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L’intérêt européen pour le partenariat

L’instauration de cette association constitue un point d’inflexion dans la stratégie européenne, étant donné que jusque-là, l’UE privilégiait la voie interrégionale pour dialoguer avec le Brésil.

Plusieurs éléments permettent d’expliquer la volonté européenne d’instituer avec le Brésil un canal relationnel régulier et distinct de celui existant entre l’UE et le MERCOSUR. Tout d’abord émerge la prise de conscience des décideurs européens que les chances pour le MERCOSUR de se transformer en un acteur de la scène internationale sont de plus en plus réduites. Cette nouvelle perception traduit la déception occasionnée par le MERCOSUR à Bruxelles. En d’autres termes, le projet d’intégration sud-américain a déçu les attentes des instances européennes dans le sens où, après une vingtaine d’années d’existence, le MERCOSUR n’est parvenu ni à se doter d’un organisme de négociation collectif, à l’image de la Commission européenne, ni à finaliser la zone de libre-échange et l’union douanière, ni à adopter des législations communes dans des domaines qui font l’objet de tractations entre les deux ensembles régionaux (par exemple, les services, les investissements ou les achats gouvernementaux).

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Toutefois, si l’Union n’a pas abandonné le projet de conclure un accord d’association interrégional avec le MERCOSUR, elle cherche dorénavant à réduire à un seul interlocuteur le dialogue avec la région.

La conviction qui prévaut à Bruxelles consiste à soutenir la position que l’instauration d’une relation bilatérale privilégiée avec le Brésil permettra de conclure l’accord entre l’UE et le MERCOSUR, chose qui ne s’est toujours pas avérée. Ce faisant, elle renverse la logique de la relation entretenue durant plus de vingt ans avec le MERCOSUR.

En outre, le message émis par l’UE s’oppose à sa traditionnelle doctrine interrégionaliste et son penchant pour le dialogue avec des groupements régionaux. Enfin, cette nouvelle approche, qui a reçu un accueil défavorable dans le reste du Cône sud-américain, tend à alimenter la fragmentation et la rivalité intra-latino-américaine vu que

certains États – à l’instar de l’Argentine – réclament dorénavant de la part de Bruxelles le même statut que celui octroyé au Brésil.

L’intérêt de l’UE à entretenir des relations directes et régulières avec le Brésil s’explique également par des considérations exogènes.

Les instances décisionnelles européennes ont pris acte des transformations progressives que connaît la scène internationale et de la diffusion progressive du pouvoir mondial qu’impliquent la montée en puissance de la Chine, le retour progressif de la Russie en tant que pouvoir politique à vocation planétaire et l’affirmation internationale de l’Afrique du Sud, de l’Inde ou du Brésil. Le poids de l’Asie et des pays émergents dans l’économie mondiale croit au détriment des pays occidentaux. D’ailleurs, le classement des économies mondiales montre notamment que les pays européens reculent au profit des pays émergents. Le cas du Brésil est à ce titre évocateur. En 2011, ce pays est devenu la sixième puissance économique mondiale devant le Royaume-Uni 102. Depuis une dizaine d’années, le Brésil s’affirme comme un acteur de plus en plus influent de l’arène mondiale, tant sur le plan économique que diplomatique. Son économie s’est renforcée et diversifiée, ses entreprises se sont consolidées et certaines d’entre elles se sont internationalisées, investissant des milliards d’euros à l’étranger et concurrençant les [44] entreprises des pays industrialisés.

Le Brésil est récemment devenu autosuffisant en pétrole, ses partenaires commerciaux se sont multipliés et son poids dans le commerce mondial n’a de cesse d’augmenter, ses réserves de changes ont atteint plus de 200 milliards d’euros. À tel point que désormais, c’est lui qui se trouve en situation de bailleur de fonds auprès du Fonds monétaire international (FMI) et qui se propose de secourir son ancien colonisateur portugais en proie à une crise économique et financière sans précédent. Par ailleurs, les sources de financement des programmes de soutien aux pays en développement ont connu ces dernières années une telle progression (3 milliards d’euros) que le Brésil fait dorénavant partie des principaux donateurs mondiaux pour les pays pauvres. Le Brésil n’hésite pas à mobiliser ces atouts à des fins politiques et stratégiques. En outre, cette situation lui a permis d’accéder à une crédibilité internationale sans précédent et à susciter un considérable effet d’attraction auprès des États et des opérateurs

102 Center for Economics and Business Research (CEBR), « Brazil has overtaken the UK’s GDP », 26 décembre 2011. En ligne : CEBR.

