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Les nouveaux questionnements au Sud

On omet encore fréquemment de signaler et de souligner, quand il est question de l’Atlantique et de « transatlantisme », les transformations en cours dans les relations Sud-Sud et surtout l’éventualité qu’il puisse exister quelque chose comme une communauté historique de l’Atlantique Sud autour de l’axe formé du Brésil et de l’Afrique du Sud 57.

L’établissement d’une Zone de paix et de coopération de l’Atlantique Sud (ZPCAS) à l’instigation du Brésil, en 1986, marque un changement d’approche et de stratégie à la fois important, significatif et révélateur de la part des pays concernés 58. Il s’agissait alors –au lendemain du [15] retour à la démocratie au Brésil et en Argentine, rappelons-le – de viser deux objectifs. Le premier était de prendre ses distances vis-à-vis de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest et de ses prolongements en Namibie et en Angola – deux guerres dans lesquelles l’Afrique du Sud était impliquée. Le second objectif visait à soustraire l’Atlantique Sud aux velléités de remilitarisation portée par les EUA et le Royaume-Uni au lendemain de la guerre des Malouines 59.

57 Pour un survol des relations entre le Brésil et l’Afrique du Sud, voir : Lyal White, « Relações do Atlântico Sul : ZOPACAS, SACU-Mercosul et outras » dans Marianne Wiesebron et Richard T. Griffiths, dir, Processos de integração regional e cooperação intercontinental desde 1989, Porto Alegre, UFRGS Editora, 2008, pp. 295-321.

58 En anglais Zone of Peace and Co-operation in the South Atlantic (ZPCSA). La zone compte 24 membres, trois en Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Uruguay) et 21 en bordure africaine (Afrique du Sud, Angola, Bénin, Cameroun, Cap Vert, Congo, RDC, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Namibie, Nigéria, Sao Tomé, Sénégal, Sierra Leone, Togo). La zone prévoit quatre domaines d’action : (i) l’environnement et notamment la protection des ressources marines de l’Atlantique Sud ; (ii) la dénucléarisation ; (iii) les échanges interpersonnels ; et (iv) les initiatives économiques et commerciales.

59 La guerre des Malouines de 1982 – également connue sous le nom de

« guerre de l’Atlantique Sud » – remettra à l’ordre du jour l’idée de la création d’une Organisation du Traité de l’Atlantique Sud (OTAS) – calquée sur l’OTAN – qui aurait conduit à une nucléarisation de l’Atlantique Sud pour combler le vide stratégique qui prévalait à l’époque. Or, il faut rappeler

D’ailleurs, la simultanéité entre le retour à la démocratie en Amérique du Sud (Argentine en 1983, Brésil et Uruguay en 1985 et Chili en 1989) et la fin de l’apartheid en Afrique du Sud (1991), ainsi que les nouvelles perspectives de coopération régionales qui se profilaient alors, ont poussé Greg Mills, dès la fin des années 90, à évoquer l’idée d’une communauté Sud Atlantique 60. Il écrivait alors :

the states of Southern Africa and Latin America face many common problems, in part derived from similarities in their colonial past. Both regions have emerged from decades of authoritarian rule, and are suffering high crime rates, violence, corruption and economic instability. Both are concerned with the need to uplift poor communities, and with the effect that liberal economic reforms will have on these groups – hence, for example, the continued demand in South Africa for the effective implementation of its Reconstruction and Development Programme (RDP), and in Latin America for spending on its 'social agenda'.

Mais l’appel à une collaboration navale renforcée ne constituait tout au plus qu’un embryon de communauté Sud Atlantique étant donné que la ZPCAS ne disposait pas encore d’une organisation en bonne et due forme, et que le projet de créer une Association de la bordure de l’Atlantique Sud (South Atlantic Rim Association, SARA) sur le modèle de celle qui réunissait les pays de l’Océan Indien depuis 1997 tardait à se matérialiser 61. Cela dit, les [16] relations entre le

à ce propos que plusieurs traités négociés et signés dès avant la fin de la Guerre froide entre pays d’Afrique et d’Amérique latine, entre autres, visaient précisément à faire de l’Atlantique Sud un zone libre d’armes nucléaires (nuclear-weapon-free zone). Voir Moses B. Khanyile, Revisiting the Zone of Peace and Co-operation in the South Atlantic : a South African perspective, UNISA, 1999. En ligne.

