadre spécifique, le Ministère de l’agriculture a testé135 auprès des agriculteurs des installés dans les bassins de production de café et de cacao ainsi que ceux localisés dans la zone cotonnière, une approche novatrice visant à renforcer leurs capacités internes et à mieux se structurer afin d’améliorer leurs productions et leurs revenus, par une meilleure maîtrise du fonctionnement de ces filières. L’approche méthodologique adoptée s’est appuyée sur une démarche participative basée sur la responsabilisation des intéressés. Un important référentiel méthodologique a été constitué avec des organisations de producteurs et des organismes d’appui

134

La plupart des OP sont nées sous l'impulsion des intervenants extérieurs, l'action des élites, des retraités ou des sans- emplois retournés au village.

135 Par le biais du projet ASPPA - Projet d’appui aux stratégies paysannes et à la professionnalisation de l’agriculture.

préalablement ciblé. Néanmoins, l’impact reste encore limité dans la zone cacao/café136.

II - Typologie des organisations paysannes au Cameroun.

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