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Les compléments instrumentaux et sémiématiques

CHAPITRE 5. Retour à l'analyse des fonctions occupées par les

3. Les compléments instrumentaux et sémiématiques

Rappelons les occurrences présentées supra dans le chapitre consacré à ces compléments :

(22) En vélo, ma femme est allée au Portugal. (23) En train, Max a voyagé partout dans le monde.

(24) En voiture, mon frère est parti plusieurs fois aux Etats-Unis

(26) En voiture, vous mettrez plus longtemps.

(27) En train, il faut éviter de poser son verre plein sur sa tablette.

(28) En altitude, on apercevait les confins du désert (29) En Avignon, Max court.

(30) ?*En toute (illégalité + facilité + intimité + légitimité + …), Max a agi dans

cette affaire

mais :

(31) En toute illégalité, Max exploite une paillote en bord de mer. (32) En toute (légalité + facilité + …), il travestissent l’information 144.

(33) En toute logique, les événements se sont enchaînés.

(34) En diable, Philomène est paresseuse (Le GPen assure ici une fonction de

construction détachée et non d’adverbial. Nous écartons donc désormais cette occurrence de notre analyse)

144

Critères phrases Oui Non

Le complément antéposé présente- t-il des restrictions de cooccurrence avec tel ou tel type d’énoncé ?

En (train + voiture + avion + …), voyagez partout dans le

monde !

En Avignon, cours !

En altitude, cherchez à apercevoir les confins du désert ! En toute logique,que les événements s’enchaînent !

En toute (légalité + facilité + …), travestissez l’information ! En (train + voiture + avion + …), voyage-t-on partout dans le

monde ?

En Avignon, court-il ?

En altitude, apercevez-vous les confins du désert ? En toute logique, les événements se sont-ils enchaînés ?

?*En toute (légalité + facilité + …), travestissent-ils

l’information? + + + + + + + + + + L’interrogation globale peut-elle porter sur le complément ?

En (train + voiture + avion + …), Max a-t-il voyagé partout

dans le monde ?

En Avignon, court-il ?

En altitude, apercevez-vous les confins du désert ? En toute logique, les événements se sont-ils enchaînés ?

?*En toute (légalité + facilité + …), travestissent-ils

l’information?

+ + + +

Dans une phrase négative, la négation peut-elle porter sur le complément ?

En (train + voiture + avion + …), Max n’a pas voyagé partout

dans le monde.

En Avignon, il ne court pas

En altitude, vous n’apercevez pas les confins du désert. En toute logique, les événements ne se sont pas enchaînés *En toute (légalité + facilité + …), ils ne travestissent pas

l’information. + + + + Le complément peut-il constituer le foyer d’une phrase clivée ?

C’est en (train + voiture + avion + …) que Max a voyagé partout dans le monde.

C’est en Avignon qu’il court le mieux.

C’est en altitude que vous apercevez les confins du désert. C’est en toute logique que les événements se sont enchaînés C’est en toute (légalité + facilité + …) qu’ils travestissent l’information + + + + +

Il se dégage deux familles de compléments.

- Les premiers, transpropositionnels, sont compatibles avec la négation et l’interrogation totale : « En (voiture + vélo + … + Avignon + altitude ) ».

- Les autres (En toute (illégalité + facilité + intimité + légitimité + …)) ne sont compatibles ni avec l’interrogation ni avec la négation : nous les considérerons comme des compléments propositionnels (cf. supra).

Le cas de « En toute logique » mérite une attention particulière : détaché en tête de phrase, il change de catégorie et devient un complément (transpropositionnel) de « domaine / point de

vue » dont le sens est très proche de « Logiquement, P ». (cf. C. Molinier et F. Levrier, 2000, 219 & sq. pour cette classe d’adverbes). Ainsi, dans l’exemple attesté suivant :

(35) En toute logique, il faudrait (…) maintenir l'interdiction des essais nucléaires (LMD, juillet 1990)

le complément antéposé est compatible avec une phrase négative

(36) En toute logique, il ne faudrait pas maintenir l'interdiction des essais

nucléaires

et paraphrasable par « Logiquement (parlant) », « d’un point de vue logique », « sur le plan

logique ». On ajoutera que « En toute logique » antéposé n’a pas le même sens que En logique (E + mathématique) comme dans:

(37) En logique mathématique, le système d'outils comprend à la fois des

propositions (par exemple, une proposition P : « j'ai faim » et une proposition Q (…) (Web).

