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a) Diversité des stratégies des acteurs dans un environnement de production contraignant.

Les réformes structurelles de l’économie camerounaise survenues au début des années 90, peuvent être perçues comme une conséquence du consensus de Washington, ayant eu à générer le triptyque : libéralisation, stabilisation et privatisation. Cette situation nouvelle mais soudaine a provoqué, un bouleversement radical de l’environnement des petits producteurs agricoles. Dans un tel contexte, il y’a eu une érosion et un effondrement soudains des avantages jusque-là alloués aux petits producteurs par les pouvoirs publics, matérialisés notamment par : (i) la libéralisation des prix et le démantèlement des caisses de stabilisation. En effet, les producteurs qui ont perdu la stabilité des prix de leurs produits agricoles vont se retrouver dans un environnement nouveau face à des opérateurs privés plus avertis et mieux informés pour réaliser des transactions commerciales; (ii) la privatisation des offices de commercialisation et des sociétés de développement. Ce processus a, quant à lui, simultanément supprimé la garantie des débouchés, ainsi que les facilités d'accès aux intrants et aux conseils technique de proximité ; (iii) enfin, le rééquilibrage des comptes nationaux ayant eu pour corollaire de faire disparaitre les

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subventions de toute nature jusqu’ici consenties aux petits producteurs. A ces différentes mesures se sont greffées l’insuffisance et/ou la précarité des moyens mis à la disposition des différentes structures techniques et/ou institutionnelles (vulgarisation et encadrement technique, recherche, crédit, etc.) En conséquence, le secteur agricole a basculé d’une économie administrée où les producteurs recevaient peu d’incitations154 pour les activités de production, mais échangeaient dans un environnement sécurisé, vers une économie de marché qui, en général, est censée mieux rémunérer les producteurs (Shepherd et al. 1999)155 tout en leur faisant courir des risques156 et des incertitudes. Dans cet environnement rendu complexe par les politiques publiques de libéralisation de l’économie, les incitations fournies par le marché aux agriculteurs, et plus particulièrement aux petits producteurs, sont jugées trop souvent négatives et insuffisamment adaptées à la situation de ces derniers. Mal informés sur les prix du marché et ayant peu de connaissances sur les mécanismes de fixation des prix, les petits producteurs sont devenus les otages des intermédiaires car la demande est contrôlée par un nombre réduits d'opérateurs exclusifs (acheteurs, exportateurs, transformateurs) qui gèrent à eux seuls les mécanismes ou stratégies de fixation des prix. D’échec en échec, les petits producteurs s’exposent peu à peu à la disparition progressive de leurs exploitations agricoles, et subissent de plus en plus la concurrence impitoyable des produits agricoles de toute nature en provenance des pays occidentaux (produits céréaliers et produits d’élevage en particulier), plus compétitifs et très souvent, subtilement subventionnés. Face à une telle situation, les petits producteurs ont dû adopter de manière réflexive, des stratégies défensives de survie, de repli ou de minimisation du risque157 en limitant l'offre sur le marché (Losch et Yung, 1996)158.

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Incitations : Ensemble des facteurs et mécanismes qui encouragent un acteur économique à réaliser une

action et sur lesquels un décideur, l'Etat ou un autre agent économique, peut agir de manière à en orienter les décisions et dès lors à modifier ses actions.

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Shepherd, A., Farolfi, F., 1999. Libéralisation des cultures d’exportation. FAO – Rome.

156 Risque : situation dans laquelle les conséquences d'une décision prise ou à prendre ne sont pas connues (sens large) ou bien dépendent d'aléas dont la distribution de probabilité est connue (sens strict).