60 Voir Greg Mills, « South-African-Latin American Maritime Co-operation : Towards a South Atlantic Rim Community ? » Diplomats and Defenders, février 2007, Monograph no 9. En ligne.

61 Nous avons déjà cité le nom de la Indian Ocean Rim-Association for Regional Cooperation (IOR-ARC) à la note 3. Cette association a été connue à l’origine sous le nom d’Initiative de la Bordure de l’Océan Indien (Indian Ocean Rim Initiative). Elle compte 18 pays membres et elle a été officiellement lancée en mars 1997. « The Indian Ocean Rim defines a distinctive area in international politics consisting of coastal states

MERCOSUR et l’Afrique du Sud prendront une tournure plus formelle, en 1998, lorsque le président Nelson Mandela sera invité à prononcer une conférence au 14e Sommet des Chefs d’État du MERCOSUR, à Ushuaia en Argentine, devenant ainsi le premier à ce faire, le second étant le président Thabo Mbeki, deux ans plus tard. Le voyage de Mbeki permettra également de lancer des négociations devant conduire à la création d’une Zone de libre-échange entre l’Afrique du Sud et le MERCOSUR, un processus qui devait s’avérer long et sans grand résultat 62.

Mais la conjoncture est en passe de changer depuis que les pays membres de l’Union douanière sud-africaine (Southern African Customs Union, SACU) et ceux du MERCOSUR 63 ont conclu un Accord commercial préférentiel, en 2004 64, substitué par un nouvel accord en 2008, ce qui laisse présager que le projet de zone de libre-échange est susceptible de se réaliser, sans pour autant minimiser les embûches que le projet devra surmonter surtout parce que les deux partenaires exportent les mêmes produits. À noter, au passage, le rôle qu’ont pu jouer à cet égard deux facteurs qui ont sans conteste permis de relancer des négociations entre le Brésil et l’Afrique du Sud qui trainaient en longueur. Ce sont, le premier, l’échec annoncé des négociations entourant la création d’une ZLEA 65, et le second, l’étirement, puis l’abandon des négociations d’un accord de

libre-bordering the Indian Ocean. It is a region of much diversity, in culture, race, religion, economic development, and strategic interests. The countries vary in the size of their populations, economies, trade, and technological development and in the composition of their GDP. A number of sub-regions are evident, for example Southern and Eastern Africa, the Horn of Africa and the Red Sea, South Asia, Southeast Asia, and Australasia. It also includes a number of regional organisations, such as ASEAN, GCC, SAARC, and SADEC ». En ligne.

62 Voir Lyal White, ibid., p. 303.

63 L’union comprend cinq pays : l’Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland. Le MERCOSUR en comptait quatre à l’époque : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.

64 À son tour, l’accord de 2004 était fondé sur l’Accord-cadre entre l’Afrique du Sud et le MERCOSUR, signé en 2000.

65 L’autre facteur, interne cette fois, qui explique pourquoi ces négociations n’ont abouti qu’en 2004, c’est la crise économique qui frappe l’Argentine, en 2001.

échange entre les EUA et l’Afrique du Sud 66, deux facteurs qui illustrent bien à quel point les EUA étaient en perte d’influence de part et d’autre de l’Atlantique Sud au tournant des années 2000.

Pour sa part, l’Afrique du Sud avait négocié en parallèle un Accord commercial préférentiel avec l’Inde – signé en 2006 – pavant ainsi la voie à la négociation d’une [17] éventuelle alliance commerciale à trois entre le MERCOSUR, l’Inde et l’Afrique du Sud 67.

