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La notion de portée chez C Guimier

CHAPITRE 5. Retour à l'analyse des fonctions occupées par les

2. La notion de portée

2.1. La portée intra-propositionnelle d’un constituant

2.1.1. La notion de portée chez C Guimier

« Portée » versus « incidence » :

L’auteur définit la portée comme la référence sémantique d’un adverbe à un support, « c’est-à-dire l’élément à propos duquel l’adverbe dit préférentiellement quelque chose. » Il la distingue de l’incidence qu’il définit comme « la référence syntaxique à un support » (1996 : 4). La portée est donc d’ordre sémantique, l’incidence d’ordre syntaxique. Dans les exemples

suivants, tous les adverbes en –ment ont une incidence sur le verbe. En revanche, leur

portée (que nous avons soulignée) diffère :

(11) Pierre travaille manuellement (12) Pierre travaille jovialement (13) Pierre travaille minutieusement.

Outre la distinction portée / incidence, C. Guimier introduit deux autres couples de notions : « intraprédicatif » versus « extraprédicatif », « exophrastique » versus

« endophrastique ».

Adverbes « intrapédicatifs » versus « extraprédicatifs »

L’opposition intra-prédicatif / extra-prédicatif « est proprement syntaxique » (Ibid., 7). Comparons :

(14) Il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement (intraprédicatif )

(15) Naturellement, tu as encore oublié de m’acheter des

cigarettes ! (extraprédicatif )

Dans la première phrase,

« l’adverbe est intégré dans la phrase ; en particulier, il n’est pas séparé intonativement du verbe et constitue avec lui le prédicat. On dira qu’il est intra- prédicatif ».

Dans la seconde,

« l’adverbe n’est pas intégré dans la phrase. Il ne porte d’ailleurs pas sur le verbe mais sur l’intégralité de la phrase, qu’il modalise de l’extérieur : il est extra- prédicatif. » (Ibid. : 5)

Adverbes « endophrastiques » versus « exophrastiques »

Les adverbes endophrastiques

« sont, d’un point de vue sémantique, des constituants internes à la phrase, qui affectent le contenu même de l’élément sur lequel ils portent et, ce faisant, participent à la construction du sens référentiel de la phrase168» (Ibid. : 6).

168 ( Note « 7 » de l’auteur, p 6) : «Le sens référentiel est celui « par lequel, quand ils sont employés, les signes linguistiques, individuellement ou en combinaison, sont mis en rapport avec des portions du monde réel ou d’un monde imaginaire » » (Baylon et Mignot, 1995 :49)

Les trois adverbes qui apparaissent dans les exemples proposés supra (Pierre travaille

(manuellement + jovialement + minutieusement)) sont endophrastiques et nous renseignent

sur certaines propriétés du procès en cours de réalisation. Les adverbes exophrastiques, en revanche,

« sont des constituants externes à la phrase, en ce sens qu’ils ne participent pas à la construction de son sens référentiel, mais représentent les traces de l’intervention du locuteur, qui commente tout ou partie de son énoncé ou de l’acte qui le produit » (Ibid. : 6).

Voici un exemple :

(16) Apparemment, elle juge qu’elle en sait assez sur moi. (Sartre ; exemple cité par C. Guimier (Ibid., 5))

Dans cette phrase, l’adverbe ne contribue pas à la construction de la situation extralinguistique mais

« constitue un commentaire de l’énonciateur, qui signale que la situation extra- linguistique n’est qu’apparente pour lui, qu’elle ne correspond peut-être pas à la réalité. (…). « Apparemment », adverbe exophrastique, constitue ainsi ce qu’on appellera une idée regardante au travers de laquelle l’énoncé tout entier, ou une portion de l’énoncé, est envisagé. » (Ibid., 6-7)

Pour C. Guimier, les adverbes exophrastiques possèdent une « unité de fonctionnement » (Ibid., 105) : tous caractérisent en effet, à un stade ou à un autre, l’acte d’énonciation. Cet acte d’énonciation, nous dit l’auteur, « comporte trois grands étapes » (Ibid., 104) : la production d’un contenu propositionnel, c’est-à-dire un « dit169 » ; 2) ce dit est lui-même le résultat d’une étape opérative que constitue le « dire170 », étape elle-même engendrée 3) à partir d’un vouloir dire (une « visée de discours171 »). Tous les adverbes exophrastiques partagent donc pour caractéristique spécifique de « sémantiquement qualifier, caractériser, dire quelque chose de 169 « L’acte d’énonciation a un objectif et un seul : la production d’un contenu propositionnel, d’un dit, c’est-à- dire d’une information livrée à un interlocuteur, réel ou fictif. Ce dit constitue l’étape ultime de l’acte d’énonciation, ce vers quoi il tend tout entier à partir du moment où il est enclenché. » (Ibid.)

170 « Cette étape de l’énonciation, qu’on peut appeler le dire pour souligner son caractère opératif, est capitale : on y retrouve, pêle-mêle, le choix des unités lexicales et grammaticales, leur mise en relation, les choix énonciatifs etc. » (Ibid.)

171 « La visée de discours peut être définie comme l’intention de donner une forme linguistique à un fait appartenant à l’extra-linguistique en vue de communication à un destinataire. La visée de discours met en cause trois éléments constitutifs : un locuteur (…), une donnée événementielle à communiquer et un destinataire » (105)

l’une ou l’autre de ces strates, de l’un ou l’autre de ces niveaux enfouis dans la phrase » (Ibid., 105)

Le schéma suivant récapitule, à notre sens, les vues de l’auteur : Acte d’énonciation

Le contenu propositionnel Visée de discours le dire = le dit

Adv. de cadrage Conjonctifs (conséquemment) évaluatifs (heureusement) (linguistiquement, P) métalinguistiques (en un mot) assertifs (certainement) Adv. illocutifs paradigmatisants (notamment)

(franchement) C. Guimier ajoute :

« L’adverbe exophrastique apparaît ainsi comme étant le signe d’un regard porté par l’énonciateur sur sa phrase. A ce titre, il engage toujours la subjectivité de l’énonciateur, dont il est la trace d’une intervention directe. » (Ibid. : 106)

En nous appuyant sur cette dernière précision, nous proposons de représenter ci-dessous la distinction entre adverbes endo- et exo- phrastiques :

Franchement, En un mot, Apparemment, Par conséquent, En conclusion, Heureusement,

Max travaille jovialement

Portée et incidence des adverbes exophrastiques.

« Le problème de l’adverbe exophrastique n’est pas celui de son incidence, c’est-à-dire de la nature du constituant auquel il se rattache, mais bien celui de sa

portée, c’est-à-dire ce à propos de quoi il dit quelque chose de ce constituant » (104)

Prenons l’exemple de l’adverbe illocutif « franchement » dans : (17) Franchement, Max est un imbécile.

Cet adverbe est incident à toute la phrase moins l’adverbe lui-même ; en second lieu, il porte sur la visée de discours puisqu’il permet au locuteur de caractériser son acte illocutoire en disant quelque chose de lui-même en tant que locuteur.

Pour conclure, nous retiendrons que la portée intrapropositionnelle, selon C. Guimier, est une relation de nature sémantique (distincte de la relation d’incidence syntaxique) que noue un constituant - en l’occurrence, un adverbe- avec son support de portée. Ce support peut être défini comme l’élément dont le constituant à portée dit préférentiellement quelque

chose : il peut s’agir soit d’un autre constituant propositionnel (l’adverbe est alors dit

« endophrastique »), soit d’une des trois dimensions de l’acte d’énonciation : le dire, le dit ou la visée de discours (l’adverbe est alors « exophrastique »).