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CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE

2.6. Conclusions de l'analyse de la littérature

À partir de la revue de littérature, on peut distinguer quatre moments - représentés dans le schéma 1 - du champ de la santé publique et de la conceptualisation de la promotion de la santé, selon les préoccupations principales des interventions visées et des recherches menées. Cette distinction est un exercice qui nous aide à mieux comprendre le moment actuel et les influences, les allers et les retours

(superposition) existants entre ces différents moments à différentes époques. Nous n’envisageons pas de proposer une vision évolutionniste/étapiste de la santé publique, mais à identifier des moments où certaines questions, préoccupations, approches et visions de la santé publique avaient priorité sur d’autres. Dans un premier moment, il existe, dans la conformation du grand champ de la santé publique, des interventions ayant pour objectif l’amélioration des conditions sanitaires pour lutter contre les maladies infectieuses. Il s’ensuit un deuxième moment où l’on reconnaît, entre autres, que l’hygiène personnelle entraîne une diminution de la transmission des maladies infectieuses et il y a donc intérêt à changer les comportements des individus à travers l’éducation pour la santé. Plus tard, dans un troisième moment, intermédiaire, nous pouvons observer la reconnaissance de l’existence de certains facteurs qui influencent la santé en dehors du système de soins ; cependant ces facteurs n’étaient pas encore théorisés ou envisagés lors des interventions. Ce moment correspond à l’identification de la promotion de la santé comme un champ valable pour l’inclusion et l’action sur des questions sociales qui contribuent à la santé. Finalement, nous arrivons au moment actuel dans lequel la santé est influencée par d’autres secteurs que, à son tour, elle tend à influencer dans l’objectif de produire de la santé.

Dans le schéma 1, on pourrait aussi distinguer trois sphères de politiques publiques du champ de la santé, l’une dans l’autre, dont le centre serait le système de soins d’où sortent les interventions plus traditionnelles visant les maladies infectieuses, les changements de comportements et les soins curatifs ; une deuxième sphère – entourant cette première - qui comprendrait les politiques de santé issues du secteur de la santé. Celles-ci comptent des stratégies d’intervention qui peuvent inclure parfois des déterminants sociaux de santé élargis, mais ces politiques visent en premier lieu la santé comme résultat de l’intervention. Finalement, la troisième sphère, qui correspond au quatrième moment du champ de la santé publique et de la conceptualisation de la promotion, est celle qui met de l’avant l’idée des politiques publiques saines et qui caractérisent une approche structurelle de la promotion de la santé. Ces politiques ont des buts premiers qui concernent des secteurs autres que la

santé (l’environnement, le transport, l’économie, etc.) mais incorporent aussi un but de protection et amélioration de la santé et du bien-être en agissant dans ces autres secteurs d’action de l’État.

Ces moments ne sont pas délimités par des frontières exactes. La revue de littérature nous laisse penser que le champ de la santé publique de façon générale se situerait à un moment de transition entre le deuxième moment et le quatrième. Certains auteurs attribuent cette situation à l’idéologie d’un gouvernement qui influence à son tour le choix des modèles de santé publique et les possibilités pour le changement de la politique (Navarro, 2009 ; Raphael, 2008). Les pays se distribuent – selon leur modèle de santé publique dominant – dans l’un ou l’autre des moments identifiés dans le schéma. À partir de notre analyse nous chercherons à identifier le/les moments correspondants aux pays abordés dans cette étude.

Schéma 1 – Champ de la santé et de la promotion de la santé : les moments de sa trajectoire

La littérature nous enseigne certaines particularités de l’État en Amérique latine dont il est important de tenir compte, telles sa conformation au cours de périodes très courtes à la superposition de formes avancées et retardées d’organisation politique, sociale et économique (Soares, 2009). Les transitions épidémiologiques,

démographiques et démocratiques de plusieurs pays ne nous permettent pas d’identifier un seul et unique modèle d’État (Possas, 2001) ; cependant, il existe des éléments, telle l’ampleur des politiques sociales, qui pointent vers un État- providence latino-américain. Pour aborder la question de l’État et de son rôle en matière de santé, il est nécessaire de tenir compte de l’histoire particulière de chaque pays dans la formation des coalitions politiques, les mécanismes de contrôle social et les mécanismes institutionnels de représentation des intérêts et de construction du consensus politique (Esping-Andersen, 1995).