Ces initiatives ont été en grande partie alimentées par l’Institut Sud-africain d’études internationales (South African Institute of International Affairs [SAIIA]) qui a publié de nombreux travaux sur ces questions et qui a organisé deux conférences, en 1998 et en 2000, aux fins d’encourager le dialogue entre l’Afrique du Sud – plus précisément à l’époque, entre la Southern African Development Community (SADC) –, et le MERCOSUR 68.

Symétriquement, plusieurs universités à Rio de Janeiro, à São Paulo et à Brasilia, entre autres, ont créé des instituts et des centres de recherche qui se sont consacrés à ces questions. Nous nous contenterons de citer un nom, celui du Centre de stratégie et relations internationales (Nucleo de Estratégia e Relações Internacionais, NERINT) de l’Institut latino-américain d’études avancées (ILEA) de l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul (UFRGS), à Porto

66 Ces négociations, lancées en novembre 2002, ont finalement été suspendues en avril 2006. À la place, les partenaires ont plutôt choisi de signer une Entente de coopération en matière de commerce, d’investissement et de développement (Trade, Investment and Development Cooperation Agreement, TIDCA), en juillet 2008. Voir Danielle Langton, United States-Southern African Customs Union (SACU) Free Trade Agreement Negociations : Backgroung and Potential Issues, Report for Congress, 24 juillet 2008.

67 Cette question a d’ailleurs été abordée lors de la rencontre du Forum IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud) de 2005. Voir Michael C. Bratt, MERCOSUR-SACU FTA : Strenghtening relations across the South Atlantic, Briefing Paper, CUTS-CITEE, 2, 2005. Par ailleurs, on trouvera un bref historique de ces realations à trois dans Lyal White, supra note 54, pp.

309-16.

68 « SAIIA is a non-governmental research institute focused on South Africa’s and Africa’s international relations. We provide analysis, promote dialogue and contribute to African policy making in a dynamic global context. » En ligne.

Alegre. Le centre s’est donné pour mandat l’étude des grandes puissances du système international (EUA, UE, Chine et Russie), mais aussi celle de trois régions : l’Amérique du Sud, l’Afrique australe et l’Asie du Sud 69.

Quant au Maroc, après avoir approfondi la dimension maghrébine et méditerranéenne de la gouvernance régionale et s’être engagé à fond dans le projet d’Union pour la Méditerranée, le Haut Commissariat au plan (HCP) a cherché à élargir le positionnement stratégique du pays en se tournant vers la communauté de destin et d'intérêt de l'espace atlantique. Pour le HCP,

l'ouverture atlantique est, avec l'appartenance méditerranéenne et l'identité africaine, constitutive de la personnalité stratégique multidimensionnelle du Maroc. La perspective atlantique constitue donc le cadre naturel pour l'élargissement de la [18] réflexion prospective pour le Maroc, comme pour d'autres pays riverains pour lesquels il n'y a pas de discontinuité stratégique entre l'Atlantique Nord et Sud 70.

C’est donc à partir de cette idée de transversalité atlantique que le HCP a lancé, en mai 2009, l’Appel de Skhitat et le projet d’Initiative tricontinentale Atlantique. En effet, pour le HCP, « la transversalité atlantique recèle des synergies insoupçonnées et offre des opportunités de co-développement particulièrement adaptées à la conjoncture actuelle et à des questions globales comme la cohésion sociale, le développement durable, le changement climatique et la biodiversité, la sécurité maritime, les migrations, le terrorisme et les trafics de tous genres » 71.

L’Appel de Skhirat a été suivi de plusieurs initiatives tant gouvernementales que non gouvernementales qui lui ont donné consistance et crédibilité et qui ont su, ce faisant, conforter la pertinence du concept de transversalité atlantique.

