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CHAPITRE 2 cadre théorique

2.1. T HEORISATION

2.1.1. Notion de configuration d’acteurs : Norbert Élias

La notion de configuration utilisée dans la présente recherche est basée sur la conception que Norbert Élias en fait. Afin de bien saisir la portée de cette approche théorique, il convient dans un premier temps de comprendre où celle-ci prend racine. Le point de départ se trouve dans la représentation que se fait Norbert Élias du rapport entre individus et société. Pour ce dernier, les individus n’existent pas indépendamment de la société et vice versa. Ainsi, pour Élias « [l]orsqu’on étudie les hommes, on peut concentrer les feux des projecteurs tantôt sur les individus, tantôt sur les configurations que forment entre eux plusieurs hommes. Si l’on ne tient pas compte de cette alternative, on nuit à la compréhension des deux niveaux d’analyse. » (Élias, 1991 : 155-156). Analyser un ou l’autre de manière indépendante revient donc à évacuer une dimension importante de chacune des parties ce qui fait en sorte de n’obtenir qu’une analyse partielle. Pour comprendre la société ou pour comprendre l’individu il convient donc de se pencher tant sur l’un que sur l’autre, car nous sommes face à une relation d’interdépendance réciproque.

Pour comprendre la vision d’Élias on peut imaginer un filet où chacun des fils constitue un individu et, tous ensembles, la société. Ainsi, c’est en relation avec les autres que l’individu forme sa personnalité propre et ce sont les individus qui composent une société qui la façonne. C’est donc dans l’idée que l’individu ne peut être pensé sans la société et que la société ne peut être pensée sans l’individu que la théorie de configuration prend ancrage. Ainsi, l’idée de configuration permet de montrer que « [c]haque action individuelle dépend d’autres effectuées sur l’échiquier social et par contrecoup modifie, ne serait-ce qu’insensiblement, les interdépendances entre joueurs. ». Afin d’illustrer son propos, Élias utilise de nombreuses métaphores notamment celle d’une partie de cartes :

Quatre hommes assis autour d’une table pour jouer aux cartes forment une configuration. Leurs actes sont interdépendants […]. Ni le ‘’jeu’’ ni les ‘’joueurs’’ ne sont des abstractions. Il en va de même de la configuration que forment les quatre

joueurs autour de la table. Si le terme de ‘’concret’’ a un sens, on peut dire que la configuration que forment ces joueurs, et les joueurs eux-mêmes sont également concrets. Ce qu’il faut entendre par configuration, c’est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs; elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques22.

(Élias, 1991 : 14 )

Une configuration d’acteurs a donc quatre dimensions, soit les acteurs, les actions qu’ils posent dans un cadre donné, les règles qui régissent ce cadre et qui viennent, par le fait même, influencer leurs actions et l’interinfluence des acteurs présents dans la configuration. Le caractère spécifique de cette approche est de considérer les relations entre les individus de manière aussi tangible que les individus en soi. Tel que le souligne J.-H. Déchaux dans son analyse du concept de configuration tel que l’a défini Élias, « la société est […] la forme à la fois changeante et structurée de ce réseau de relations » (1995 : 297). Ce qui nous amène à dépasser le dualisme entre individu et société ; ces deux entités sont interdépendantes et ne peuvent être pensées sans l’existence d’une ou l’autre des parties, car elle forme un tout.

Il est important de saisir que cette relation d’interdépendance est applicable à différentes échelles. Ainsi, « [c]e qui est vrai pour un petit groupe, d’une famille, l’est aussi d’une société globale et même, à l’échelle internationale, des rapports entre États. Seule change la nature de l’unité : individus, classes ou groupes sociaux, nations » (Ibid. : 296).

Ainsi, dans la mesure où la société doit être envisagée comme un tissu de relations et d’interdépendances, la situation sociale que nous choisissons d’étudier doit être pensée comme telle. Ce faisant, la mise en œuvre d’un projet d’AMP doit être comprise comme un tout cohérent au sein duquel les parties prenantes au projet ne peuvent être dissociées du cadre – ici le processus de mise en place d’une AMP – dans lequel ce dernier s’insère.

Les quatre dimensions constitutives d’une configuration d’acteurs nous permettront d’envisager les deux projets d’AMP, canadien et français, comme un équilibre de tension où chacune des parties prenantes influence tant les autres membres de la configuration que la configuration en soi. Si cet angle théorique est particulièrement intéressant pour la présente recherche, c’est parce qu’il permettra de mettre en lumière les relations de pouvoir présentes lors de la mise en œuvre d’un projet d’AMP par l’analyse du tissu de relations sociales qui compose la configuration. Par ailleurs, si cette analyse permet une compréhension des jeux de pouvoir dans un espace et un temps donné, elle permet difficilement de prendre un recul pour comprendre plus largement dans quel contexte sociopolitique le projet s’insère. Ce faisant, afin d’obtenir un champ d’analyse plus large que la configuration d’acteurs clés lors de la mise en œuvre d’un projet d’AMP, nous proposons de joindre, à la notion d’Élias, la théorie de la démocratie délibérative de Jürgen Habermas couplé avec son concept d’espace public revu par Suraud (2007).