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CHAPITRE 5 LE CAS DE L'ARGENTINE

5.1. LE CONTEXTE

5.1.1. Information générale

L’Argentine a une surface de 2 791 810 km2 dans le continent américain et soutient des droits de souveraineté sur 969 464 km2 dans le secteur antarctique. Constitué de 23 provinces et une ville autonome - Buenos Aires, capitale et siège du gouvernement national - le pays se divise en cinq régions : le Nord-Ouest (NOA), le Nord-Est (NEA), Cuyo, Centro ou Pampeana et le Sud. D’après le recensement de 2001, il y a 37 944 014 habitants. Le pays partage des frontières avec le Brésil, le Chili, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay (OPS, 2007).

L’organisation du pays

En 1853, suite à un processus émaillé de disputes entre groupes aux positions différentes, on élabore la première Constitution Nationale de la République Argentine. Inspirée de la jurisprudence et de la doctrine politique du fédéralisme américain, elle établissait un système républicain de division des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), un important degré d’autonomie pour les provinces et un pouvoir fédéral fort, mais limité par un Congrès bicaméral. De plus, elle établissait

un système présidentialiste. Le texte final de la Constitution posait comme questions majeures, entre autres, la construction de l’identité nationale, la promotion du bien- être général et l’assurance de la liberté pour tout homme désirant habiter sur le sol argentin. Par ailleurs, la Constitution a aboli l’esclavage, les majorats et les titres de noblesse en fixant l’égalité juridique. Pour certains historiens, cette Constitution montrait la force des classes illustrées et de la bourgeoisie nationale - détentrice du capital et des contacts en Europe pour l’exportation de biens - et oubliait la population rurale et analphabète17. Il faudra attendre que l’immigration devienne plus importante et produise des mobilisations contre l’oligarchie pour que la situation change. La Constitution de 1853 a subi plusieurs réformes : parmi les plus importantes, mentionnons celle de 1949 – pendant la première présidence de J.D. Perón – qui introduisait un nombre important des droits sociaux et des politiques sociales. Cependant, elle n’a été en vigueur que peu de temps, car, après le coup d’État de 1955, elle a été abolie par le gouvernement militaire18. En 1994, pendant la présidence de Menem, une nouvelle reforme a eu lieu. C’est elle qui est encore en vigueur de nos jours.

Entre 1870 et 1916, l’Argentine a vécu des changements fondamentaux dans sa structure économique et sociale qui lui ont donné son caractère de pays producteur de viande et de céréales et qui le plaçaient au premier rang au monde avec les États- Unis et l’Australie (Hernandez, 2004). Pendant cette période, l’Argentine fut gouverné par une oligarchie illuministe-positiviste19 qui a promu l’immigration pour peupler le pays : quatre millions de personnes sont arrivées au pays, provenant de l’est et du sud de l’Europe. Ils avaient comme garantie l’éducation publique gratuite, ce qui assurait l’intégration des nouveaux arrivants à l’identité nationale. En dehors de quelques mesures isolées concernant les égouts dans quelques villes, il n’y avait pas, à cette époque, de politiques de santé d’État. Par ailleurs, le suffrage universel

17 J.P. Feinmann (1982). Filosofía y Nación. Buenos Aires: Legasa. ISBN 950.

18 Elle incluait les droits sociaux de deuxième génération, le droit au travail, la justice sociale et le rôle actif de l’État, et

marquait la fonction sociale de la propriété et de l’économie de marché. On y a incorporé le droit au logement, la santé physique, la sécurité sociale et l’éducation publique et gratuite, entre autres.

