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Le contexte: Les réformes (fragmentées) de l'Amérique latine

CHAPITRE 1 INTRODUCTION

1.4. Le contexte: Les réformes (fragmentées) de l'Amérique latine

« L’évolution historique de l’Amérique Latine et des Caraïbes est marquée par la constitution d’États économiquement dépendants, de sociétés très segmentées, avec des niveaux considérables d’exclusion et de marginalité sociale, de bases territoriales socialement désintégrées, d’institutions avec une faible capacité pour la mise en place de politiques et de régulation sociale et de structures des droits des citoyens extrêmement fragiles et partielles. » (Almeida, 2002 : 907)

Tout au long des années 1980 et 1990, la région latino-américaine a connu une série de réformes qui ont accompagné, dans plusieurs cas, les nouveaux processus démocratiques de leurs sociétés après de longues périodes de gouvernements dictatoriaux. Dans un contexte de crise économique et basés sur des diagnostics ayant des fondements historiques vrais – ceux-là signalaient l’excès de bureaucratie et concluaient à l’incapacité de l’État pour administrer, entre autres, le secteur de la santé. Ce que l’on appelait « des ajustements structuraux »9 a commencé à se dessiner. Les agences internationales qui les ont promus – notamment la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), mais aussi la Banque interaméricaine de développement (BID) et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) – ont exigé des gouvernements des réformes profondes de l’État (Iriart & coll., 2001 ; Almeida, 2002 ; Franco-Giraldo & col, 2006).

Ces réformes, qui avaient lieu aussi dans les pays développés, se sont implantées en Amérique latine avec très peu de discussion ni sur le contexte ni sur les fondements idéologiques ou les valeurs qu’elles promouvaient. Ce manque de discussion n’était pas fortuit et visait à donner à ces processus une valeur purement technique, comme une conséquence « naturelle » des transformations mondiales (Iriart & coll., 2001; Almeida, 2002).

Ayant pour base la doctrine néolibérale, les principes les plus saillants étaient mis en avant : État minimal, flexibilisation du travail, affaiblissement des entités et des services publics dans le but d’un plus grand contrôle de la part des capitaux privés théoriquement plus efficaces (Iriart & coll., 2001 ; Franco-Giraldo & coll., 2006 ; Guzmán Urrea, 2009). L’hypothèse de base était qu’en réduisant l’État – à travers la décentralisation et la dérégulation – on obtiendrait un équilibre des comptes fiscaux (CEPES, 2005).

9 Ainsi se nomme l’ensemble des réformes de type néolibéral qui ont prédominé dans le monde en voie de développement tout

Au début des années 1990, une nouvelle étape de réformes visait les systèmes de santé de la région. Elles avaient des caractéristiques différentes selon le pays, mais elles reflétaient un agenda en commun (Iriart & coll., 2001; Almeida, 2002). Les réformes de la santé latino-américaines présentaient un ensemble de tendances communes : 1) rationalisation des ressources en vue de leur meilleure distribution et d’une plus grande efficience sanitaire ; 2) incorporation du concept de « compétence administrée »10 et d’encouragement à la privatisation ; 3) redéfinition du mix public- privé et séparation des fonctions de financement et de provision de services, auparavant à la charge de l’État, qui devient régulateur ; 4) orientation de la sphère publique vers les groupes sociaux « plus démunis » en leur offrant une prestation de services essentiels à bas coût. Les promoteurs des réformes présupposaient qu’il y aurait comme conséquence une augmentation de la couverture et de l’efficacité ; 5) décentralisation des responsabilités au niveau du financement et de la prestation de services (Almeida, 2002; Guzmán Urrea, 2009). Le Brésil se distingue dans la mesure où il n’a pas mis en place ce type de réforme, mais une réforme universalisante à l’encontre des propositions de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI), tel que nous le verrons dans le chapitre 6.