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Les producteurs adoptent suivant leur situation particulière plusieurs types de stratégies : (i) les stratégies de

survie, dont l’objectif ici est de reproduire l'unité familiale par l'autoconsommation et la vente du travail hors

exploitation, concernent la majorité des petits exploitants pauvres (précarité, autosubsistance, recours à la main d'œuvre familiale, travail hors exploitation, faible niveau d'intrants par manque de trésorerie, éloignement des marchés) ; (ii) les stratégies de repli, dont l’objectif de production est de satisfaire les besoins de la famille et parfois les dépenses sociales de prestige, sont adoptées le plus souvent par les chefs d'exploitation âgés qui hésitent ou n’ont plus les moyens d'investir encore dans les unités de production (qu'ils vont léguer) : ce sont des exploitations qui peuvent disparaître à terme ; enfin les stratégies de minimisation du risque, dont l'objectif est d'augmenter les revenus monétaires pour améliorer les conditions de vie et répondre aux besoins sociaux

Ces stratégies qui présentent la particularité de limiter ou de contourner le risque sans en éliminer les causes (Yung et al., 1992)159, ont conduit un grand nombre de commerçants à adopter des comportements opportunistes, orientés vers le choix des stratégies de maximisation du profit immédiat.

Dans un tel contexte, de nombreuses exploitations agricoles familiales aux ressources limitées qui regroupent plus de 80% des producteurs Camerounais vont adopter des stratégies de fonctionnement aussi proches que possible de l’autosubsistance et au sein desquelles les aspects de diversification sont privilégiés, dans le but d’assurer la survie de l’unité familiale et le plein emploi de leurs membres. Au sein de telles exploitations, la satisfaction des besoins alimentaires repose principalement sur les productions vivrières : céréales et petit élevage, plantain, manioc et autres tubercules.

Pour les producteurs agricoles qui sont impliqués dans les cultures de rente destinées à l’exportation (cacao, café) et les nouvelles productions émergentes (tomates, ananas, etc.), le souci majeur est de réunir le capital de départ pour renouveler les vieilles plantations, en créer les nouvelles, ou alors investir dans l’achat des intrants (défi de l’intensification). Si la commercialisation des produits traditionnels de rente semble aisée du fait de l’existence d’un marché traditionnel et de l’organisation des producteurs pour la prise en charge des fonctions de commercialisation, la vente des produits maraîchers et autres spéculations émergentes est confrontée aux problèmes de conservation, de mauvaise connaissance du marché, de l’absence de maitrise ou de connaissances sur les normes sanitaires des produits, du mauvais état des routes et de multiples tracasseries policières sur les axes routiers.

L’accès au marché étant limité, les petits producteurs dont les besoins monétaires sont très souvent couverts par la commercialisation d’une fraction de la production et

(scolarité, prestige, etc.) et couvrir les besoins alimentaires. Elles concernent les exploitations ayant des ressources (terre, capital) et qui sont insérées dans la logique de marché mais dont les aléas climatiques, sanitaires et économiques les contraignent à la sous-valorisation de leurs ressources (cas des exploitants endettés qui vont adopter par exemple des systèmes de polyculture pour minimiser les risques de mauvaise récolte).

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Losch, B., Yung, J.M., 1996. Les agricultures des zones tropicales humides – Inter réseaux - CIRAD.

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les revenus procurés par le travail hors exploitation ne disposent plus des revenus suffisants pour investir dans leurs unités de production, ni même parfois pour simplement entretenir et renouveler leurs plantations et leurs équipements, choisissent des stratégies de désinvestissement et de repli. C'est le cas d'exploitations ayant pu accumuler un capital productif dans les cultures d'exportation (coton, café, cacao) lors des périodes de cours élevés.

Enfin certaines exploitations davantage pourvues en ressources potentielles (terre et capital), et insérées dans des logiques de marché, adoptent des stratégies de minimisation des risques plutôt que de rechercher l’utilisation optimale de leurs ressources. Ces exploitations limitent leurs achats en intrants et équipements qui auraient dû leur permettre de mettre en œuvre des systèmes de production plus intensifs, dans une perspective bien comprise de prétendre disposer de résultats qui seraient, en moyenne, plus élevés, bien que susceptibles de varier d’une année à l’autre de manière significative.