Dans ce dernier cas, il s’agit d’un complément « praxéologique » (cf infra) : le locuteur ouvre un domaine de connaissance à l’intérieur duquel il demande à son interlocuteur de se situer.

4. Conclusion

Le tableau suivant récapitule nos analyses :

Compléments « en N » antéposés

Compléments de phrase Compléments

transpropositionnels Compléments propositionnels Phraséologiques : En termes de droit, P En premier lieu, P En outre, P En introduction, P En conclusion, P En d’autres termes, P En un mot, P En bref, P En résumé, P De style : En toute (franchise + honnêteté + confidence + bonne foi + …), P En effet, en fait, en revanche145 En France, P En 1989, P En (biologie + logique (mathématique) + droit + …), P En français146, P En (vélo + voiture +…) , P En (deux + quelques + …) (heures + ans + coups de

cuillère à pot + …) , P En (toute + bonne) logique,

P

En silence, Max s’avança vers Marie.

En (rangs serrés + file indienne + ….), les enfants

entrèrent dans la classe. En toute (sérénité + humilité + courtoisie + …), Max nous

ouvrit la porte.

En toute (illégalité + …), Max a maquillé la vérité.

En toute (intimité + bienséance + …), Max a rendu une visite à sa famille

En (cachette + secret + tapinois + catimini + …),

Max quitta la salle

Tous les circonstants du nœud actantiel changent de catégorie du fait de leur antéposition.

145 Contrairement à la classification proposée par C. Molinier et F. Levrier (2000), L. Melis (1983) considère que ces adverbiaux constituent des transpropositionnels : « Nous rangerons ces adverbes parmi les transpropositionnels. En effet, comme l’ont montré des études particulières telles que Danjou-Flaux (…), consacrée à de fait, en fait, en effet et effectivement et Danjou-Flaux (…), concernant au contraire, par contre et

en revanche, ces adverbes entretiennent des rapports complexes avec le contenu de la phrase. » (1983, 156).

146 Nous reviendrons plus loin sur ce type de complément que nous plaçons parmi les transpropositionnels (« praxéologiques ») et non les compléments de phrase (compléments phraséologiques) comme le propose L. Melis (1983 : 156).

Conclusion de la deuxième partie

Dans cette deuxième partie, nous nous sommes intéressé essentiellement aux relations de dépendance syntaxique que peuvent entretenir les GPen détachés frontaux avec le reste de

la prédication. Lorsqu’ils sont incidents à un constituant intraprédicatif, ils assurent une fonction de « construction détachée » (B. Combettes, 1998) ou de « construction de type appositif » (H. Van Den Bussche, 1988). Le caractère peu intégré de ces constructions estompe (sans l’annuler cependant) la distinction entre fonctions « primaires » (qui se situent au niveau de la phrase : sujet, complément du verbe, …) et « secondaires » (complément d’un autre constituant). Quoique incidents à un constituant intraprédicatif (généralement le terme sujet), ces GPen manifestent en effet des propriétés qui les rapprochent des « circonstants »

(inaccessibilité à l’interrogation totale et à la négation, « subordination sémantique » (B. Combettes, 1998), coordination possible avec un circonstant). Comme l’écrit P. Le Goffic (1993, 75), ces cas sont « embarrassants pour la théorie syntaxique » puisqu’ils « semblent montrer qu’il n’y a pas contradiction ou incompatibilité entre le rattachement à un terme et un rôle au niveau de l’énoncé ».

Ces GPen antéposés peuvent aussi assurer une fonction de complément propositionnel,

transpropositionnel ou de phrase ; en revanche, il est exclu qu’ils jouent le rôle d’un complément du nœud actantiel car leur détachement les amène immanquablement à changer

de catégorie. Ainsi, des compléments comme en deux heures (aspectuels), circonstants du nœud actantiel lorsqu’ils figurent en position postverbale intonativement liée, passent dans la catégorie des compléments transpropositionnels en position préfixée. La classe des compléments propositionnels regroupe quant à elle des adverbiaux dont les réactions aux tests de l’interrogation totale et de la négation montrent un certain degré d’attachement au prédicat. Voilà pourquoi nous avons considéré que, même antéposés, ils n’étaient pas aptes – comme les transpropositionnels – à définir « un monde, un domaine d’interprétation, qui sert de cadre à l’interprétation de la phrase » (L. Melis, 1983, 187). Les compléments transpropositionnels et les compléments de phrase enfin sont ceux qui manifestent la plus large autonomie syntaxique vis-à-vis de la prédication principale.

