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Critères de distinction entre les circonstants propositionnels et transpropositionnels

CHAPITRE 3. Les circonstants "propositionnels" et

1. Critères de distinction entre les circonstants propositionnels et transpropositionnels

« Les critères (…) qui concernent respectivement l’interrogation, la mise en relief et la négation, peuvent servir à séparer les compléments de phrase et les compléments transpropositionnels des autres compléments » (Mélis, 1983, 153)128. Nous nous arrêterons plus loin sur le cas des compléments de phrase. Nous allons en revanche examiner le cas des compléments transpropositionnels et propositionnels sur un corpus construit (l’abréviation CTP correspond à l’étiquette « Complément TransPropositionnel » et l’abréviation CP à l’étiquette « Complément Propositionnel »).

Soient les phrases :

(1) Pierre travaille énormément. Néanmoins, il a échoué à ses examens (CTP :

L.Melis classe « néanmoins » dans les transpropositionnels : 1983, 152 - 156) (2) Puisqu’il est tard, allons nous coucher (CTP : 1983, 151)

(3) Quant à Pierre, il a attrapé la grippe (CTP) (« (…) les compléments de

propos ou de domaine, introduits par pour, quant à ou en ce qui concerne (…) sont des compléments transpropositionnels » (1983, 152))

(4) Au XVIIè siècle, la condition paysanne était dure. (CTP : 1983, 186)

(5) Dans le Morvan, les bonnes terres sont rares. (CTP : 1979 , 26)

(6) La condition paysanne était dure au XVIIè siècle. (CP : 1983, 186)

(7) Les bonnes terres sont rares dans le Morvan. (CP)

(8) Elle travaillait à l’usine du Nord. (CP)

(9) Max a lavé son linge dans l’évier. (CP)

Appliquons leur les trois critères proposés par L. Mélis :

Critères Phrases Oui : + Non = - Complém

ent ?

Pierre travaille énormément. Néanmoins, a-t-il obtenu

ses examens ? - CTP

Puisqu’il est tard, allons-nous nous coucher ? - CTP

Quant à Pierre, a-t-il attrapé la grippe ? - CTP

Au XVIIè siècle, la condition paysanne était-elle

dure ? - CTP

Dans le Morvan, les bonnes terres sont-elles rares ? - CTP

La condition paysanne était-elle dure au XVIIè

siècle ?

+ CP

Les bonnes terres sont-elles rares dans le Morvan ? + CP

Travaillait-elle à l’usine du Nord ? + CP L’interrogatio

n globale peut- elle porter sur le

complément ?

Max a-t-il lavé son linge dans l’évier ? + CP

* Pierre travaille énormément. Néanmoins, il n’a pas

échoué à ses examens. 129 - CTP

? Puisqu’il est tard, n’allons pas nous coucher. 130

- CTP

Quant à Pierre, il n’a pas attrapé la grippe. - CTP

Au

dure. XVIIè siècle, la condition paysanne n’était pas - CTP

Dans le Morvan, les bonnes terres ne sont pas rares. - CTP

La condition paysanne n’était dure au XVIIè

siècle (mais au XVI è siècle)

+ CP

Les bonnes terres ne sont pas rares dans le Morvan. + CP

Elle ne travaillait pas à l’usine du Nord (mais à

l’usine du sud) + CP

Dans une phrase

négative, la négation peut- elle porter sur le

complément ?

Max n’a pas lavé son linge dans l’évier (mais dans une

bassine) + CP

Pierre travaille énormément. *C’est néanmoins qu’il a

échoué à ses examens - CTP *C’est puisqu’il est tard que nous allons coucher - CTP

*C’est quant à Pierre qu’il a attrapé la grippe - CTP

C’est au XVIIè siècle que la condition paysanne était re.

du + CP

C’est dans le Morvan que les bonnes terres sont rares + CP

C’est à l’usine du Nord qu’elle travaillait + CP Le complément peut-il constituer le foyer d’une phrase clivée ?

C’est dans l’évier que Max a lavé son linge + CP

L’emploi de ces tests appelle plusieurs observations :

La réaction des compléments transpropositionnels est homogène pour les tests de l’interrogation globale et de la négation. On notera en particulier que, dans le cas des

compléments propositionnels, le complément « peut » être le foyer de la négation ou de l’interrogation, mais ne l’est pas nécessairement :

(10) Les bonnes terres ne sont pas rares mais nombreuses dans le Morvan (11) Les bonnes terres ne sont pas rares dans le Morvan mais dans le Limousin (12) Les bonnes terres sont-elles rares ou bien nombreuses dans le Morvan ? (13) Les bonnes terres sont-elles rares dans le Morvan ou dans le Limousin ?

