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CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE

2.1. La spécificité du contexte latino-américain

Les États se différentient par leur volonté et leur façon d’élaborer des politiques dans différents secteurs. Les pays dont les gouvernements ont un rôle important dans le champ de la santé – et dans le champ du social en général – ont été classifiés comme des État-providence (Esping-Andersen, 1991)11 avec différents typologies. En

11 Cet auteur propose une nouvelle typologie qu’il appelle régimes d’État-providence et en identifie trois grands

groupes : 1) l’État-providence libéral qui procure assistance aux pauvres clairement identifiés comme tels ; il existe très peu de transferts universels ou de plans modestes de prévoyance sociale. Dans ce groupe, il place les États-Unis, le Canada et l’Australie ; 2) L’État-providence conservateur ou fortement corporatif, avec une préservation des différences au niveau du statut de classe, c'est-à-dire que les droits des citoyens apparaissent liés

Amérique latine, malgré la coïncidence temporelle des processus d’indépendance des pays de la région, l’hétérogénéité des origines de l’État national ne permet pas de parler de modèle unique (Oszlak, 2007). En effet, malgré le fait que les pays de cette région ne se conforment pas exactement aux différents modèles d’États-providence identifiés dans la littérature pour les pays centraux développés (Fiori, 1997), nous pouvons toutefois identifier certains éléments tels que le contenu et l’ampleur des politiques sociales qui montrent l’existence d’un État-providence dans les pays de la région (Soares, 2009). En outre, ces pays connaissent les mêmes difficultés à se développer pleinement sur les plans économique et social, mais aussi des interruptions militaires récurrentes au cours de leur histoire (Oszlak, 2007).

Au niveau mondial, différents auteurs placent l’origine des États-providence (welfare states) dans le cadre de la naissance de la démocratie de masse vers la fin du XIXe siècle ; ceux-ci se sont consolidés après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) (Draibe, 1989 ; Fiori, 1997 ; Fleury, 2009). Pour Esping-Andersen (1991), c’est dans les années 1970 que l’on peut parler d’État-providence en tant que tel, le moment où le modèle se consolide. Il existe un consensus pour affirmer que l’État-providence est né pour répondre au processus de modernisation des sociétés occidentales visant le développement et la mise en place des politiques promouvant une plus grande égalité et sécurité socio-économique face à la Révolution industrielle (Fleury, 2009). Ces transformations se manifestent à travers la naissance des systèmes nationaux de santé, d’éducation, d’intégration ou substitution du revenu, du logement et des services sociaux, publiques ou régulés par l’État, qui auront un impact sur le niveau de vie de la population (Draibe, 1989).

Une des contributions majeures d’Esping-Andersen (1991) a été de proposer un modèle explicatif qui met en cause trois ensembles de facteurs dans l’émergence des à la classe sociale d’appartenance. L’impact en termes de redistribution est très faible. Les cas typiques sont l’Autriche, la France, l’Allemagne et l’Italie ; 3) Finalement, les régimes sociaux-démocrates où l’universalisme atteint amplement la classe moyenne et toutes les couches sociales sont incorporées au système universel des assurances dans lequel tout un chacun est à la fois bénéficiaire, dépendant et payeur. Il place dans ce groupe les pays scandinaves (Esping-Andersen, 1991).

régimes d’État-providence : a) La nature de la mobilisation de classe (et surtout la classe ouvrière) ; b) Les structures des coalitions politiques de classe ; et c) L’héritage historique de l’institutionnalisation du régime. Il identifie les structures des coalitions politiques de classe comme facteur déterminant dans la construction et l’expansion de l’État-providence : deux pays peuvent avoir des variables similaires en ce qui a trait à la mobilisation de la classe ouvrière, mais obtenir des résultats politiques très différents en raison de l’histoire particulière de la formation des coalitions dans chaque pays.