69 Par ailleurs, il convient de noter que le Centre d’études Brésil-Afrique du Sud (Centro de Estudos Brasil-Africa do Sul, CESUL) a été créé en 2005, en tant que programme de recherche et d’études du NERINT. En ligne.

70 Texte tiré de la Présentation de l’Initiative tricontinentale Atlantique sur le site du HCP. En ligne.

71 Ibid.

Cet appel avait été précédé par l’adoption, en mai 2007, dans la foulée du 2ème Sommet Amérique du Sud-Pays Arabes (ASPA) 72, de la Déclaration de Rabat et du Plan d’Action de Rabat des ministres en charge de l’Economie qui visaient le renforcement du partenariat et de la coopération Sud-Sud. Les Sommets ASPA représentent une innovation fort intéressante et fort ambitieuse en termes de rapprochement à grande échelle entre deux régions du Sud.

On peut également mentionner à cet égard la convocation de la première Conférence ministérielle des États Africains Riverains de l'Atlantique, les 3 et 4 août 2009, qui a adopté la Déclaration de Rabat qui précise le cadre [19] institutionnel d'une coopération reposant sur des plans d'action précis et la tenue régulière de réunions 73.

Plus récemment, en juin 2011, la German Marshall Fund (GMF) a co-organisé avec la Fondation OCP du Maroc un Forum Atlantique, première d’une série d’initiatives qui devrait se dérouler sur une base annuelle 74 :

The forum was organized around the theme of Rethinking the Atlantic Agenda, and brought together some 70 participants from 20 countries to explore emerging policy issues in the Atlantic basin. The debate emphasized issues affecting West Africa, Latin America and the

« southern » dimension of transatlantic relations 75.

72 L’ASPA réunit 34 pays : 12 d’Amérique du Sud et 22 pays arabes. Les sommets sont coordonnés et soutenus à la fois par la Ligue des États arabes (LEA) et par l’Union des nations sud-américaines (UNASUR). Les 22 de la LEA sont : Algérie, Bahreïn, Comores, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Mauritanie, Maroc, Oman, Palestine, Qatar, Arabie saoudite, Somalie, Soudan, Syrie, Tunisie, Yémen.

L’UNASUR rassemble tous les pays d’Amérique du Sud sauf la Guyane française, qui est membre de l’UE.

73 Ont participé à cette réunion, les pays suivants : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Cameroun, Cap Vert, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Libéria, Maroc, Mauritanie, Nigeria, République Démocratique du Congo, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Léone et Togo. En ligne.

74 OCP est l’acronyme de l’Office Chérifien des phosphates. Le forum s’est tenu à Rabat du 17 au 19 juin 2011.

75 En ligne sur le site du GMF des États-Unis.

Enfin, notons, comme il a été mentionné plus tôt, que l’on assiste actuellement à un rapprochement entre deux initiatives, celle de la Commission européenne, d’un côté, et celle du HCP, de l’autre, qui ont choisi d’unir leurs forces en organisant, en novembre 2012, dans le prolongement de l’Appel de Skhirat, une conférence sous le titre

« Initiative pour une Communauté Atlantique ».

Cela dit, pour compléter ce tour d’horizon, il faudrait également recenser les communautés qui ont été édifiées autour d’enjeux dont il n’a pas été question jusqu’à maintenant, comme c’est le cas pour les communautés linguistiques transnationales qui, même si elles débordent le cadre atlantique, comme c’est le cas pour la francophonie ou la lusophonie, mériteraient sans doute d’être étudiées à travers la lentille de la transversalité atlantique. Il y a également les communautés d’affaires, les communautés de chercheurs, ainsi que les organisations sociales qui devraient être mises à contribution dans l’édification d’une ou de communautés atlantiques 76. Il y a enfin les forums, comme le Forum Europe-Amérique latine et les Sommets ibéro-américains [20] qui accueillent désormais, comme nous l’avons déjà indiqué au tout début de notre analyse, deux membres observateurs associés, le Maroc et la Guinée équatoriale.