La réaction des compléments transpropositionnels n’est pas homogène pour le test du clivage. Il convient en effet de distinguer deux cas :

• celui des compléments qui, en aucune manière, ne peuvent être clivés : dans notre tableau, « néanmoins », « puisqu’il est tard », « quant à Pierre » .

129 L’inacceptabilité de la séquence est due aux restrictions sémantiques imposées par le complément transpropositionnel implicatif.

• Celui où le complément peut être clivé. Dans ce cas, le clivage annule les différences entre compléments transpropositionnels et compléments propositionnels puisque la phrase obtenue après clivage est identique dans tous les cas :

(14) « Dans le Morvan, les bonnes terres sont rares. » (Complément transpropositionnel)

(15) « Les bonnes terres sont rares dans le Morvan. » (Complément propositionnel)

« = C’est dans le Morvan que les bonnes terres sont rares »

Autrement dit, le test de la focalisabilité « écrase » la distinction entre complément

transpropositionnel et complément propositionnel dans un certain nombre de cas. Ce

constat illustre que les tests formels ne peuvent pas être appliqués de manière mécanique mais nécessitent d’être analysés et contrebalancés par des arguments d’ordre sémantique131. Dans ce cas précis, il apparaît que le test du clivage n’est pas pertinent chaque fois que le complément examiné peut posséder un fonctionnement propositionnel ou transpropositionnel. La position détachée frontale en particulier est systématiquement associée au fonctionnement transpropositionnel : voilà pourquoi l’extraction par « C’est … que », qui réintègre le complément en position liée dans la prédication, annule du même coup son statut transpropositionnel.

Pour conclure, nous dirons que les compléments transpropositionnels se distinguent des compléments propositionnels essentiellement par leur capacité à échapper à la portée

de la négation et de l’interrogation totale. En revanche, la possibilité du clivage, lorsqu’elle

existe, ne peut avoir un caractère décisif lorsque le fonctionnement transpropositionnel du circonstant est directement lié à sa position (et à son détachement) dans la phrase.

A cet égard, la distinction établie par O. Bonami et alii ( 2004) entre « parentheticals » et « incidentals » apporte un éclairage particulièrement pertinent.

« First, an adverb may have a special, ‘parenthetical’ interpretation, in that the semantic contribution of the adverb is not integrated into the proposition the sentence asserts ; rather, it has the status of a ‘comment’ on that assertion. Second, in some positions, adverbs have a particular prosody which sets them apart from other 131 Comme le souligne H. Nølke, il faut associer « des critères de nature sémantico-pragmatique » (1990b, 20) aux tests formels

constituents of the sentence (…). Finally, parentheticality appears to be a lexical property of adverbs, whereas incidentality is a property of particular occurrences. » (O. Bonami et alii, 2004, 4-5)

Les circonstants transpropositionnels antéposés « Dans le Morvan » et « Au XVIIè siècle » (Au XVIIè siècle, la condition paysanne était dure / Dans le Morvan, les bonnes terres sont

rares) examinés ci-avant relèvent à l’évidence des « incidentals » :

« To sum up, the default situation is that non-extracted adverbs occurring in zone 1 are incidentals. » (Ibid., 8)

Voilà pourquoi ils perdent leur caractère « transpropositionnel » quand ils entrent dans la construction focalisante « C’est… que » : intégrés, ils ne sont plus « incidents ». En revanche, l’adverbial « Néanmoins » (qui appartient à la classe des « connectives » selon O. Bonami et alii, 2004) est un « parenthétique » (voir Ibid., 30). C’est pourquoi dans

(16) Pierre travaille énormément. Il a néanmoins échoué à ses examens

son absence de détachement ne lui ôte pas son caractère « transpropositionnel » : non incident, il demeure parenthétique. Les deux autres adverbiaux enfin : « Puisqu’il est tard » et « Quant à Pierre » ont un statut particulier : liés sur le plan du contenu à la prédication principale (voir L. Melis, 1979, 14-19), ils ne peuvent être considérés comme « parenthétiques ». Mais systématiquement détachés prosodiquement du reste des constituants, ils s’avèrent systématiquement incidents : d’où leur incapacité à figurer dans des constructions clivées.

Autrement dit, le caractère « transpropositionel » d’un circonstant peut être lié

- à une propriété prosodique qui lui est attachée de manière systématique (cas de « Puisqu’il est tard », «Quant à Pierre ») ou non (cas des compléments spatio-temporels antéposés) : il s’agit d’un « incident »

- à une propriété sémantico-pragmatique : « the semantic contribution of the adverb is not integrated into the proposition the sentence asserts » (O. Bonami et alii, 2004, 4). L’adverbial, systématiquement « parenthétique », est toujours extérieur à la prédication, qu’il soit « incident » (1) ou non (16)

(1) Pierre travaille énormément. Néanmoins, il a échoué à ses examens.

2.

Réalisation des compléments comme circonstants