En Amérique latine, différentes classifications existent dans la littérature sur l’État : ce dernier peut être classifié comme méritocratique-particulariste « corporatif » et « clientéliste » ; le principe structurant est donné par la position de l’individu sur le marché du travail. Ce type d’État est basé sur le mérite et la performance professionnelle ; la politique sociale n’intervient que pour corriger les actions du marché (Draibe, 1989). Il peut aussi être classifié comme conservateur-corporatif, différents d’un modèle libéral ou institutionnel rédistributif, ou social-démocrate (Esping-Andersen, 1990). Pour Soares (2009), ces classifications ne sont pas suffisantes pour rendre compte de la problématique des pays latino-américains où l’absence de mécanismes efficaces de contrôle social limite l’offre de bénéfices et de services. Selon cette auteure, cela mène à une logique perverse et sans critères clairs de transfert de ressources publiques au secteur privé.

Pour Ozslak :

« Les États latino-américains ont surgi dans des sociétés qui étaient encore coloniales, dans des territoires dépeuplés qui n’avaient pas encore construit les institutions de base qui forment une société nationale (relations de production, sentiments de nationalité, structure de classes cristallisée, bases juridiques, circuits commerciaux). » (2007 : 43)

L’émergence des États nationaux dans la région est associée au besoin d’expansion du système capitaliste international en un mouvement qui a son origine à l’extérieur des frontières nationales et qui s’impose vers l’intérieur du pays sans laisser place

aux formes de production nationales ou empêchant la constitution de sujets sociaux (Fleury, 1994). Or, il s’agit d’États nationaux fragiles du point de vue institutionnel et qui se sont formés au cours de périodes historiques très courtes, devant assumer des tâches sociales pour lesquelles les pays développés ou centrales ont mis plusieurs siècles (Soares, 2009). Pour Soares, une des spécificités latino-américaines est :

« la superposition des formes avancées et retardées d’organisation politique, sociale et économique qui ont configuré une complexité particulière et unique –fragile, instable et contradictoire – dans laquelle se situent les différentes structures de la protection sociale. Ce n’est pas par hasard que ces caractéristiques correspondent aussi à notre mode de production capitaliste, périphérique, dépendante et tardive. » (Soares, 2009 : 930)

Au XXe siècle et pendant les années 1980-1990, les États-providence latino- américains sont fortement critiqués par les agences de financement internationales en raison de leur mauvaise gestion des ressources et leur inefficacité. Cette critique est incorporée par les gouvernements de la région et a sa place au centre du débat et des réformes des systèmes de santé promues vers la fin du XXe siècle (Almeida, 2002; Soares, 2009) tel que nous l’avons vu dans le point sur les réformes des systèmes de santé au chapitre 1.

Esping-Andersen (1995) souligne certains défis pour les États-providence du XXIe siècle. Dans les cas des pays d’industrialisation récente – comme ceux de l’Amérique latine – il semble nécessaire d’analyser les mécanismes institutionnels de représentation des intérêts et de construction du consensus politique. Dans des systèmes de négociation faible ou fragmentée, il peut exister un blocage majeur dans la capacité des économies à s’adapter aux changements. Cet auteur distingue les pays qui sont devenus des exemples de réforme néolibérale tels que le Chili et l’Argentine et les pays qui ont visé une certaine universalisation – surtout dans le champ de la santé – tel que le Costa Rica ou le Brésil. Cependant, pour ce dernier il souligne le haut degré de clientélisme politique et l’approfondissement de la pauvreté qui existent dans les régions urbaines et rurales, ce qui n’annonce rien de positif pour le long terme (Esping-Andersen, 1995).

Six éléments majeurs permettent de comprendre l’État et la protection sociale en Amérique latine : a) La transition démographique et épidémiologique accélérée avec impact sur la demande de services et de bénéfices sociaux ; b) La crise fiscale de l’État ; c) La naissance rapide de différentes modalités d’assurances privées et autonomes avec de nouveaux modèles dans la relation public-privé à la base du modèle étatique-privatiste ; d) L’hétérogénéité technologique ; e) L’urbanisation accélérée ; et f) L’instabilité politique et de transition démocratique dans quelques pays de la région, associée au manque de toute forme d’organisation capable de représenter les intérêts de la vie sociale dans la matérialisation de l’État (Possas, 2001).

