• Aucun résultat trouvé

b) Caractéristiques générales des organisations paysannes enquêtées.

(i) Formes juridiques des organisations paysannes. Les Groupes d’Initiative Commune (GIC).

Comme nous l’avons présenté dans le chapitre précédent, les facilités offertes depuis 1990 par le nouveau cadre juridique sur la création des organisations économiques et sociales au Cameroun ont permis à plusieurs organisations paysannes et rurales, qui opéraient traditionnellement dans l’informel d’officialiser leur existence en adoptant le statut juridique de leur choix. De manière générale on observe que trois types de statut juridique sont les plus couramment adoptés par les organisations paysannes : les coopératives, les Groupes d’Initiative Commune (GIC) et les associations.

En ce qui concerne les organisations enquêtées, on note que la plupart des organisations ont adopté le statut de Groupes d’Initiative Commune (76%) qui est une forme juridique ayant un mode opératoire assez souple (pas d’obligation de comptabilité formelle et pas d’exigence de capital social). Il s’agit de petits

regroupements de 5 personnes au minimum. Ces GIC sont pour la plupart issus des cercles familiaux ou claniques ou de regroupement des individus de même classe d’âge au sein d’un même village ou d’un quartier. L’une des caractéristiques de ces groupes est donc la proximité des membres. En général ce sont des groupes qui ont longtemps fonctionné de manière informelle dans le cadre des activités d’entraide pour les productions agricoles et/ou pastorales, la construction des cases, ainsi que pour d’autres activités d’intérêt collectif. Certains de ces groupes sont restés informels pendant plus de 15 ans. La légalisation de ces groupes est assez récente et résulte des facilités qu’offre le statut de GIC.

Pour la plupart de ces groupes, la démarche de légalisation a été guidée par le besoin de remplir les conditions d’accès aux opportunités de financement qu’offrent les projets et la participation aux initiatives déployées par les structures étatiques. A cet effet, les membres des GIC enquêtés précisent qu’ils n’ont pas participé à l’élaboration de leur statut. Tout au plus, ils se sont réunis pour proposer un nom à leur groupe et mobiliser les fonds nécessaires à la conduite de la démarche de légalisation. Les groupes sont généralement appuyés dans cette démarche par les agents du Ministère de l’Agriculture (Agent de Vulgarisation de zone ou chefs de poste agricole), les Organisations non Gouvernementales (ONG), les projets et les élites du village.

Les membres des GIC se réunissent généralement une à deux fois par semaine dans le cadre des activités collectives d’entraide qui sont conduites de manière rotative au sein des exploitations de leurs membres. Très peu de cas d’exploitation communautaire existent et si l’on en trouve, on remarque que ce sont en général des initiatives promues par les projets et dans ce cas, le champ collectif sert de démonstration ou rentre dans le cadre d’un projet communautaire ayant obtenu un appui extérieur pour sa matérialisation. Pour le groupe, l’existence d’une parcelle collective est très souvent perçue et présentée comme le symbole externe de sa cohésion. Les revenus obtenus par la vente des produits issus des parcelles collectives sont destinés à approvisionner la caisse du groupe, encore appelée caisse de soutien ou assurance servant au soutien social des membres en cas de besoin.

Les coopératives

Les organisations ayant le statut de coopérative sont peu nombreuses par rapport à celles ayant le statut de GIC. Elles représentent 21% de notre échantillon. Le statut de coopérative est généralement plus contraignant sur le plan légal, notamment en ce qui concerne l’application stricte des règles de gestion (recrutement d’un gestionnaire qualifié de niveau égal ou supérieur au baccalauréat en comptabilité ou en gestion, déclaration et publication des états financiers annuels, etc.) et un minimum de capital social préalable à leur constitution. Dans ce registre, de telles se retrouvent en majorité dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest qui, avant les indépendances, avaient déjà développé ce modèle libéral de coopération, dans lequel chaque membre s’engageait à travers le groupe par la libération de ses parts sociales.

Les activités menées par les coopératives sont davantage économiques et regroupent en général : l’approvisionnement en intrants, la collecte et le groupage des spéculations produites, et la commercialisation. En plus de ces activités économiques, les coopératives présentent la particularité d’apporter des formations à leurs membres (formation à l’éducation coopérative, formation technique). L’éducation coopérative apportée par l’organisation renforce la cohésion sociale du groupe par la prise de conscience des valeurs coopératives dont chaque adhérent est tenu de respecter. L’organisation des sessions de formation constitue également des occasions de partage des expériences entre les membres du groupe. On remarque que le statut de coopérative est le plus adopté par les organisations qui opèrent dans les filières traditionnelles de rente telles que le cacao et le café. Cette situation serait dûe au fait que ces formes de regroupement sont davantage impliquées dans d’importantes transactions financières lors des opérations de vente ou d’approvisionnement en intrants. Elles font généralement recours aux banques et parfois à leurs partenaires commerciaux à l’instar des opérateurs économiques impliqués dans les circuits d’exportation et d’import distribution des produits agricoles avec pour corollaire, le financement des activités de collecte primaire ainsi que le préfinancement de certaines campagnes de commercialisation. En retour, ces partenaires associés exigent très souvent que la tenue des documents comptables

des coopératives impliquées dans le partenariat soit faite de manière à présenter clairement le chiffre d’affaires réalisé ainsi que le niveau d’endettement du groupe.