Vers la fin du XXe siècle, l’observation des résultats de ces réformes en Amérique latine a montré que : a) le financement public s’est très peu modifié et la dépense privée élevée s’est maintenue. On a même remarqué que la dépense des familles s’est détournée vers des assurances privées et des schémas de services prépayés ; b) la couverture a diminué (à l’exception du Brésil et de la Colombie) et l’accessibilité et l’utilisation des services de santé se sont détériorées ; c) la capacité institutionnelle publique et de régulation s’est fortement affaiblie étant donné le stress fiscal et la destruction des institutions publiques qui n’ont pas pu surmonter la concurrence du secteur privé (Almeida, 2002; Guzmán Urrea, 2009) ; d) l’iniquité a augmenté dans

10 « Ce modèle a été conçu aux États-Unis dans les années 1970. Dans sa formulation originale, il visait à la

réorganisation du système privé de services de santé (…) à partir de changements dans l’allocation des ressources financières en réorganisant l’offre et la demande et en redéfinissant les rôles des financeurs et proviseurs de services autant publics que privés. Ces changements seraient obtenus à travers l’amélioration de la gestion des systèmes de santé et chercheraient à obtenir plus d’efficience et d’équité étant donné leur ancrage dans le choix du consommateur, ce qui organiserait et disciplinerait le marché des services selon les principes de qualité et d’effectivité. » (Almeida, 2002 : 920)

les pays du fait que la décentralisation a été accomplie sans tenir compte des différences – démographiques, ethniques, épidémiologiques, de développement économique, d’infrastructure, de ressources humaines, historiques et politiques – qui existaient entre les grandes villes et les municipalités pauvres de la région (Homedes & Ugalde, 2005ab).

La logique économique qui a prédominé au moment de la mise en place de ces réformes, en mettant l’accent sur le coût-efficacité lorsqu’il s’agissait de donner la priorité aux actions de santé, a fortement conditionné le principe de solidarité et d’équité qui guidait les systèmes de santé (Almeida, 2002; Iriart & coll., 2001). Certains auteurs signalent que les politiques de réforme se sont adressées à chaque sous-secteur à l’intérieur des pays – public, privé ou la Sécurité Sociale – sans considérer le système de santé comme un tout, suscitant une approche qui a ignoré la perspective sociale du processus : « À l’intérieur de chaque sous-secteur les participants ont essayé de s’adapter au processus de réforme sans reconnaître l’impact (des changements) sur les autres sous-secteurs. » (Iriart & coll., 2001: 1245)

Peu à peu et d’une manière qui n’a pas toujours été explicite, la santé a cessé d’être conçue comme un bien public et sous la responsabilité de l’État, et a commencé à être considérée comme un bien privé que des « clients », auparavant utilisateurs ou citoyens, peuvent acheter au marché (Iriart & coll., 2001; Guzmán Urrea, 2009).

Par rapport à la promotion de la santé, les processus de réforme n’auraient pas contribué à sa considération et plusieurs auteurs en signalent l’absence dans l’agenda de la réforme (Guzmán Urrea, 2009). D’autres disent que, bien que le FMI ainsi que la BM aient inclus la promotion dans l’ensemble des stratégies recommandées pour améliorer la santé, celle-ci était considérée comme relevant de l’espace privé. Cette idée a renforcé la composante du style de vie qui préconise l’action sur les facteurs individuels de risque (Homedes & Ugalde, 2005ab; Carvalho, Westphal & Lima, 2007; Guzmán Urrea, 2009).

Les réformes des systèmes de santé n’ont pas été l’objet de notre recherche, mais leur importance pour la détermination du contexte et du cadre dans lesquels se développent la promotion de la santé et la compréhension que l’on puisse en avoir, est indéniable. Une analyse plus profonde des réformes dépasserait les limites de ce travail, mais nous tenons à souligner que notre recherche montre que le type de réforme adopté par un pays, ses éléments caractéristiques et son idéologie de base seront décisifs pour la notion de promotion de la santé et pour sa mise en place.