économiques étrangers. La consolidation de son poids sur la scène mondiale doit aussi beaucoup au volontarisme décomplexé des élites en charge des relations extérieures du pays. Ces dernières années, le Brésil a déployé une diplomatie énergique et multidirectionnelle sans précédent, décuplant sa visibilité internationale. Celle-ci s’est également traduite par une augmentation substantielle des représentations diplomatiques (ambassades et consulats) du pays dans le monde (de 155 à 224), une consolidation de l’ancrage régional du pays et des rapports avec les puissances du Nord, le développement d’une coopération Sud-Sud aussi bien avec les puissances émergentes que les pays en développement, et le renforcement de sa présence tant dans les fora multilatéraux (OMC) et/ou clubs de puissance (IBSA 103, BRIC 104, G20 105) et de son influence dans les débats internationaux (sur le climat et le commerce, entre autres). Dès lors, sceller des

« partenariats stratégiques » avec ce type d’acteur ne revient pas seulement à s’assurer des retombées économiques et commerciales. Il s’agit également pour l’UE de développer une concertation internationale par rapport à des thématiques qui lui sont chères – telles que le climat, le commerce ou l’énergie – voire sécuritaires avec les puissances [45] émergentes et, partant, à retirer des bénéfices en termes de reconnaissance internationale et démontrer qu’elle est à même de se positionner sur une scène internationale de plus en plus hétérogène. En effet, l’Europe est soucieuse d’apparaître sur la scène internationale comme un « acteur plus crédible et un partenaire plus influent » 106.

À ce propos, et c’est là une autre raison du rapprochement avec le Brésil, l’UE a pris acte des menaces que fait peser l’essor de ces nouvelles puissances sur sa présence internationale. Ainsi, les intérêts

103 Ce forum agit au niveau des instances multilatérales pour favoriser les intérêts commerciaux et l’adhésion permanente au Conseil de sécurité des Nations unies des pays qui le compose (Brésil, Inde et Afrique du Sud).

104 Forum de dialogue politique qui réunit les autorités des quatre pays qui le composent, à savoir le Brésil, la Russie, la Chine et l’Inde.

105 Groupe de pays rassemblant les pays industrialisés et émergents en vue de favoriser la concertation internationale.

106 Voir Javier Solana, « Une Europe sûre dans un monde meilleur » texte présenté au Conseil européen de Thessaloniki, 20 juin 2003, p.15 ; Commission européenne, Brésil. Document de stratégie pays : 2007-2013, Z/2007/889, 14 mai 2007, p. 3.

des entreprises européennes en Amérique latine sont de plus en plus concurrencés par l’expansion économique des puissances émergentes asiatiques. C’est plus particulièrement le cas de la Chine qui, depuis 2004, n’a cessé d’investir dans les infrastructures, le transport et la technologie des pays sud-américains. Elle se positionne également dans le secteur de l’automobile ou des marchés publics et devient un client incontournable pour les matières premières (soja, sucre, pétrole, minerai de fer, bois). Alors que les échanges commerciaux entre l’UE et l’Amérique du Sud se contractent et que les investissements européens dans la région diminuent sous les effets de la crise économique européenne, la Chine poursuit sa conquête des parts de marché sud-américain. Les fulgurantes avancées chinoises dans la région ont notamment eu pour conséquence de projeter l’empire du milieu parmi les premiers investisseurs et partenaires commerciaux du Brésil. Cette progression chinoise concerne également d’autres pays de la région, tels que l’Argentine, Cuba, le Pérou et le Chili. La Chine a d’ailleurs signé avec ces deux derniers des accords de libre-échange respectivement en 2005 et 2006 et investit massivement dans le secteur minier de ces pays. À ce titre, avec plus d’un milliard d’euros, le Pérou est devenu la première destination des investissements chinois en Amérique latine. Dès lors, les dernières prévisions sur les répercussions de l’expansion chinoise pour les intérêts de l’Europe des 27 en Amérique latine laissent entrevoir d’ici 2015 un déclassement de l’acteur européen au profit de la Chine 107. En nouant des relations étroites avec le Brésil, l’UE espère ne pas se faire distancer par [46] la Chine, d’autant qu’il demeure sans aucun doute le plus important partenaire économique et commercial pour l’Amérique latine. L’économie lusophone est devenue, en 2011, le neuvième partenaire commercial de l’Union et représente un tiers du commerce latino-américain avec le bloc européen. Par ailleurs, 52 % des investissements étrangers au Brésil sont d’origine européenne.

Ces investissements s’élèvent à quelque 80 milliards d’euros contre 25 milliards pour la Chine et se concentre essentiellement dans le secteur tertiaire 108. En se rapprochant du Brésil, l’Europe espère

107 Osvaldo Rosales, « La República Popular de China y América Latina y el Caribe : hacia una relación estratégica », texte présenté à la Commission économique pour l’Amérique latine de Santiago (Chili), LC/L.3224, mai 2010.

108 Voir Commission européenne supra note 12.

préserver sa place de premier investisseur et partenaire commercial face à la montée en puissance de la Chine au Brésil.