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L'élaboration de politiques publiques saines: niveaux local, provincial et national

CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE

2.4. L'élaboration de politiques publiques saines: niveaux local, provincial et national

Au niveau local, une étude menée par Goumans (1997) sur l’élaboration de la politique en Hollande et au Royaume Uni, à travers l’analyse du mouvement Villes et villages en santé, propose une réflexion sur la politique publique saine et sur les limites du niveau local pour aborder certaines questions qui pourraient même entrer en contradiction avec les politiques du gouvernement national. D’autre part, il se peut que les gouvernements locaux n’aient pas les connaissances permettant de lutter contre certaines problématiques ou qu’ils n’en aient pas la permission. Cette auteure identifie deux approches principales pour le développement d’une politique de promotion. Dans la première, la politique est élaborée à partir de l’identification d’un point considéré problématique; elle encourage les preneurs de décisions (gestionnaires) et les politiciens à considérer les effets de leurs décisions sur la santé. Dans la deuxième approche, tous les secteurs évaluent leurs politiques et les effets possibles de ces dernières sur la santé. Cette dernière approche est considérée par certains auteurs comme une vision possible pour le développement et la modification de la politique publique dont la santé est une conséquence et non pas un objectif (Lavis & Sullivan, 2000). Cependant, d’autres auteurs remarquent que le développement de politiques publiques saines nécessite une plus grande transformation du processus politique et de ses structures dans la distribution des ressources et du pouvoir, tant à l’intérieur d’une société qu’entre des sociétés différentes (Signal, 1998 ; Farrant, 1991, Dans : Goumans, 1997 ; Vallgarda, 2008).

Au niveau provincial, nous trouvons les analyses de Bernier (2005, ab) sur la place de la promotion de la santé – y compris l’action sur les déterminants sociaux de santé – dans les politiques provinciales de trois provinces du Canada (Alberta, Ontario et Québec). Ces études montrent l’influence du contexte et de l’idéologie du gouvernement provincial sur l’inclusion de la promotion et des déterminants sociaux dans leurs agendas et leurs politiques, ainsi que la non-linéarité de ce processus. L’auteure signale également le rôle de l’État à l’égard de l’accompagnement et le développement des infrastructures appropriées de santé publique.

Toujours au niveau provincial, Bryant (2002) a mené une étude à Toronto concernant le rôle des connaissances dans le développement des politiques de santé et de promotion de la santé. Sa recherche a abouti à la conclusion que différents types de connaissances peuvent rendre compte du processus de changement politique ; à son tour, l’idéologie influence les types de connaissances et les évidences acceptées dans un processus politique. L’auteure signale l’importance de ces découvertes pour le champ des politiques, notamment pour ceux qui cherchent de nouvelles perspectives pour les politiques en promotion de la santé, en soulignant qu’il est nécessaire de mener à bien des analyses critiques sur les effets des structures politiques et sociales sur la santé. Elle a marqué également la nécessité de rendre explicites les forces qui influencent certaines formes de connaissances plus que d’autres dans le processus d’élaboration de la politique.

Au niveau national, une étude sur l’intégration des principes de la promotion dans la politique nationale de santé en Allemagne, de Leeuw & Polman (1995) ont démontré l’importance du rôle du gouvernement central en ce qui concerne : l’accompagnement des groupes d’intérêt qui visent à changer la politique ; l’amélioration de la communication entre les acteurs et les institutions ; le besoin d’avoir des outils clairs pour la mise en marche de la politique comme moyen pour convaincre les décideurs (policy-makers) ; l’existence de programmes n’entrant pas en conflit avec la politique générale et la nécessité d’empêcher des modalités

d’élaboration de la politique qui pourraient donner à la population l’impression qu’il existe des « circuits informels ».