Ces ensembles de stratégies succinctement décrites, présentent l’avantage comparatif d’éviter et/ou de limiter les risques de toute nature susceptibles d’être encourus par les paysans, tout en assurant sur le court ou moyen terme, la constance ou la régularité de la reproduction de l’exploitation agricole. A contrario, les mêmes stratégies peuvent être de nature à contribuer à l’enfermement des petits producteurs dans des comportements défensifs incompatibles à l’accroissement de leurs revenus et de même qu’à l’amélioration de leur statut social de «pauvre». Dès lors, la maîtrise des risques potentiels devrait être perçue comme la condition sine qua non indispensable à la mise en œuvre des stratégies orientées vers la croissance des revenus, notamment par le biais de la facilitation d'accès aux ressources au profit des plus vulnérables160. A cet effet, et sur la base de nos observations de terrain, les producteurs pourraient disposer de plusieurs moyens leur permettant de réduire les risques précédemment répertoriés:

160 - "La pauvreté est multidimensionnelle (pauvreté de revenus, de conditions de vie, de relations sociales) mais elle est fondamentalement le résultat d’un accès réduit et précaire aux ressources, sources de revenus, de capacités, d’autonomie et de sécurité : formation, santé, information, terre, crédit, capital, statut social, etc." (Réseau IMPACT, Juin 2003).

• Certains producteurs ont pris l’habitude de diversifier leurs productions en densifiant la quantité des spéculations à répartir au sein de leurs exploitations, ce qui leur a permis d’entrer sur différents marchés et de réduire ainsi les risques potentiels encourus. Ce cas de figure particulier est illustré par la crise des filières cacao et café survenue dès la fin des années 80 et qui a fortement fragilisé les agriculteurs qui s’y adonnaient. Pour cette catégorie de producteurs, la diversification s’est imposée non seulement comme une nécessité, mais a aussi retenu l’attention des pouvoirs publics dans le cadre des orientations majeures suggérées par la politique agricole nationale.

• Dans d’’autres situations particulières, de nombreux autres producteurs ont souvent eu à passer des arrangements mutuellement consentis avec d’autres acteurs sur une base régulière dans le but de coordonner les transactions161, ce qui constitue un autre moyen de limiter le risque (Ménard, 2004)162. Ce dernier est alors partagé ou bien reporté dans des « organisations économiques »163. Ces organisations économiques sont sensés offrir un mode alternatif et complémentaire au marché pour accéder aux ressources productives (capital, intrants, financement, informations, savoir-faire, etc.) et générer des revenus. Ces organisations sont caractérisées par des accords entre acteurs économiques qui restent distincts (autonomie de décision des acteurs), partagent des ressources (mutualisation), mettent en œuvre des actions en commun (coordination ex-ante des décisions) en vue d'objectifs qui ne portent que sur une partie des fonctions développées par chaque entité. Les organisations de producteurs agricoles, répondent à ce souci de contribuer à minimiser le risque au niveau de ses adhérents.

En ce qui concerne particulièrement l’accès aux marchés extérieurs, depuis 2006, les opportunités d’exportation des produits agricoles camerounais vers les marchés

161 - Par transactions, on entend le transfert des droits d'usages sur des biens et services entre unités économiques indépendantes.

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Ménard, Claude 2004. L’économie des organisations – La Découverte.

163 - Les organisations économiques sont des "arrangements conscients résultant du choix des parties de coordonner délibérément leurs actions sur une base régulière et pour des objectifs spécifiques ». (Ménard Claude, 2004 :18).

européens sont confrontées au respect de certaines normes très strictes164 qui constituent des barrières non tarifaires. L’accès à ces marchés suppose que les services en charge du contrôle de la qualité des produits au Cameroun aient la capacité de réaliser les analyses de circonstance habituellement requises (fournies par des laboratoires équipés à cet effet). Dans la situation actuelle, en dehors des grandes entreprises d’exportation de fruits frais contrôlées par les multinationales et opérateurs étrangers, les petits producteurs ne sont pas préparés et n’ont pas la capacité technique et financière pour faire face à ces exigences. Ainsi, la capacité des producteurs / exportateurs à respecter les contrats commerciaux est aujourd’hui un enjeu important pour la conservation des parts de marché antérieurement acquises et pour l’accès au marché européen.

