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CHAPITRE 3 LE CADRE CONCEPTUEL

3.4. Notre utilisation des modèles

Les modèles se différencient selon que l’accent est mis sur des groupes (coalitions) ou sur des individus (entrepreneurs) et leur contexte. Pour Sabatier et Jenkins-Smith (1999 ; 2009), la politique publique est définie comme le produit de systèmes de croyances en compétition et dont l’élaboration procède par de multiples confrontations/négociations entre différents groupes d’acteurs. Cependant, ces groupes, appelés coalitions, ont un fonctionnement plutôt « mécanique » et existent dans un environnement qui laisse peu de place à l’incertitude et aux effets inattendus dont Kingdon tient compte dans sa théorie des courants et que Walt étudie à travers son analyse du pouvoir. Par rapport à l’élaboration de la politique, Sabatier affirme que le processus est dominé par une élite d’opinion. L’impact de l’opinion publique est plutôt modeste ; si l’on veut comprendre le changement de la politique, on doit se

centrer sur l’opinion de l’élite et sur les facteurs qui produisent les changements dans une période de temps relativement longue. Les élites, à l’intérieur des organisations, modèlent l’image de l’entourage extérieur pour faciliter leurs choix stratégiques (Parsons 1995).

Pour notre recherche, la politique est considérée comme un processus d’établissement d’orientations des actions qui a lieu au cœur des systèmes de croyances et des valeurs d’une société. Ce processus, mené par des groupes d’acteurs (coalitions) et par des individus (entrepreneurs) à travers de multiples confrontations/négociations, a comme conséquence autant la décision d’agir que celle de ne pas agir.

Le modèle de Kingdon (1984), par sa capacité à considérer la complexité autant des contextes que des questions qui auront une influence majeure sur la construction de l’agenda, nous apparaît pertinent pour comprendre comment la promotion s’imbrique dans la politique nationale de santé. Pour ce faire, il faut observer le processus par lequel la promotion de la santé est mise à l’agenda de ceux qui définissent la politique nationale de santé.

La théorie de Kingdon conçoit la politique en interaction avec des entourages politiques complexes (Goumans, 1997) ; il prête une attention particulière à ce qu’il y a d’imprévisible dans le processus politique et à l’établissement de l’agenda. Son modèle donne un cadre théorique solide pour l’étude des processus politiques non structurés (Goumans, 1997). Il inclut l’analyse des concepts tels que l’incertitude, les environnements complexes, le pouvoir, l’influence, l’argumentation, les bénéfices, l’interprétation et le contenu (Goumans, 1997). De plus, contrairement au modèle de Sabatier, qui attribue aux coalitions une certaine homogénéité interne, Kingdon (1984) considère que, dans des communautés politiques fragmentées, les participants diffèrent dans leurs savoir-faire, ne partagent pas le même paradigme et ont un système de communication très faible. Il soutient donc que, plus une communauté

politique est fragmentée, plus il existe la possibilité d’un changement soudain d’agenda.

Le modèle des coalitions plaidantes (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 ; 2009) propose un ensemble d’hypothèses et de prédictions à valider que nous n’avons pas retenus pour notre recherche. La littérature fait ressortir des critiques qui justifient notre choix : 1) les hypothèses sont issues du contexte américain pour lequel le modèle a été créé. Une étude menée en Angleterre a montré les limites du modèle dans des systèmes politiques peu ouverts ou dans lesquels les acteurs des différentes institutions ont peu de contacts ; 2) le modèle est pertinent pour identifier le « style » politique quand il existe un processus d’élaboration de politique « pluraliste américain » (degré de consultation des acteurs important). Si ce n’est pas le cas, il s’avère moins approprié ; 3) le modèle présuppose que les gouvernements des sociétés modernes fonctionnent en réseau avec un degré de décentralisation important. Dans des systèmes politiques avec une tradition importante de centralisation autant territoriale que de distribution du pouvoir, il s’avère moins approprié ; 4) l’apprentissage politique est restreint à quelques acteurs (ceux du sous- système) et néglige l’opinion publique et l’action collective dans le processus de changement (Parsons, 1995 ; Breton, 2005).

Dans notre recherche portant sur l’Amérique latine, nous soutenons que les pays à l’étude ont des caractéristiques et des situations tout à fait différentes (style des gouvernements, processus d’élaboration de la politique, modalités de consultation des acteurs) des pays développés pour lesquels ce modèle a été conçu et appliqué.

Malgré les limites mentionnées précédemment, le modèle de Sabatier et Jenkins- Smith, (1999 ; 2009) a des forces importantes qui ont été aussi signalées par la littérature : 1) il considère la politique comme un ensemble dynamique d’actions et de valeurs ; 2) il donne un cadre théorique solide pour « cartographier » les idées et les acteurs du processus d’élaboration de la politique ; 3) il place l’analyse de la politique et des croyances au cœur de l’étude (Wait, 2004 ; Parsons, 1995). Le

modèle est un outil valable pour l’analyse des phases initiales du processus politique : définition et établissement de l’agenda, prise de décision et implantation.

Le modèle des coalitions plaidantes (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999 ; 2009) pris comme cadre élargi, nous donne l’orientation pour l’identification des deux niveaux d’analyse que nous présentons dans le point suivant. Ce modèle est particulièrement intéressant par sa délimitation du sous-système politique constitutif d’un champ favorisant l’identification des acteurs et les coalitions clés qui influencent ou conduisent le changement politique.

Le modèle des courants politiques (Kingdon, 1984) nous permet d’identifier les fenêtres d’opportunités (ou des contraintes) perçues par les décideurs et donc de mieux comprendre l’étape de la mise à l’agenda de la promotion de la santé.

Finalement, le modèle de Walt (1994), qui tient compte du rôle des organismes et des agences internationales dans la politique de santé et qui met l’accent sur la compréhension du contexte politique des pays pour comprendre le processus d’élaboration de la politique de santé, nous permet d’étudier ces éléments en profondeur en lien avec les pays de cette étude.