Une autre étude du niveau national menée par Raphael (2008) signale que la grande réputation du Canada en matière de promotion de la santé ne se reflète pas dans sa mise en œuvre. Ceci est dû à la politique économique libérale et à l’avancement d’approches néolibérales dans l’élaboration des politiques qui, combinées à une vieille tradition biomédicale et épidémiologique, font obstacle à l’incorporation des principes d’Ottawa. Raphael reconnaît une tension historique entre deux aspects de la promotion : le « lifestyle » et un autre qu’il appelle « élargi », dont deux approches différentes se sont dégagées. À différentes périodes de la politique de santé canadienne, les deux approches ont été en concurrence pour le financement, la première ayant été celle qui en a obtenu la presque totalité et avec un impact mineur sur l’adoption de politiques publiques incorporant les déterminants plus larges de logement, de revenus et de travail. Pour finir, l’auteur attire l’attention sur deux questions pouvant mener à la dépolitisation au nom de la santé : a) un modèle de santé de la population centré sur l’application de concepts épidémiologiques par- dessus les questions sociales et b) le discours sur les choix de styles de vie. Aucun de ces aspects ne contribue à l’incorporation des déterminants sociaux de santé dans la politique publique (Raphael, 2008).

Une étude menée en Angleterre indique que le peu de recherche sur la promotion de la santé réalisée dans des institutions ne permet pas de démontrer clairement jusqu’à quel point celle-ci a été marginalisée, mais elle en montre la faiblesse aussi bien dans les services de santé que dans le monde académique (Wills et al, 2008).

Différents travaux visant à étudier des modèles de santé publique centrés sur l’élaboration de politiques publiques ayant en vue les déterminants sociaux de santé - modèles utilisés dans divers pays comme l’Angleterre, le Canada, la Suède et les États-Unis – ont abouti à la conclusion que les leçons de promotion de la santé des dernières trente années ont été oubliées ou ignorées dans la mise en place de la

politique (Raphael & Bryant, 2006 ; Raphael, 2008 ; Low & Thériault, 2007). Qu’il existe des preuves sur le besoin d’incorporer les déterminants sociaux de santé dans l’élaboration de la politique publique n’implique pas qu’elles soient effectivement inclues et considérées par les gouvernements dans leur agenda. En revanche, les inéquités en santé peuvent être expliquées par des comportements individuels et non pas par les facteurs structuraux qui en sont la cause, tout en laissant la question des déterminants sociaux de santé comme un discours qui soutient des interventions comportementales tel que semble être le cas pour le Canada et les États-Unis où la politique est conçue comme une législation dédiée à des comportements à risque et à la protection de la santé (Raphael & Bryant, 2006 ; Raphael, 2008 ; Low & Thériault, 2007 ; Wills et al, 2008).

Dans le cas de la Suède, différents auteurs montrent que la stratégie de santé publique adoptée en 2002 constitue le modèle plus large – jusqu’à présent – d’une politique nationale de santé incluant les déterminants sociaux de santé. Les objectifs nationaux sont formulés en termes de déterminants de santé tels que le degré de participation politique et sociale des personnes, la sécurité économique et les perspectives d’emplois dignes. L’objectif de la stratégie est la création de conditions sociales pouvant assurer équitablement une bonne santé pour toute la population (Raphael & Bryant, 2006 ; Irwin & Scali, 2007 ; Lager et al., 2007 ; Vallgarda, 2008).

Même si la littérature reconnaît le besoin de prioriser un modèle de santé publique élargie et d’incorporer les déterminants sociaux dans l’élaboration des politiques publiques saines, certaines études posent des questions dont il faut tenir compte : Nilunger et al. (2007), lorsqu’ils examinent les fenêtres d’opportunités pour une politique intersectorielle de santé en Suède, trouvent que la santé publique, bien qu’elle soit perçue comme un sujet universel important, atteint difficilement le plus haut niveau national de politique. Elle se situe plutôt parmi les « low politics »,