Concernant l’analyse de politiques publiques, la littérature abordée nous montre qu’il existe différents modèles et des bases théoriques claires, surtout dans les pays développés (Walt, 1994). En Amérique latine, de plus en plus d’analyses des politiques, notamment des politiques sociales, sont publiées (Kliksberg, 2000 ; Rosemberg & Anderson, 2000 ; Fleury, 1994), mais aussi des analyses des réformes des systèmes de santé (Homedes & Ugalde, 2005 ; Cohn & Mageon Elias, 2002 ; Almeida, 2002 ; OPS, 1998 ). Cependant, il y a peu d’analyses de politiques autres que celles du système de soins.

Quelques auteurs ont signalé que, malgré la reconnaissance de l’importance de la politique publique dans le champ de la santé publique, il n’y a que de rares travaux de recherche sur ce sujet. On en sait peu sur le changement de la politique et sur les connaissances qui contribuent à son développement dans le champ de la promotion de la santé ou sur l’influence des dynamiques gouvernementales - telles que l’idéologie ou la concurrence entre les groupes - dans le processus de formation de la politique (Bryant, 2002 ; Bambra et coll., 2003; Glouberman, 2003 ; Bambra et coll., 2005 ; de Leeuw, 2005 ; Breton, 2005 ; Navarro, 2007 ; Raphael, 2008).

Ainsi, très peu des chercheurs en promotion de la santé ont recours au corpus des connaissances en sciences politiques, produisant par conséquent des analyses d’interventions fortement a-théoriques (Breton, 2005). Bambra et coll. (2005) parlent d’un “paradoxe” : même si on reconnaît l’importance de la politique publique

comme déterminant de santé, il existe une absence de débat sur les voies par lesquelles les politiques, le pouvoir et l’idéologie - qui sous-tendent la politique publique - influencent la santé des populations (Voir aussi : Signal, 1998 ; Bryant & Raphael, 2005). Depuis quelques années, on observe un effort d’amélioration de la connaissance des liens existants entre les déterminants sociaux de santé, les politiques publiques et la promotion de la santé ainsi que d’identification de leurs potentialités permettant leur mise en place aux différents niveaux des gouvernements. Mais cela se fait surtout dans le monde développé.

Pour conclure, la revue de littérature soulève les questions suivantes : 1) La recherche sur l’Amérique latine fait état des particularités de l’État quand il s’agit de l’analyse des réformes de la protection sociale et des systèmes de santé, mais pas des caractéristiques de l’État et de son organisation pour expliquer la compréhension et la place de la promotion de la santé dans la politique nationale de santé ; 2) Il y a peu de recherches sur les politiques de promotion de la santé en général - qui incorporent les déterminants sociaux de santé – et de sa présence dans la politique nationale ; 3) il n’y a de consensus ni sur la spécificité de la politique publique saine ni sur le niveau du gouvernement (local, provincial ou national) dans lequel elle devrait se développer, ni sur le rôle de chacun des niveaux par rapport à son développement ; 4) le contexte politique et l’idéologie dans lesquels a lieu la politique de santé jouent un rôle majeur dans la conception de la promotion de la santé ; cependant, il existe très peu de ressources sur les façons de les étudier et de les influencer ; 5) certains modèles de santé publique des pays développés sont reconnus pour être plus favorables à une considération de la promotion dans un sens élargi (Raphael, 2008), mais aucune des études recensées dans cette thèse n’a été menée dans des pays en développement, et 6) le consensus sur l’importance d’inclure les déterminants sociaux de santé dans les politiques publiques saines existe ; mais nul ne sait si les pays en voie de développement ont des intérêts, les connaissances et les possibilités de le faire. Par ailleurs, les obstacles pour le faire et les voies pour y parvenir restent méconnus. Notre recherche vise à répondre aux questions soulevées dans la revue de littérature.