Concernant les importations de céréales, comme le maïs, les producteurs locaux font face à la concurrence des produits occidentaux, parfois subventionnés, ce qui affecte la compétitivité des productions locales. A titre d’exemple, dans le cadre de sa stratégie de développement des plantes à racines et à tubercules, le Ministère de l’Agriculture a voulu promouvoir une politique visant à valoriser les farines de patates ou de manioc à travers leur incorporation dans la fabrication du pain. Les concertations préliminaires engagés avec les opérateurs du secteur de la minoterie font état de la résistance de ces derniers, qui évoquent entre autres (i) le manque d’assurance sur la régularité des approvisionnements et, (ii) la nécessité de subventionner les nouveaux investissements en équipement qu’il faudrait mettre en place. Cette situation est révélatrice du fait que s’intégrer aux marchés national, régional et international n’est pas aisé et devrait constituer un des objectifs stratégique des autorités camerounaises qui doivent créer les conditions nécessaires à l’exercice des activités agricoles et le développement de la production par les petits producteurs.

164 Il est exigé par exemple que « l’autorité nationale » en charge de la qualité des produits destinées au marché s’assure que les principes «Hazard Analysis and Critical Control Point (HACCP) » sont mis en œuvre par les entreprises exportatrices, et que celles-ci sont toutes répertoriées. Les normes de présentation des produits en terme d’emballage, de calibre, de tri, de régularité, d’étiquetage, etc. sont également exigées par les consommateurs, que ce soit pour les produits vendus au marché local (grandes surfaces) ou pour les produits exportés.

Afin de mieux comprendre et de rendre compte de la dynamique de fonctionnement et des performances des organisations de producteurs agricoles, nous avons mené une enquête approfondie auprès d’un échantillon de 70 organisations paysannes menant leurs activités de production au Cameroun. Nous avons été guidé dans cette démarche par la réflexion de Balandier (1971)165qui déjà affirmait: «Les sociétés ne sont jamais ce qu’elles paraissent être, ni ce qu’elles prétendent être. Elles s’expriment à deux niveaux au moins : l’un superficiel, présente les structures officielles ; l’autre profond, assure l’accès aux rapports réels les plus fondamentaux et aux pratiques révélatrices de la dynamique du système social». Il s’est agi dans cette analyse, d’aller au-delà des apparences, pour découvrir et présenter les dimensions subtiles de la réalité sociale des organisations paysannes, car s’en tenir aux apparences pour élaborer, de l’extérieur, un modèle d’appréciation de la dynamique des organisations paysannes au Cameroun serait synonyme de s’éloigner d’emblée des réalités cachées dans les rapports réels les plus déterminants.

Dans cette perspective, les organisations de producteurs enquêtées ont été extraites du fichier national des organisations paysannes du Cameroun, mis à jour en décembre 2010 par l’observatoire national des organisations paysannes du Cameroun, logé au sein du MINADER. Afin de nous permettre de disposer des données sur l’histoire de chacune des organisations ainsi identifiées, son fonctionnement interne, les solutions développées pour faire face aux difficultés, de même que ses performances (nature, volume d’activités et services rendus aux membres), le principal critère ayant prévalu au choix définitif des organisations paysannes étudiées a été que celles–ci devaient avoir exercé leurs activités depuis au moins un an.

Comme précisé plus haut dans la méthodologie, les organisations paysannes enquêtées sont issues de cinq régions du Cameroun à savoir : le Littoral, le Sud- Ouest, le Sud, l’Ouest et le Nord-Ouest, qui comptaient près de 40 000 organisations inscrites au niveau des services du registre régional des coopératives et groupes d’initiative commune. La collecte des données auprès des organisations retenues

pour cette étude s’est déroulée pendant le premier semestre de l’année 2011. La répartition du nombre d’organisations enquêtées est donnée dans le tableau ci- dessous.

Tableau 4 : Répartition des organisations paysannes enquêtées par région.

Régions Organisations enquêtées % par rapport à l'échantillon Littoral 18 25,71 Sud Ouest 17 24,29 Ouest et Nord Ouest 14 20,00 Sud 21 30,00 Total 70 100,00

Source : Données d’enquête.

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