Troisième partie. Les groupes

prépositionnels en « en N » détachés en tête

de phrase : des expressions potentiellement

introductrices de cadres ?

Jusqu’au niveau de la phrase147, le dispositif majeur réglant les relations entre les constituants ( la syntaxe148 au sens traditionnel ) est de nature rectionnelle et positionnelle. Le discours commence dès que cesse ce système de dépendances structurales pour céder la place à un dispositif de relations de nature fondamentalement sémantico-pragmatique. Afin de guider l’interlocuteur dans son travail d’interprétation des relations discursives non- structurales établies entre les énoncés, le locuteur dispose d’une vaste gamme de marques de

cohésion à l’intérieur desquelles M. Charolles (1997) distingue deux grandes familles : (i) les

marques connexionnelles (ii) les marques indexicales. Les marques connexionnelles délivrent des informations concernant la mise en relation d’unités adjacentes ou proches ; parmi elles, on peut distinguer deux grandes sous-classes « selon que la relation indiquée met en jeu des référents (anaphores) ou des énoncés avec leur valeur illocutionnaire et leur contenu propositionnel (connecteurs). » (Ibid., 3) Les marques d’indexation, elles, délivrent des informations sur le traitement d’une suite d’énoncés relativement à un critère qu’elles spécifient plus ou moins univoquement. Parmi ces marques, on trouve en premier lieu les expressions introductrices de cadre de discours ainsi que le découpage du texte en paragraphes, sections, parties, etc. qui initient des cadres sous-déterminés sémantiquement. 147 La question de savoir si l’unité-phrase constitue bien le palier pertinent à partir duquel on passerait de la syntaxe au sens traditionnel à une forme de « macro-syntaxe » non structurale fait l’objet d’un débat nourri depuis une période récente (cf. M. J. Béguelin qui note que si les « unités de bas rang » comme le mot et la lettre ont tôt fait l’objet d’une critique scientifique, « la critique de la phrase, elle, n’a eu lieu que bien plus tard (…) » (2002, 86). Pour cette question, nous renvoyons au numéro de Verbum, coordonné par M. Charolles, P. Le Goffic et A.-M. Morel (tome XXIV, 2002).

148 « La syntaxe traite de la combinaison des mots dans la phrase. Il y est question à la fois de l’ordre des mots et des phénomènes de rection » (O. Ducrot, J-M. Schaeffer (1972, 1995 ; 119)

Relations de cohésion discursive

Relations de connexion Relations d’indexation

Anaphores (la relation de connexité met en jeu

des référents)

Connecteurs (La relation de connexité met en jeu

des énoncés) Lexicalement spécifiées : titres, sous-titres, expressions introductrices de cadres, … Lexicalement non- spécifiées : paragraphes, tirets, puces…

Les figures proposées ci-dessous (reprises de M. Charolles (1997)) illustrent le fonctionnement de ces marques et la manière dont elles collaborent dans le discours. L’orientation des flèches indique que les marques connexionnelles établissent une relation d’amont vers l’aval, à l’inverse des marques indexicales.

Relations de connexion (connecteurs, anaphores, marqueurs aspecto-temporels, …)

... [...[----] ... [----] ...] ... r

Relations d'indexation (portée) : expressions introductrices de cadres de discours

... [[----][---] [---]] ... r'

r'

Les relations de connexion et d'indexation sont cumulables

r

... [[----][---] [---]] ... r'

Parmi les expressions introductrices de cadres figurent en bonne place, comme nous allons progressivement le montrer, un grand nombre de GPen. Dans cette troisième partie, nous examinerons le fonctionnement cadratif de certains de ces GPen

antéposés. Autant que possible, nous nous appuierons sur des exemples authentiques tirés des

corpus du « Monde Diplomatique », de « La Recherche », de l’« Atlas de la France scolaire » ou encore du Web. Mais avant de nous engager dans ces études de détail, nous allons préciser certaines des caractéristiques propres aux cadres ainsi qu’aux expressions qui les instancient.

Chapitre 1. Les cadres de discours et leur

fonctionnement textuel

Dans ce premier chapitre, nous nous attacherons tout d’abord à présenter certaines caractéristiques spécifiques des cadres de discours en insistant sur les « univers parents »; puis nous nous interrogerons sur la notion de « portée » des expressions introductrices de cadres afin de déterminer si l’extension de portée d’un adverbial au-delà de sa proposition d'accueil met en jeu les mêmes mécanismes que ceux qui régissent sa portée intrapropositionnelle.

1.

Présentation des cadres de discours (M. Charolles, 1997) et