politiques de peu de poids dans l’ensemble de la coordination des politiques13. De leur côté, Lager et al. (2007) ont examiné les possibilités pour que les objectifs nationaux de santé fonctionnent comme un outil pour « gouverner par objectifs ». Ils soulignent que cette forme de gouvernement a eu, à son origine, l’idée que l’administration possède les meilleures connaissances sur la manière de mettre en place des mesures. Pour ce faire, il est très important que les objectifs soient explicites étant donné que les preneurs de décisions ne disent pas à l’administration ce qu’il faut faire mais quel objectif atteindre. Tout en utilisant une analyse rationnelle, les auteurs arrivent à la conclusion qu’en Suède, les objectifs de santé ne sont pas encore suffisamment explicites, c’est-à-dire, qu’il s’agirait là de questions politiques plutôt que techniques.

Conclusions concernant ce point de la littérature :

La recherche sur l’élaboration des politiques publiques saines montre que : 1) L’État ou le gouvernement ont un rôle à jouer en faveur de l’inclusion de ces types de politiques dans l’agenda, que ce soit dans l’accompagnement des groupes d’intérêt (de Leeuw & Polman, 1995) ou dans le développement des infrastructures appropriées de santé publique (Bernier, 2005ab), ou encore en assurant la syntonie de la politique publique saine dans l’ensemble des politiques (de Leeuw & Polman, 1995) ; 2) On reconnaît que différents secteurs contribuent à produire de la santé. Cependant, aucun accord n’existe à propos du degré requis de transformation du processus politique et des structures pour le développement de telles politiques ; 3) Le contexte et l’idéologie influencent non seulement le choix des modèles de santé publique, mais les types de connaissances et de preuves acceptées dans un processus politique (Bryant, 2002 ; Bernier, 2005ab). De plus, les preuves sur la pertinence et le besoin d’incorporer les déterminants sociaux de santé dans la politique ne suffisent

13 Ces auteurs signalent que: « The problem seems to be that public health is not prioritized high enough on the

political agenda. In this study, we use and define the concept of ‘high politics’ as politically prioritized issues, which is identified as among the main concerns for all areas across sectors, and are in the focus of policy coordination and budgeting by actors such as the Prime Minister or the Minister of Treasury. In contrast, ‘low politics’ are issues given relatively low political weight in the overall coordination of politics » (Nilunger et al., 2007 : 308). Pour sa part, Walt entend que : « Low politics are issues not seen as involving fundamental or key questions relating to a state’s national interest, or those of important and significant groups within the state. » (Dans: Walt, 1994: tiré d’Evans and Newnham, 1992: 184)13.

pas pour que ceux-ci soient effectivement incorporés par les gouvernements (Bernier, 2005ab ; Raphael & Bryant, 2006 ; Low & Thériault, 2007 ; Raphael, 2008 ; Wills et al, 2008) ; 4) La tension entre des approches et des modèles différents et la priorisation de l’un sur l’autre peut mener à une dépolitisation au nom de la santé en mettant en avant une vision médicalisée au détriment d’une vision plus sociale de la santé (Raphael, 2008) ; 5) Même des pays qui ont mis en place des objectifs de santé publique innovateurs et sous forme de déterminants ont des questions de type politique sous-jacentes aux questions techniques et dont il faut tenir compte et qu’il faut expliciter (Nilunger et al., 2007).

Or, contrairement à ce qui est promu dans la littérature de diffusion de la promotion de la santé –qu’elle doit se développer, avoir lieu et être mise en place au niveau local – au moins en ce qui concerne l’élaboration des politiques publiques saines, la recherche menée jusqu’à maintenant montre que : 1) le seul niveau local a des limites dans son développement d’une politique publique saine. Et celle-ci peut même entrer en contradiction avec la politique du gouvernement national (Goumans, 1997) ; et 2) Il est important de considérer les autres niveaux – provincial et national – dans l’élaboration, la mise en place, l’accompagnement des groupes et l’étendue de la politique publique saine (de Leeuw & Polman, 1995 ; Bernier, 2005ab ; Raphael & Bryant, 2006 ; Low & Thériault, 2007 ; Raphael, 2008 ; Wills et al., 2008).