Les associations

Les organisations ayant un statut juridique d’association représentent 3%. Ce type d’organisation est le plus souvent présent dans la région du Sud et regroupe majoritairement les femmes qui mettent en avant les objectifs de solidarité (assistances mutuelles diverses en cas de maladie ou d’évènement heureux) et la promotion des valeurs culturelles (danses traditionnelles, promotion de la culture du village d’origine, etc.). Pour ses membres, un tel type d’organisation constitue un lieu d’évasion pour échapper soit au contrôle familial, ou au contrôle conjugal. Dans ces associations, l’activité économique est moins développée. Dans le cas où cela existe, le groupe peut avoir la latitude de pouvoir disposer d’un champ collectif dont les produits des récoltes servent généralement à ravitailler la caisse dite de secours166. Parfois le groupe organise en interne une activité commerciale qui consiste à approvisionner ses membres en produits alimentaires ou autres produits ménagers courants (savons, pétrole etc.). En général, ces associations ne sont pas mixtes car elles souhaitent garantir l’intimité des discussions entre ses membres. A ce sujet, une des présidentes d’association interrogées avait précisé que « nous discutons des sujets de femmes et cela ne concerne pas les hommes ».

(ii) Conditions d’émergence et qualité des membres

La grande partie des organisations (61%) a été créée à partir de 2001 alors que les dispositions législatives facilitant la création des organisations de producteurs datent de 1990 et 1992, soit dix ans. Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que les premières organisations mises en place au lendemain de la promulgation des nouvelles lois ont été initiées par les interventions extérieures (ONG, projets, partenaires du développement, etc.) qui présentaient l’organisation comme le passage obligé lui permettant d’avoir accès à des aides éventuelles. Dans la majeure partie des cas, les structures mises sur pied ont très souvent résulté des

projets initiés par des élites, ressortissants de la localité ou du village, mais résidant dans des villes, qui ont pu créer des organisations, parfois à l’insu de ceux qui sont supposés en être les membres. Cette situation a été particulièrement observée dans le cadre de la mise en place du Fonds d’Appui aux Organisation Rurales (FONDAOR) au début des années 1990 et dont l’objectif était d’assurer l’autonomie et le développement des organisations paysannes en vue de faciliter leur accès par des prestataires privés. En effet le FONDAOR donnait des subventions orientées vers le renforcement des capacités des organisations paysannes à la tenue des comptes, l’appui-conseil pour l’achat groupé des intrants, l’organisation et la structuration des organisations, la préparation des micro-projets d’investissement, etc. A partir des appuis du FONDAOR, l’on a assisté à l’émergence d’une multitude d’organisations paysannes impulsées par les prestataires de service, sans ancrage logique avec la base et sans projet collectif porté ou initié par les membres. Or l’homogénéité des intérêts est généralement considérée comme le facteur majeur pour la consolidation de la dynamique sociale des groupes mais aussi pour leur activité professionnelle. Si les membres n’ont pas une identité collective, leur participation à la vie associative sera limitée ou nulle (Develtere et al. 2009)167

De manière générale, les réformes de 1990 sur la liberté d’association interviennent au moment où les effets de la crise économique sont à leur paroxysme et le législateur a voulu mettre en place un cadre juridique suffisamment souple de manière à inciter ceux qui souhaitaient entreprendre des activités économiques à pouvoir le faire sans entrave. C’est ainsi que certains opérateurs ont vite compris que le statut de GIC leur permettait d’échapper à la fiscalité. Pour bénéficier des retombées du dispositif d’incitation à la création des organisations, des acteurs d’un autre type ont vu le jour et se sont improvisées comme encadreurs des agriculteurs et du mouvement coopératif sans avoir ni la qualification ni même les compétences nécessaires. Cette situation nouvelle a généré au sein de la chaine d’acteurs impliqués dans l’accompagnement des organisations paysannes, des agents de développement médiocres et opportunistes dotés d’un professionnalisme approximatif et ayant eu pour conséquence logique et évidente de favoriser la

167

Develtere, P., Pollet, I ., Wanyama, F., 2009. L’Afrique solidaire et entrepreunariale : la renaissance du mouvement cooperatif africain. Bureau International du travail. 402p.

création d’une multitude de groupements paysans n’ayant très souvent d’existence réelle que sur le papier.