Dans le champ du social, les tentatives néolibérales dans la plupart des pays latino- américains pendant les deux dernières décennies du XXe siècle et début du XXIe siècle sont parties des postulats suivants : 1) Le bien-être social appartient à l’espace privé (famille, communauté, services privés) ; 2) L’État n’intervient que dans des cas de pauvreté extrême ou pour produire des services que le secteur privé ne peut ou ne veut pas développer (l’État devient un État de bienfaisance et non un État de providence) ; 3) Les droits sociaux – tel que l’universalité, l’égalité et la gratuité des services – et l’obligation de la société de les garantir moyennant l’action étatique sont abolis ; 4) On procède à couper les dépenses sociales en éliminant des programmes et en réduisant des bénéfices ou en focalisant la dépense sur les groupes les plus démunis ; et 5) On privatise la production des services et la décentralisation des services publiques au niveau local (Soares, 2009 ; Esping-Andersen, 1995).

En partant d’un seul et unique modèle, les réformes de l’État et de la prévoyance sociale latino-américaines ont été implantées avec des particularités relatives au contexte national et international et surtout aux politiques adoptées par chaque pays (Soares, 2009). L’impact de l’ajustement des politiques sociales – y compris de la santé – de la région peut se résumer à trois types : a) Le premier et le plus radical mis en marche au Chili pendant la dictature de Pinochet dans les années 1980 a vu la

protection sociale étatique être assujettie à la privatisation de ses institutions. Les systèmes publics universels ont été remplacés par des assurances privées, liées au capital financier et bénéficiaires d’un énorme appui des ressources de l’État ; b) Le deuxième type a promu le démantèlement des politiques sociales peu solides et dotées de mécanismes de protection fragiles qui ont été remplacées par le travail des ONG. Le cas paradigmatique a été le Pérou ; finalement, c) Le troisième type, où l’on trouve le Brésil, a consisté en une combinaison de démantèlement des politiques sociales dont bénéficiaient les plus démunis (comme l’aide sociale) avec des réformes constitutionnelles qui ont réduit ou éliminé des droits auparavant consacrés dans la Constitution de 1988 (Soares, 2009). Ce processus a été mis en place avec l’introduction de mécanismes qui ont interrompu le processus de construction d’une sécurité sociale élargie et solidaire, basée sur les droits de citoyenneté et sur le devoir de l’État et qui englobait la santé, la prévoyance et l’assistance sociale (Soares, 2009).

Pour ce qui est des États et des systèmes de protection sociale en Amérique latine, la littérature fait ressortir les points suivants : 1) Ils ont des particularités dont il faut tenir compte telles que la superposition des formes avancées et retardées d’organisation politique, sociale et économique (Soares, 2009) ainsi que la transition démographique et épidémiologique accélérée, la naissance des assurances privées qui introduisent un changement dans la relation public-privé, l’urbanisation accélérée et l’instabilité politique ou de transition démocratique de plusieurs pays (Possas, 2001) ; 2) Il y a une absence des mécanismes effectifs de contrôle social (Soares, 2009) ; 3) Les mécanismes institutionnels de représentation des intérêts et de construction du consensus politique ont des effets sur les caractéristiques de l’État dans un pays donné : dans des systèmes de négociation faible, l’économie du pays en question peut connaître une difficulté majeure dans sa capacité à s’adapter aux changements ; 4) L’histoire particulière de la formation des coalitions dans chaque pays est un facteur déterminant dans la construction et l’expansion de l’État- providence (Esping-Andersen, 1991) ; 5) Les réformes des années 1980-1990 ont connu différentes modalités dont une plus « radicale » de privatisation de la

protection sociale et une autre de démantèlement des politiques sociales et de réformes constitutionnelles qui ont réduit des droits consacrés auparavant dans la Constitution. Nos pays à l’étude se placeraient dans ces deux modalités : pour l’Argentine, la modalité de la privatisation avec un modèle néolibéral (Esping- Andersen, 1995) et le Brésil avec une certaine universalisation limitée par des changements introduits dans la Constitution, l’empêchant d’avoir une sécurité sociale élargie et solidaire basée sur les droits de citoyenneté (Soares, 2009 ; Esping- Andersen, 1995).

Dans notre recherche, nous analysons l’organisation de l’État en matière de santé de chaque cas choisi. En tenant compte des particularités mentionnées ci-haut, nous essayons de montrer l’influence que la forme particulière des États ainsi que les caractéristiques des coalitions agissant dans le champ de la santé et de la promotion de la santé ont sur la compréhension et la place de la promotion de la santé dans la politique nationale de santé.

2.2. La compréhension de la promotion de la santé : les approches