19L’idéal positiviste des élites argentines envisageait d’orienter l’ensemble de la société vers les sciences et surtout la biologie

et la sociologie. Il s’agissait d’un groupe d’intellectuels formés en Europe et appelés « La génération des 1880 » ; ils exerçaient une influence importante autant sur le pouvoir législatif qu’exécutif. Pour plus d’informations, voir Hernandez, M. (2004 : 89- 90).

pour les hommes est arrivé en 1916 permettant la mise au pouvoir du parti Radical, composé éminemment de la classe moyenne (Escudero, 2003 ; Hernández, 2004). Selon Escudero :

“Health policies were still lacking, but this did not matter too much in a country where employment was universal, salaries were high, innumerable mutual societies and the first labor unions took care of the health of their members, and extended families (…). Until the 1930s, Argentina’s infant mortality rate was lower than those of Italy or Spain. The cutoff year for this state of affairs was 1930.” (Escudero, 2003)

Pendant le XXe siècle, l’Argentine a vécu six coups d’État20 qui ont rendu difficile la construction d’un état démocratique aux institutions solides. Au cours des trente dernières années, déjà sous des gouvernements démocratiques, le pays a souffert de crises multiples : institutionnelles, politiques, économiques et sociales. Parmi les plus importantes, celle de 1988-1989, connue sous le nom d’« Hyperinflation », a eu comme conséquence la remise anticipée du pouvoir du président Alfonsin au président Menem, et celle de la récession qui a débuté en 1998 – deuxième mandat de Menem – et s’est terminée avec la chute du gouvernement du président De la Rua en décembre 2001. Tel que le signalent Spiller et Tommasi (2008) : « From the 1930 coup until 2007, there was only one transfer of power from one president to the next (from Menem to De la Rua in 1999) that strictly followed constitutional norms ».

Cette dernière grande crise paraît avoir synthétisé toutes les autres, car il s’est produit un « avant » et un « après » en raison de sa férocité, mais aussi du manque de crédibilité des institutions, des politiciens et des modèles de société possibles aux yeux de la population (Escudero, 2003 ; Hernández, 2004). La crise a forcé un constat affligeant : dans la période 1998-2003, la pauvreté a augmenté de 26% à 47,8% et l’indigence de 6,9% à 27,7%. La pauvreté et l’indigence se sont installées dans le pays avec de grandes disparités entre les régions les plus favorisées et les moins favorisées (OPS, 2004).

20 Les dates exactes des coups d’État ont été : septembre 1930, juin 1943, septembre 1955, mars 1962, juin

1966 et mars 1976. Cette dernière dictature a duré 8 ans et a fait preuve d’une férocité inégalée par les autres. Au total, les dictatures sont restées au pouvoir pendant 25 ans au XXe siècle, c'est-à-dire un quart de siècle.

Les valeurs sociétales

Depuis les origines du pays, il existe de très fortes tensions entre des valeurs opposées et parfois exclusives. À travers l’histoire et à des moments politiques difficiles, la coalition au pouvoir, fût-elle militaire ou démocratique, a essayé la « refondation » des bases institutionnelles ou politiques qu’elle trouvait appropriées à ses fins et à ses intérêts. Identifier les valeurs qui caractérisent cette société peut nous échapper dans un tel scénario. Cependant, il est clair qu’aucun gouvernement n’a eu la continuité au centre de ses intérêts. Nous pouvons quand même, à partir de l’analyse de la littérature existante, signaler quelques principes présents depuis le début tels que le droit à l’éducation publique gratuite, le droit au vote et à l’égalité juridique comme les traits d’une société qui essaie de se donner un départ d’égalité pour tous ses habitants en vue de la participation et de l’accès aux biens. L’éducation universelle a été un droit citoyen très fortement défendu tout au longue de l’histoire du pays.

Par rapport aux tensions, nous les observons dans les rapports suivants : oligarchie- nouveaux arrivants, universalité-particularité, gouvernements démocratiques- dictatures, fédéralisme-autonomie provinciale, droits collectifs-droits individuels (Di Tella, 2010). Tout cela a donné lieu à une fragmentation et à une polarisation quasi structurelle observable tout le long de l’histoire du pays, à presque tous les niveaux de l’État y compris celui de la santé, ainsi que dans les organisations de la société civile tel que nous le verrons par la suite.