La majorité d’entre elles, n’a pas résisté longtemps après la clôture des mesures incitatives apportées par les projets ou lorsque l’aide tant attendue n’était pas arrivée. Cette analyse est en phase avec les résultats du diagnostic effectué par le MINADER en 2007168 sur 270 structures coopératives ayant révélé que 15% seulement parmi les organisations recensées seraient effectivement fonctionnelles. Parmi celles-ci, plus de la moitié, c’est-à-dire, 53,5% ont été créées après 1997. Les raisons évoquées pour expliquer cette situation anachronique pourraient avoir deux origines incluant aussi bien le désintérêt des membres d’une part, suite aux attentes non comblées (l’organisation était sensée dès sa création attirer les financements), et la cessation d'activité ou même la disparition de la plupart de ces structures pour résultats économiques non satisfaisants d’autre part.

La structuration des groupements de base en entités fédératives reste faible. En effet, l’enquête montre que 21% seulement des groupes se sont fédérés en unions. Les organisations de base, plus nombreuses (65%), couvrent une zone d’action plus restreinte, le village et, dans une certaine mesure l’arrondissement (50%). La taille de ces organisations est réduite (5 à 30 membres). Le lieu de recrutement de leurs membres est le noyau familial au sens large. En effet, les membres sont issus de leur voisinage immédiat (75%).

Les critères non explicites de recrutement des membres au sein de ces différentes associations accordent une place importante à la classe d’âge et parfois à la parenté qui sont très souvent considérées comme les deux facteurs les plus importants susceptibles d’influencer et/ou de réguler la vie sociale dans les sociétés traditionnelles africaines. Dans ce système, d’autres normes additionnelles telles que la solidarité, la hiérarchie, l’hérédité, la répartition des taches selon le sexe entrent également en jeu pour orienter le fonctionnement global de la société et spécifiquement les organisations paysannes. Il est important de rappeler que la parenté constitue un des paramètres importants de l’organisation sociale dans le

contexte africain. En effet, et selon Merle, (1968)169, le critère de parenté est souvent perçu comme un élément essentiel de constitution des groupes sur les plans politique, économique ou religieux. A ce titre, cet auteur précise que l’appartenance à un groupe de parenté contribue au développement des liens profonds de solidarité entre des entités qui entretiennent des rapports susceptibles d’être régis par des principes de hiérarchie préalablement établis. Ainsi, selon Merle, et sur la base de ces principes, aucun individu ne saurait s’approprier le statut d’un autre, mais pourrait raisonnablement prétendre occuper une position inférieure ou supérieure par rapport aux autres membres de son groupe.

Sur la base de ce qui précède, il est possible d’affirmer que si les organismes de développement et les pouvoirs publics projettent une image des organisations paysannes fonctionnant sur les critères techniques et économiques, l’on ne devrait pas ignorer les aspects socioculturels qui constituent le parfait reflet de la dynamique des groupes170. Dans cette perspective, le problème de l’adaptation des groupes ancrés dans leur milieu villageois, aux conditions modernes trouve sa pleine justification et se pose avec force. Aussi, les réformes intervenues dans le secteur agricole, basées sur la promotion des nouvelles formes d’associations à vocation essentiellement économique, ont-elles du mal à s’intégrer dans un milieu social où les fondements socioculturels et les représentations sociales canalisent les pratiques des acteurs sociaux. A la lecture du critère de la parenté, il est donc possible d’en conclure que les organisations paysannes sont préférentiellement constituées sur des bases permanentes élaborées dans une perspective de durabilité, dans la mesure où cette référence sociale n’est pas conjoncturelle comme le seraient celles relatives aux considérations économiques essentiellement basées sur les notions d’utilité et de profit. En d’autres termes, la jeunesse de ces organisations ne serait donc qu’apparente étant donné que les groupes d’entraide ont toujours existé dans le milieu villageois.

169 Merle, M., 1968. L’Afrique noire contemporaine. Paris, Armand Colin.

170 « la dynamique des groupes est la façon dont un groupe, assez restreint pour que ses membres soient en

contact direct les uns avec les autres (face to face relationship) s’organise, se structure, s’articule et évolue, c’est-à-dire constitue un microcosme social ». Guy Rocher, 1968. Introduction à la sociologie générale. Edition

Sur un plan plus concret, l’on pourrait faire remarquer que la plupart des groupes de base n’est pas mixte. Ce constat trouve sa possible justification dans le fait qu’au sein de la société traditionnelle africaine, la répartition du travail basée sur le sexe est une valeur culturelle importante. Elle est fondée sur le principe selon lequel certaines tâches sont réservées exclusivement, soit aux hommes, soit aux femmes (Merle, op. cit.). Un tel principe, lorsque scrupuleusement observé, présente la particularité de réguler le mode d’organisation sociale au sein de nombreuses communautés. Apportant des explication sur le constat d’existence d’un nombre très réduit de groupes mixtes dans les villages, une agricultrice membre d’un groupement de femmes a indiqué que «le groupement n’est pas simplement un lieu de travail collectifs comme l’on pourrait penser. C’est également un lieu d’échange, très libre entre les femmes sur leurs expériences et leurs conditions de femme au sein des ménages et sur le rôle qu’elles peuvent jouer dans la société. A travers le groupement, les femmes acquièrent de nouveaux arguments et de nouvelles idées qu’elles vont par la suite utiliser individuellement au sein de leurs ménages pour transformer discrètement la société de l’intérieur en influençant les décisions des hommes dans la famille et dans le village». Aussi, les réalités sociales du milieu où sont constituées les organisations paysannes devraient-elles être prises en compte dans l'interprétation des réponses des paysans aux interventions extérieures.

En toute hypothèse, l’on pourrait arguer que l’initiative de formalisation des groupements par l’obtention des certificats d’existence est dans la plupart des cas exogène au milieu. En effet la légalisation généralement présentée comme une condition obligatoire pour accéder aux appuis multiformes de l’Etat et des partenaires au développement tend à artificialiser le milieu en créant des structures déconnectées de la réalité de leur milieu social originel. La démarche de légalisation des groupements est souvent perçue par la majorité des paysans comme étant complexe et coûteuse. Lorsque les paysans à la base se trouvent confrontés à la nécessité de légaliser leur groupement, ils confient cette responsabilité à des intermédiaires, en général des agents des ONG, de l’administration ou parfois des élites venant de la ville qui sont supposés avoir une bonne connaissance du administratif en question. L’examen des documents statutaires des groupes enquêtés (statut et règlement intérieur) fait ressortir à dessein que les dispositions règlementaires sont identiques d’un groupe à un autre. Il s’agit parfois de textes

rédigés par une même structure d’appui qui offre ses services au groupe en échange de son rôle d’intermédiaire face aux structures de financement. A cet effet, il est très courant d’entendre les ONG d’appui parler de « leurs organisations paysannes » comme s’il s’agissait de leur propriété. Très souvent, en dehors du principal responsable et, dans une certaine mesure des membres du bureau exécutif, les textes statutaires sont peu ou pas du tout maitrisés. Il coexiste à cet effet des règles informelles, basées sur la tradition orale, dont les membres se souviennent, aux côtés des règles plus formelles, proposées par des structures d’appui et qui ne servent qu’à permettre au groupe d’avoir une reconnaissance officielle.

Concernant les modalités de prise de décision et de fonctionnement, les principes démocratiques sont généralement mis en avant (dans 91% des structures échantillonnées). Cette caractéristique déclarée peut cependant être discutable compte tenu de la base parentale des groupes. En effet, l’existence de liens familiaux entre les membres d’une même organisation paysanne pourrait être de nature à faire obstacle au processus de prise de décisions, dans la mesure ou celles-ci ne seraient que peu objectives, en raison de leur référence aux pratiques traditionnelles en vigueur, tel que précédemment suggéré. Aussi, parler de démocratie au sens occidental du terme (égalité des membres, vote des dirigeants, etc.) ne signifierait-il pas d’admettre qu’on assiste à un bouleversement systématique du fonctionnement de la société traditionnelle dans sa globalité à travers laquelle la règle du droit d’ainesse serait de plus en plus ignorée?

Notre enquête a révélé que 65% au moins des responsables des groupes échantillonnés ont une moyenne d’âge comprise entre 41 et 50 ans. Traditionnellement cette tranche d’âge est généralement considérée comme l’âge de la maturité, ce qui permet à l’individu d’intégrer facilement l’organisation traditionnelle et socioculturelle du milieu local. Ainsi, et tenant compte de ce paramètre, les responsables des organisations paysannes peuvent être considérées comme des personnes devant assurer l’interaction entre les organisations paysannes et les autres structures sociales ou traditionnelles de leur milieu d’appartenance telles que la chefferie. Le choix des responsables peut donc être interprété comme étant élitiste car ces derniers sont coptés parmi les personnes qui

ont une assise sociale ou matérielle certaine, étant donné qu’ils sont censés gérer au mieux, les activités du groupe, tout en maintenant un lien permanent avec la société dans sa globalité. Dans un autre registre, il a pu être constaté que 80% des responsables ont au moins le niveau «bac + 4». Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que le niveau d’éducation confère à l’individu, en plus de l’âge, une plus grande considération au sein du milieu social dans lequel il se trouve du fait de sa

Outline

Documents relatifs